Des blindés turcs se dirigent vers le territoire syrien.
(Photo : AP)
Depuis le rapprochement turco-russe qui a eu lieu durant l’été 2016, Ankara ne réclame plus le départ de Bachar Al-Assad, qui était jusque-là sa position de principe. La Turquie semble, pour la première fois, modérer sa position par rapport au régime syrien. S’agit-il d’une nouvelle stratégie turque ou bien d’un positionnement servant ses intérêts actuels ? Peut-être un peu des deux. En attendant, ce qui est certain, c’est qu’Ankara a désormais comme premier objectif la lutte contre le terrorisme, et non plus la destitution de Bachar Al-Assad. Le régime turc a déclaré qu’il participerait à des pourparlers de paix prévus le 23 janvier, à Astana, aux côtés des Russes et sans la présence des Occidentaux.
A première vue, l’alliance turquo-russe semble quelque peu étrange. Le président russe, Vladimir Poutine, est l’un des alliés les plus proches du président syrien, alors que la Turquie a, à maintes reprises, déclaré son désir de voir chuter le président Assad. Ce retournement de la ligne politique turque s’est officialisé à la fin de l’année 2016 par l’accord de cessez-le-feu en Syrie. « En consolidant ses relations avec les Russes, la Turquie envoie un message d’inimitié claire aux Etats-Unis, en particulier, et aux Occidentaux, en général, qu’elle considère comme étant derrière le coup d’état manqué de juillet dernier. D’après Ankara, les Occidentaux soutiennent ses ennemis kurdes, ils ne sont pas prêts à soutenir le projet turc d’une zone de sécurité dans le nord de la Syrie, et ils n’ont pas soutenu le président Erdogan contre les putschistes en juillet », explique Mohamad Noureddine, chercheur spécialiste des affaires turques. D’après lui, la Turquie ne peut pas se permettre d’adopter pleinement les politiques russes et iraniennes en Syrie parce qu’elle accueille déjà, sur son territoire, plus de trois millions de réfugiés syriens qui sont, pour la majorité, anti-Bachar Al-Assad. Toutefois, les Turcs ont besoin des Russes dans leur combat contre les Kurdes. « Les partenaires ne sont pas égaux. La Turquie a très peu de marge de manoeuvre, et ce sont les Russes qui mènent la danse. Dans ce processus, la Turquie a été obligée de se rallier à eux parce qu’elle a une priorité stratégique, à savoir son intervention dans le nord de la Syrie contre l’Etat islamique et contre les Kurdes plus particulièrement. La Turquie peut obliger les rebelles qui lui sont fidèles à accepter le cessez-le-feu et d’éventuelles négociations, mais elle a très peu de moyens de pression sur la Russie pour faire évoluer les choses dans le sens qu’elle voudrait », estime le chercheur belge, Thomas Pierret, spécialiste de la Syrie.
Cependant, le vrai tournant de la stratégie turque en Syrie a été la montée en puissance, sur ses frontières, des forces du Parti de l’unité du peuple (PYD) — branche syrienne du groupe turc, PKK —, que la Turquie combat depuis 30 ans environ, mais aussi la multiplication des attentats revendiqués par le PKK ou par l’Etat islamique. La Turquie a lancé l’Opération Bouclier de l’Euphrate en août 2016. Une intervention militaire turque dans le nord syrien contre la branche syrienne du PKK et les combattants de l’Etat islamique, qui n’avait pas été prévue par beaucoup d’experts. « L’intervention militaire de la Turquie dans le nord syrien semble, pourtant, logique. Ankara cherche à protéger ses intérêts et à sécuriser ses frontières, mais aussi à empêcher la formation d’un territoire unifié pour les Kurdes au sud de ses frontières avec la Syrie », estime Mohamad Abdel-Qader, expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram et rédacteur en chef du magazine Affaires turques.
Dans les semaines à venir, la stratégie turque en Syrie se dessinera plus précisément. Ce qui est certain pour l’instant c’est que la priorité d’Ankara est sa lutte contre les forces kurdes et non plus le soutien à l’opposition syrienne pour renverser Bachar Al-Assad, autrefois régulièrement qualifié par Erdogan de tyran aux mains pleines de sang.
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