C’est une victoire écrasante pour le président turc Recep Tayyip Erdogan. Le projet de présidentialisation du régime a été approuvé dimanche dernier par le parlement en première lecture avec la majorité des trois cinquièmes requise, alors que des débats sur une deuxième lecture devraient commencer ce mercredi et prendre fin dimanche prochain. Selon cette réforme, le président aura désormais tous les pouvoirs en main : il aura le pouvoir de nommer ou limoger les ministres et il serait élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois. Si le nombre maximum des mandats était réinitialisé à partir de 2019, Erdogan, élu chef de l’Etat en 2014 après trois mandats à la tête du gouvernement (2003-2014), pourrait potentiellement rester au pouvoir jusqu’en 2029. Pour la première fois dans l’histoire de la Turquie, le poste du premier ministre sera supprimé, alors qu’un poste de vice-président ou éventuellement de plusieurs vice-présidents serait installé. Les législatives et la présidentielle se dérouleront simultanément le 3 novembre 2019. « Il n’y aura pas désormais de premier ministre. Deux capitaines coulent le bateau. Il ne doit y avoir qu’un capitaine », a clamé au parlement le premier ministre, Binali Yildirim, un proche du président.
En principe, cet amendement requiert l’appui des deux tiers des députés du parlement (367 voix) pour être directement adopté, et d’au moins les trois cinquièmes (330 voix sur les 550) pour être soumis à un référendum populaire 60 jours après le vote. Dimanche, le parti de la Justice et du développement (AKP, 317 voix) a déjà recueilli les trois cinquièmes des voix grâce au soutien du Parti d’action nationaliste (MHP, 40 députés).
« Erdogan a gagné son pari. Juste après son vote par le parlement la semaine prochaine, cette réforme sera soumise à un référendum fin mars ou début avril. Le peuple turc va dire oui, car Erdogan est devenu plus populaire après le putsch. De plus, il a réussi à convaincre son peuple qu’un régime présidentiel fort va lui garantir la stabilité économique et politique et assurer la stabilité au sommet de l’Etat, à l’exemple des systèmes en vigueur en France ou aux Etats-Unis. Le peuple turc veut éviter la répétition du scénario des coalitions fragiles qui prévalaient dans le passé en Turquie », analyse Dr Béchir Abdel-Fattah, expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
Une opposition faible
Pourtant, cette réforme n’est pas passée sans problèmes. Ses détracteurs se sont efforcés de mettre les bâtons dans les roues. Depuis l’ouverture des débats le 9 janvier, une violente bagarre a secoué le parlement entre les pro et les anti-Erdogan : coups de poings, coups de pieds, insultes et lancement de chaises. Le projet a suscité un fort rejet de la part de l’opposition, surtout le CHP (social-démocrate) et le parti pro-kurde (HDP) qui accusent M. Erdogan de profiter de l’état d’urgence en vigueur depuis le coup d’Etat manqué, pour mener à bien la présidentialisation du régime. « Est-ce qu’un président avec de tels pouvoirs sans limites pourra être supervisé ? », s’est insurgé le député du CHP, Deniz Baykal, devant le parlement. Dans ce même cadre, le chef de file du HDP, Selahattin Demirtas, actuellement emprisonné avec une dizaine de députés de cette formation, a fait parvenir au parlement une pétition contre ce projet dans laquelle il a fait valoir que le débat parlementaire était faussé par l’absence des élus de son parti détenus par les autorités.
Outre cette bagarre parlementaire, des manifestations de l’opposition contre la réforme ont éclaté cette semaine devant le parlement, mais ont été vite réprimées par la police à l’aide de gaz lacrymogènes et des canons à eau. « La réforme a passé car le CHP n’a pas de poids politique au sein du parlement, et les membres du HDP ont gelé temporairement leur candidature au parlement en signe de protestation à l’arrestation de leur chef, de quoi jouer en faveur du projet. La réforme de la Constitution n’est qu’une affaire de temps », analyse Dr Abdel-Fattah. Une analyse qui a sa part de crédibilité puisque M. Erdogan a paru cette semaine plus confiant que jamais : « Si vous avez le moindre respect pour le peuple, alors laissez le projet de la réforme pour être soumis à la volonté du peuple », a affirmé le président turc qui jouit déjà de toutes les prérogatives du système présidentiel. « Erdogan voulait simplement la légitimité constitutionnelle, et il l’a obtenue. Désormais, il serait l’unique homme fort du pays », affirme Dr Abdel-Fattah .
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