
Yahya Jammeh considère la position de la Cédéao comme une déclaration de guerre.
(Photo : Reuters)
La transition pacifique espérée en Gambie n’est plus désormais à l’ordre du jour. Le président sortant, Yahya Jammeh, n’a toujours pas l’intention de quitter le pouvoir le 19 janvier, date de l’expiration de son mandat, après sa défaite à la présidentielle du 1er décembre. Rejetant les résultats à cause, selon lui, d’irrégularités dans sa comptabilisation, Jammeh, qui dirige la Gambie d’une main de fer depuis 22 ans, attend l’audience de la Cour suprême gambienne cette semaine pour statuer sur le recours de son parti contre sa défaite électorale. Mais selon des sources judiciaires concordantes, de nombreuses incertitudes planent toujours sur cette audience. Le débat porte à la fois sur la désignation par Jammeh des juges manquants à la Cour suprême, qui n’a plus siégé depuis plus de 18 mois, et sur le caractère suspensif du recours, alors qu’il est censé céder le pouvoir à l’opposant Adama Barrow, proclamé vainqueur de l’élection présidentielle du 1er décembre. Des juges étrangers sont attendus en Gambie, petit Etat de moins de deux millions d’habitants, qui fait souvent appel à des magistrats d’autres pays anglophones, notamment en provenance du Nigeria, selon des sources judiciaires interrogées par l’AFP. Mais aucun des juges nigérians pressentis n’a encore officiellement accepté de siéger à la Cour suprême gambienne, présidée par l’un des leurs, Emmanuel Fagbenle.
Or, le chef de l’Etat nigérian, Muhammadu Buhari, principal médiateur pour résoudre cette crise électorale, a exhorté Yahya Jammeh à céder le pouvoir. « Des noms ont été présentés au Conseil national de la magistrature (nigérian) et approuvés, autour d’octobre, mais je ne sais pas si quiconque a accepté ou non », a déclaré vendredi le président de l’ordre des Avocats nigérians, Abubakar Mahjmoud, joint par l’AFP à partir de Lagos. Un autre juriste nigérian renommé, Joseph Daudu, ancien président de l’ordre des Avocats, a estimé qu’il serait « bête d’accepter pareille mission », sans au minimum s’assurer que M. Jammeh « quitte le pouvoir pendant que la procédure judiciaire se poursuit ».
« Le précédent juridique en Gambie est que le président élu est toujours investi pendant que le recours est examiné, ce qui prend des mois, voire des années », a affirmé à l’AFP le juriste gambien Aziz Bensouda, citant l’exemple des précédentes contestations par le principal opposant, Ousainou Darboe, des élections successives de Yahya Jammeh. Pour sa part, l’avocat de Jammeh, Me Edward Gomez, a assuré que « les juges à la Cour suprême ont été désignés », mais a reconnu ne pouvoir confirmer leur présence effective dans le pays.
Tensions avec la Cédéao
En outre, la décision de la Cour suprême n’est pas de la même importance pour les médiateurs de la crise. Depuis le revirement spectaculaire du président sortant, la mission de médiation de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a tenté en vain de convaincre Jammeh de céder son fauteuil à Adama Barrow, déclaré vainqueur à la présidentielle. Exaspérée donc par la sourde oreille de Jammeh, la Cédéao avait agité la semaine dernière l’épouvantail d’une intervention militaire et chargé sa force de réserve (ESF) d’étudier les différents scénarios pour intervenir en Gambie, pour le chasser du pouvoir et faire respecter le verdict des urnes en installant Barrow à sa place. Ce qui a fait monter la tension : le président sortant a vivement réagi à la décision de la Cédéao de placer des forces militaires en état d’alerte au cas où il refuserait de quitter le pouvoir, jugeant qu’il s’agissait d’une déclaration de guerre. Et, pour renforcer sa position, il s’est désormais assuré du soutien de l’armée qui lui a promis fidélité. Le numéro 1 de l’armée gambienne, Ousman Badjie, vient de réaffirmer son soutien et celui de l’ensemble de l’armée au président sortant.
Selon les analystes, la Cédéao n’a cependant pas véritablement les moyens de mettre ses menaces à exécution. D’ailleurs, à l’issue d’un sommet de la Cédéao tenu vendredi dernier à Accra, la capitale du Ghana, Ellen Johnson Sirleaf, présidente du Liberia et présidente en exercice de la Cédéao, a souligné à la presse que l’institution régionale n’avait pas encore l’intention de déployer une force militaire en Gambie.
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