Si durant la guerre froide l’Afrique était un théâtre de guerre idéologique entre l’Ouest et l’Est, elle est encore aujourd’hui lieu de confrontation entre les plus grandes puissances du monde. Depuis la fin des années 1990, l’Afrique a retrouvé une importance stratégique, et ce, pour des enjeux à la fois économiques que sécuritaires. Ayman Chabana, chercheur au centre des études africaines de l’Université du Caire, estime que l’Afrique est riche en plusieurs produits miniers d’une importance stratégique, en particulier l’uranium au Niger, et le coltan en République démocratique du Congo, qui entre dans la composition des appareils de communication sans fil. Mais également l’or, le diamant, le cobalt, le cuivre, le fer et les hydrocarbures. De ce fait, pour plusieurs puissances, l’Afrique représente un réservoir de matières premières et un déversoir de produits manufacturés.
Au niveau sécuritaire, les défis sécuritaires sur le continent noir, notamment en matière de terrorisme, les conflits internes, les migrations et la piraterie maritime le placent sous les projecteurs. C’est dans ce cadre que les acteurs internationaux étatiques et non étatiques interviennent dans le continent. Ainsi selon Rawya Tawfiq, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, l’importance de l’Afrique émane du fait qu’elle représente un énorme bloc de vote dans les instances internationales, vu que ce bloc renferme 54 Etats.
Une panoplie d’acteurs
Résultat, des acteurs-clés se livrent à une concurrence féroce depuis des années et d’après Tawfiq, « l’intérêt des puissances étrangères pour les questions sécuritaires est très ambigu, car il tend à se confondre avec leurs intérêts économiques ». La France vient en tête des anciennes puissances coloniales qui sont actives en Afrique, et qui est liée avec le continent par des intérêts économiques et culturels étroits. Selon le ministère de l’Economie et des Finances français, l’Afrique subsaharienne est pour la France un partenaire commercial à peu près équivalent à l’Amérique latine. Les Etats-Unis sont aussi en tête. En plus de leur commandement militaire en Afrique « AFRICOM », établi en 2008, les Etats-Unis déploient des forces spéciales partout sur le continent. Et dans le cadre de l’initiative « Power Africa », lancée par le président américain Barack Obama en 2013, les Etats-Unis se sont engagés à doubler l’accès à l’électricité en Afrique d’ici à 2018. De leur côté, on observe une présence active de la part de nouvelles puissances avec la Chine en premier rang. Selon le livre blanc chinois sur la coopération économique et commerciale avec l’Afrique, publié en 2013, les investissements directs chinois en Afrique sont passés de 1,44 à 2,52 milliards de dollars, avec une croissance annuelle de 20,5 % entre 2009 et 2012. Ainsi, la Chine a créé environ 40 centres culturels partout sur le continent « les instituts Confucius », qui servent de bras culturel de la Chine en Afrique. En 2016, la Chine a même installé à Djibouti sa première base militaire navale en Afrique.
« Le Brésil est un autre géant qui émerge en Afrique », explique Chabana. Selon une étude publiée par International Centre for Trade and Sustainable Development, le total des ventes du Brésil à destination de l’Afrique s’élevait à 12,2 milliards de dollars en 2011. Au cours de la même période, les importations ont enregistré une hausse de 17 %, pour atteindre 15,5 milliards de dollars.
Un pays comme le Japon avait longtemps limité ses relations avec l’Afrique aux politiques d’aide. En 2013, lors de Tokyo International Conference on African Development (TICAD V), le gouvernement du Japon s’était engagé à appuyer la croissance africaine avec environ 3,2 milliards de yens (équivalant à 32 milliards de dollars) sur 5 ans. Et deux ans auparavant en 2011, Tokyo a aperçu l’importance sécuritaire du continent africain et a installé une base militaire au Djibouti, sa première base militaire à l’étranger depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale 1945.
La Malaisie aussi est un partenaire important de l’Afrique. En 2011, d’après la conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement, la Malaisie a été le pays asiatique qui a investi le plus en Afrique, devant l’Inde et la Chine.
« La Turquie, également, possède une influence grandissante en Afrique », précise Tawfiq. Selon un rapport publié par l’Institut français des relations internationales, le volume des échanges commerciaux entre la Turquie et l’Afrique se situait aux alentours de 20 milliards de dollars en 2013. Et à l’échelle diplomatique, dès 2003, la Turquie a obtenu le statut d'observateur de l’Union africaine. Une entrée qui coïncide avec celle des pays du Golfe. Au moins 10 % des investissements dans les infrastructures ces dix dernières années sur le continent proviennent des monarchies du Golfe. « Les pays du Golfe contrôlent massivement des terres arables en Afrique », précise Tawfiq. Par exemple, en 2012, le Soudan a mis 2 millions d’hectares à la disposition des investisseurs saoudiens. Et dans le cadre de sa guerre au Yémen, l’Arabie saoudite a signé un accord avec les autorités djiboutiennes, permettant l’implantation d’une base militaire saoudienne à Djibouti, à environ 400 km de Sanaa, la capitale yéménite. Dans le même sens, l’Etat israélien joue un rôle grandissant en Afrique, au point qu’il essaye d’obtenir le statut d’observateur à l’Union africaine.
Chance ou risque ?
Les effets de cette multiplicité d’acteurs sur la scène africaine sont discutables. « Les politiques adoptées le plus souvent par ces pays ont des répercussions souvent négatives pour les pays du continent », croit Chabana. Selon lui, les aides financières que ces puissances offrent à l’Afrique accroissent les risques d’endettement. En revanche, Tawfiq pense que « les puissances concurrentes peuvent influencer positivement les pays du continent, comme elles peuvent aider au développement de certaines industries ». Citons à titre d’exemple l’Ethiopie, qui a pu développer sa propre industrie de cuir, par coopération avec la Chine. Tawfiq ne nie pas l’autre côté de la monnaie. « La Chine n’est attentive ni aux questions des droits de l’homme et la démocratie, ni aux normes sociales et environnementales, ce qui ouvre la porte à des pays africains, comme le Zimbabwe et le Soudan, de contourner les sanctions internationales », conclut-elle.
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