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La sécurité avant tout

Samar Al-Gamal, Mercredi, 11 janvier 2017

Le 27e sommet France-Afrique aura lieu à Bamako, les 13 et 14 janvier 2017. Alors qu’actuellement, les relations s’illustrent plus par une présence militaire française sur le continent noir que par une coopération économique, cette rencontre est une occasion de reformuler les discours de la France-Afrique.

La sécurité avant tout
Le président français, Hollande, entouré de dirigeants africains, lors d'un sommet consacré à la lutte contre Boko Haram à Paris en 2014. (Photo : AP)

Vendredi dans la capitale du Mali, aux côtés du président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, François Hollande doit réunir près d’une quarantaine de chefs d’Etat africains. En 1973 à l’époque de Pompidou, la première rencontre organisée sur initiative du président nigérien, Hamani Diori, visait à établir un cadre de dialogue entre la France et l’Afrique francophone en pleine période postcoloniale, avant de s’étendre plus tard à l’Afrique lusophone et anglophone. 44 ans après, le continent noir est encore observé par Paris sous le prisme des défis sécuritaires. Malgré un discours officiel sur la coopération et une diplomatie qui se veut économique, la France se positionne comme le gendarme du continent. Le prochain sommet se tiendra à Bamako les 13 et 14 janvier avec pour thème « Le Partenariat, la paix et l’émergence », mais pourtant l’ambiguïté se lit toujours dans les discours. « Nous sommes toujours dans une sorte d’anachronisme historique. L’Afrique s’est vraiment mondialisée, mais la France a tendance à regarder le continent africain sous le seul rapport bilatéral », estime Antoine Glaser, écrivain français fondateur de la Lettre du continent, lettre bimensuelle consacrée à l’Afrique et ancien directeur de la rédaction d’Africa Intelligence. Selon lui, « la France a été le gendarme de l’Afrique au nom de l’Occident tout au long de la guerre froide, pour qu’elle ne passe pas du côté de l’est et de l’Union soviétique. Maintenant, elle est le gendarme de l’Europe contre le terrorisme et le djihadisme. Et l’on voit bien qu’elle n’a pas réussi à mobiliser ou à intéresser ses partenaires européens ». Pour Glaser, auteur de plusieurs livres sur l’Afrique dont le plus récent est Arrogant comme un français en Afrique (Fayard), le véritable problème réside dans le processus de mondialisation de l’Afrique qui a débuté après la chute de Berlin, sans provoquer de réaction à Paris ni de modification de sa politique africaine. Celle-ci a continué de partager un discours convenu gagnant-gagnant malgré un déséquilibre entre « un pré carré africain » et un « paternalisme français ». Selon lui, les sommets Chine-Afrique ou Inde-Afrique affichent des visions plus globales et sont ouverts à différents domaines. « Mais avec la France même si la rencontre englobe les anglophones, le noyau dur reste le pré carré africain. Les caisses de la France se vident de plus en plus mais la présence militaire française montre que la France n’a pas changé, comme si on vivait encore la période de la guerre froide ou la période post-coloniale ». Récemment, les actions militaires françaises se sont renforcées avec la force française Licorne en Côte-d’Ivoire, la force Sangaris en Centrafrique ou encore l’intervention contre Boko Haram au Nigeria.

Le sécuritaire l’emporte sur l’économique

70 % de la coopération militaire française est destinée au continent noir. En 2015, on estime le nombre de militaires français en Afrique à environ 9 000 hommes contre 5 000 en 2012. Quant à sa participation dans les relations commerciales de l’Afrique, elle a diminué de moitié en passant de 10,1 % en 2000 à 4,7 % en 2011 et aujourd’hui elle est devancée par l’Allemagne. Cela semble lié au quinquennat de François Hollande principalement axé sur des questions sécuritaires. « Quand Hollande est arrivé au pouvoir, il y a 5 ans, il critiquait le désengagement de la France en Afrique. Son discours était principalement axé sur l’économie, mais quand on fait le bilan aujourd’hui, les Français se sont surtout montrés actifs sur le plan militaire », explique Thomas Hofnung, ancien journaliste chargé de l’Afrique et des questions de défense au quotidien français Libération. Et d’ajouter : « Le cheminement de Hollande est assez étonnant vis-à-vis de l’Afrique. On est passé d’un président qui, au début de son quinquennat, hésitait à se rendre au sommet de la Francophonie organisé à Kinshasa par le président congolais Kabila, à un président accueillant en grande pompe le président du Tchad, car il est l'un des acteurs-clés de la sécurité ». Après l’affaire Boko Haram, face à une crainte de débordements vers le Tchad et le Niger, nous avions pu observer une volonté de joindre l’économique au sécuritaire. En 2015, la France avait ainsi tenu un sommet économique avec l’Afrique, mais là encore, la question sécuritaire l’a emporté sur toute autre considération. « A part le Nigeria ou bien le Niger, qui sont des pays stratégiques car leur uranium alimente les centrales nucléaires françaises, il n’y a pas d’intérêt économique majeur pour la France en Afrique », explique Hofnung, auteur de La Crise ivoirienne (la découverte). Il se justifie en citant le récent livre de l’ancien ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, 37, Quai d’Orsay. diplomatie française 2012-2016. « Il y parle de grands dossiers : la Syrie ou l’Iran et il ne parle quasiment pas de l’Afrique, car elle a été complètement gérée par le ministre de la Défense », explique Hofnung, contacté par téléphone. Et le sommet ? « On va être dans la schizophrénie », résume Antoine Glaser. « Un discours de partenariat, émergence africaine ou nouvelle frontière ... un discours qui s’adapte à l’Afrique, mais en réalité on est toujours face à des problèmes sécuritaires … la France reste plus que jamais le gendarme de l’Afrique ».

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