Le statut d'ONG ne changera en rien les activités des Frères.
Anticipant un verdict négatif sur le statut légal de leur confrérie, les Frères musulmans ont demandé de se faire enregistrer en tant qu’Organisation Non Gouvernementale (ONG), une demande qui leur a été tout de suite accordée par le ministère des Affaires sociales. La justice égyptienne examine actuellement un recours réclamant la dissolution de la confrérie, dont le président Mohamad Morsi et près de la moitié des parlementaires sont issus. Le 20 mars, un comité consultatif judiciaire avait estimé que le mouvement n’avait aucun statut légal.
Ce comité a recommandé à la Haute Cour administrative de rejeter l’appel de la confrérie contre la décision prise en 1954 par le Conseil de commandement révolutionnaire qui l’a déclarée illégale et a ordonné sa dissolution. Cet avis, non contraignant, a mis la confrérie sur la défensive, d’où sa décision de régulariser son statut en se faisant passer pour une « association ». Officiellement interdite mais tolérée par le pouvoir durant des décennies, la confrérie a toujours gardé le secret concernant ses finances, affirmant à plusieurs reprises avoir gagné des procès confirmant sa légalité du temps du président déchu Hosni Moubarak.
Ce nouveau statut permettra au ministère des Affaires sociales de « suivre toutes les activités » de la nouvelle organisation, selon la ministre Nagwa Khalil. Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, explique les implications de cette transformation : « La structure et le rôle de la confrérie doivent être modifiés conformément à la loi régissant la société civile. Les ONG ne doivent pas s’impliquer dans la politique. Plus important encore, la structure de la confrérie et ses instances (son conseil de la choura et son bureau de guidance) doivent être substituées par un organigramme administratif. La confrérie sera également obligée de révéler ses sources de financement ».
Cependant, de nombreux observateurs trouvent très peu probables de tels changements. Maintenant que ce mouvement détient le pouvoir, il lui est aisé d’instrumentaliser à son profit les lois et les institutions publiques. Déjà, l’acceptation immédiate par le ministère des Affaires sociales soulève des doutes quant à la transparence de la procédure. La confrérie « remplit toutes les exigences de la loi des ONG », a affirmé la ministre Nagwa Khalil. Or, cette loi (84/2002), que les Frères ont d’ailleurs toujours fustigée, interdit aux ONG toute activité politique ainsi que tout financement étranger, deux exigences auxquelles la confrérie ne prétend pas se conformer. « Le fait de se transformer en une ONG, malgré notre rejet de la loi actuelle adoptée par l’ancien régime pour étouffer la société civile, vise à barrer la route à ceux qui manoeuvrent contre nous », reconnaît Mahmoud Ezzat, l’adjoint du guide suprême de la confrérie.
Histoire de légitimité
La légalité de la confrérie des Frères musulmans a été contestée peu après sa création en 1928 comme association caritative et de prédication. Toutefois, les Frères ont de loin dépassé la prédication pour se lancer dans des activités clandestines dès les années 1940 quand ils furent accusés de l’assassinat du premier ministre, Al-Noqrachi pacha. Le roi Farouq a été le premier à ordonner la dissolution de la confrérie en 1948, suivi par le président Gamal Abdel-Nasser en 1954. Ceci n’a jamais empêché les Frères de devenir au fil des années la force politique la plus organisée et la plus influente.
Après la chute du président Moubarak, l’interdiction de la confrérie a été levée en février 2011 et les Frères musulmans ont formé un parti politique qui a fini par dominer les élections parlementaires. Mais les Frères ne reconnaissent pas l’histoire de leur légitimité contestée. Pour eux, le fait de se transformer en ONG ne change en rien leur légitimité bien établie depuis plus de 8 décennies. Mahdi Akef, l’ex-guide suprême de la confrérie qui vient d’être choisi comme président de la nouvelle « Association des Frères musulmans », ridiculise l’impact de cette nouvelle déclinaison sur l’influence et l’ampleur du mouvement. « Appelez-la comme vous voulez. La confrérie restera profondément ancrée en Egypte comme dans beaucoup d’autres pays », dit Akef.
Une loi sur mesure
Une solution pour exclure dans les faits la perspective d’un changement exigé par la loi serait de changer celle-ci. En effet, une nouvelle loi sur les ONG est actuellement discutée par le Sénat à majorité islamiste. « Pour sortir de ce dilemme, les Frères sont en train de mijoter dans le Sénat une loi sur les ONG taillée sur mesure. Selon ce nouveau texte, les ONG seront autorisées à créer des structures locales ainsi que des branches à l’étranger. Le nouveau texte devra également permettre le financement provenant de l’étranger », explique Chéhata Mohamad, directeur du Centre arabe pour la transparence. En attendant la nouvelle loi, les Frères ne manquent pas d’arguments pour coexister avec la loi en vigueur.
« La loi interdit les fonds provenant de gouvernements étrangers, or le financement de la confrérie provient de donations de la part de particuliers », avance Ahmad Abou-Baraka, conseiller juridique du Parti Liberté et justice. Pour ce qui est des activités politiques, également interdites aux ONG par la loi, « elles continueront sous la bannière du Parti Liberté et justice, qui prétend être indépendant de la confrérie », prévoit le politologue Ammar Ali Hassan.
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