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Tiran et Sanafir, une affaire à rebondissements

May Al-Maghrabi, Jeudi, 05 janvier 2017

Des décisions judiciaires et gouvernementales prises cette semaine ravivent le débat sur le sort de l'accord de rétrocession des îles de Tiran et Sanafir à l’Arabie saoudite. Explications.

Tiran et Sanafir, une affaire à rebondissements

Samedi 31 décembre, le Tribunal des référés (tribunal des affaires urgentes) du Caire a confirmé la suspension d’un jugement annulant l’accord sur la rétrocession à l’Arabie saoudite des îles de Tiran et Sanafir du golfe de Aqaba, signé en avril dernier.

Deux jours auparavant, le Conseil des ministres avait donné son aval à cet accord et l’avait transmis au parlement pour approbation. Tout ceci, alors que la Haute Cour administrative ne s’est pas encore prononcée sur un pourvoi présenté par le gouvernement contre l’invalidation de l’accord.

Rejetant la présentation de l’accord au parlement, des avocats ont déposé, samedi dernier, une plainte réclamant la non-compétence du parlement de trancher l’affaire. Autant de rebondissements qui laissent présager divers scénarios concernant ces deux îlots.

La récente décision du Tribunal des référés a été également critiquée par les avocats qui contestent l’accord de rétrocession. « Cette décision n’a aucune valeur, car l’affaire relève de la compétence de la justice administrative. On est dans le cas d’une juridiction (Tribunal des référés) qui empiète sur la compétence d’une autre qui lui est supérieure », a réagi sur sa page Facebook Khaled Ali, l’un des avocats ayant contesté la validité dudit accord. Nour Farahat, ancien professeur de droit, partage cet avis. « Le Tribunal des référés n’a pas de jurisprudence pour se prononcer sur un tel dossier. Seule la Cour administrative est en mesure de statuer sur une décision du gouvernement », dit-il. « Les articles 50 et 54 de la loi du Conseil d’Etat stipulent que les tribunaux des référés ne sont pas compétents pour suspendre les verdicts des tribunaux administratifs », ajoute Farahat.

Signé le 9 avril dernier, cet accord entre l’Egypte et l’Arabie saoudite concerne la délimitation des frontières maritimes entre les deux pays. En vertu de cet accord, les deux îles de la mer Rouge, Sanafir et Tiran, ont été reconnues saoudiennes par l’Egypte. Selon le gouvernement, ces îles n’ont jamais été égyptiennes, et c’est en 1950 que Riyad avait demandé à l’Egypte « d’assurer leur sécurité ». En revanche, ceux qui s’opposent à la rétrocession des îles à l’Arabie saoudite se réfèrent, entre autres, à un traité datant de 1906 (soit un quart de siècle avant la création de l’Arabie saoudite) et qui accordait à l’Egypte la souveraineté sur Tiran et Sanafir.

Controverse juridique

Cette controverse s’est transformée en litige juridique. C’est la nature de l’accord, notamment la notion de « la souveraineté », qui est au centre des procès. En vertu de l’article 151 de la Constitution, le président de la République a le droit de conclure des accords et des conventions internationaux, qui ne sont ratifiés qu’après l’approbation du parlement, à l’exception des accords relatifs aux droits de souveraineté. Ceux-ci ne peuvent être ratifiés que par référendum. Aucun accord impliquant l’intégrité territoriale du pays ne peut cependant être conclu. C’est en se référant à cet article que l’avocat, Khaled Ali, a intenté un procès devant la justice administrative, pour contester la validité de l’accord de délimitation des frontières. Il a obtenu l’annulation de la rétrocession par une décision du Conseil d’Etat en juin 2016. Le Conseil d’Etat a ainsi rejeté l’argument des avocats du gouvernement selon lequel la rétrocession des îles « relève d’un acte de souveraineté » qui ne concerne donc pas la justice.

Plusieurs scénarios

Après la suspension de la décision annulant l’accord par le Tribunal des référés, les juristes avancent plusieurs scénarios dans une tentative d’anticiper l’issue de cet imbroglio juridique.

Le magistrat Bahaa Abou-Choqqa, chef de la commission législative au parlement, énumère plusieurs scénarios possibles. Le parlement peut approuver l’accord en tant que convention internationale sur la démarcation des frontières et l’envoyer au président de la République pour ratification. Le parlement peut aussi refuser l’accord, considérant le dossier comme une affaire de souveraineté relevant du président de la République. Dans ce cas, l’accord sera soumis à un référendum. Le troisième scénario est le rejet de l’accord par le parlement en se basant sur le verdict de la justice administrative, ce qui impliquerait la renégociation de l’accord avec l’Arabie saoudite.

Le député Moustapha Bakri affirme que le dossier sera étudié cette semaine au sein de la commission des affaires législatives pour déterminer la nature de l’accord et les procédures à suivre. « La commission législative du parlement décidera s’il s’agit d’un accord relatif à la souveraineté ou d'un simple accord international. Tous les documents confirmant ou infirmant le droit de l’Egypte à ces îles seront pris en considération. Des séances d’audience seront organisées et des spécialistes du droit international et maritime, ainsi que des professeurs d’histoire y seront invités pour expliquer leur point de vue aux députés », explique-t-il. « Au cas où le parlement approuverait par unanimité l’accord en question, il entrera en vigueur tout de suite après sa ratification par le président de la République », affirme Bakri.

Le député indépendant Haytham Al-Hariri, l’un des rares parlementaires à s'être exprimés contre l’accord, trouve que le gouvernement ne devrait pas en premier lieu transmettre l’accord au parlement avant que la justice ne dise son dernier mot. « C’est une violation claire des prérogatives de la justice administrative et de l’Etat de droit », lance Al-Hariri. Il se demande : quelle serait la situation si le parlement approuvait l’accord et que la justice administrative l’invalidait ?

Le combat judiciaire ne semble pas toucher à sa fin puisque la Haute Cour administrative doit rendre sa décision le 16 janvier, alors que le 9 février, la justice examinera un nouveau procès intenté contre le gouvernement pour avoir approuvé l’accord avant la décision de la justice. Affaire à suivre ...

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