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Graffs : La calligraphie passe à l’abstrait

Alban de Ménonville, Lundi, 25 mars 2013

Arabic Graffiti présente les dernières tendances d’un art en pleine évolution. Loin des styles traditionnels, les mots ont perdu leurs sens et les lettres leurs formes. Seuls demeurent les lignes et les points.

Contrairement à ce que suggère son titre, Arabic Graffiti n’a rien à voir avec les graffitis arabes. C’est un livre sur la calligraphie, plus précisément sur celle visible dans les rues de Beyrouth et de Paris. Car comme les artistes le prouvent tous les jours en Egypte, le graff ne se limite pas à la calligraphie. Fresques murales, pochoirs, portraits … Ce que l’on peut voir dans la rue Mohamad Mahmoud et ailleurs entre bien dans la catégorie des graffs, mais pas dans l’ouvrage de Pascal Zoghbi et Stone Aka Don Karl.

Derrière le titre un peu trop ambitieux — et d’ailleurs réducteur pour les autres formes de street-art — se cachent quelques pages magiques où les lettres dansent dans des oeuvres à l’architecture millimétrée. La calligraphie ne laisse pas de place au hasard. Mathématique, symétrique, rationnelle, elle puise dans la rigueur de l’alphabet sa matière première et dans les mots son aspect final. Pour ces artistes, les styles thoulouthi, rowéï ou koufi ont peu d’importance. Ce qui importe c’est de faire voler les « L », de faire tournoyer les « f » et de prolonger les « S » à l’infini. C’est ce que fait Julien Breton, un des artistes de l’ouvrage, originaire de France. C’est aussi ce que fait Hest, un graffeur parisien qui décore les ponts de Montréal. Le mot en lui-même a peu d’importance pour ces deux graffeurs. L’alphabet arabe est pour eux une palette de couleurs servant de matière première à l’oeuvre.

Livre

Si leur art reste de la calligraphie arabe, leur rapport éloigné à la langue enlève aux mots leur connotation et apporte à leur travail une pureté certaine, un détachement face au sens qui leur permet de placer la ligne au coeur de leurs créations. En complète contradiction avec le street-art des pays du Printemps arabe, Arabic Graffiti comporte néanmoins un chapitre sur l’art de la résistance, en Palestine bien sûr. Le mur de l’apartheid, dans son horreur sioniste, reste un support sans égal pour les graffeurs palestiniens. Quelques photos inédites s’ajoutent à la longue liste des célèbres clichés du mur de séparation. Beyrouth occupe aussi une place de choix dans les 200 pages du livre, mais aucune tendance particulière ne se détache, les graffs étant simplement présentés comme un reflet des aspirations libanaises.

Capacité d’inspiration

Livre

C’est véritablement dans l’autre moitié de l’ouvrage, consacrée à la calligraphie, que réside l’originalité du contenu. Notamment dans la capacité d’inspiration de l’alphabet arabe même pour des artistes qui ne le comprennent pas. Sadhu, diplômé des beaux-arts de Paris, calligraphie en arabe l’alphabet latin. Comprendre qu’il transforme les lettres latines en leur donnant une apparence de calligraphie arabe. Les mots restent lisibles, mais de loin on croirait lire de l’arabe. Même inspiration pour un autre artiste de l’ouvrage, Monsieur Cana. Le français, sa langue maternelle, n’est pas sa langue de travail : l’arabe offrant des possibilités d’écriture plus vastes. Un constat s’impose : la nouvelle calligraphie arabe n’est plus seulement arabe. Le rowéï et le koufi ont dépassé, les frontières et inspirent des artistes sans rapport naturel avec la culture arabe. Pour ces artistes, la calligraphie est un style purement esthétique propice à la création. D’où l’émergence d’une calligraphie abstraite réduite à sa forme essentielle : les lignes et les points . Arabic Graffiti, Pascal Zoghbi et Stone Aka Don Karl, Ed. From Here to Fame, 2012. Version française aux éditions Eyrolles.

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