Dès les premiers jours de la révolution, la place Tahrir était devenue un symbole, un véritable mythe. Personne ne peut oublier les manifestants du mouvement Occupy Wall Street aux Etats-Unis qui demandaient à transformer Wall Street en place Tahrir. On pouvait d’ores et déjà s’inspirer des Mythologies de Roland Barthes pour déchiffrer et analyser ce mythe de la place Tahrir. Mais près d’un an et demi après la révolution, le mythe de Tahrir a subi quelques transformations. Les images de la lutte collective des Egyptiens contre les forces de l’ordre place Tahrir avaient transformé la paisible place du Caire en un lieu hautement symbolique porteur d’un mythe positif. « L’importance des 18 jours de la révolution est qu’ils nous montrent comment cette place a constitué, du point de vue spatial et temporel, une preuve indéniable du conflit éternel contre l’oppression et le pouvoir », écrit l’historien Khaled Fahmi. Mais il semble que la place ne porte plus aujourd’hui les mêmes connotations. L’image a certes subi de nombreuses retouches. Surtout après l’avènement des Frères musulmans à la tête de l’Etat. « Ils ont gagné ! La triste histoire de la place Tahrir ». Ainsi, Sylvie Kauffman titrait son article dans le quotidien français Le Monde, pour décrire les résultats de l'élection présidentielle.
Elle dénonçait la phallocratie dominante dans les esprits de certains Egyptiens qui occupaient la place et pratiquaient un narcissisme identitaire et sexiste, dont la preuve était le harcèlement sexuel subi par les manifestantes. Le rapport de Reporters sans frontières a mis en garde contre une campagne systématique de haine contre la presse internationale exercée sur la place Tahrir, en la considérant comme l’un des 10 lieux les plus dangereux pour les journalistes sur la planète en 2011, au même titre que la région mexicaine de Veracruz contrôlée par les cartels du narcotrafic, ou encore Mogadiscio en Somalie. D’autres images et d’autres événements plus douloureux ont négativement marqué le mythe de la place Tahrir.
Combattre la révolution
Les graffitis constituent dans la culture de l’underground un témoin. Face à la falsification pratiquée par les médias, le graffiti s’est très vite posé comme une preuve de « ce qui était là » !
L’image dégradée de la place Tahrir, nourrie par la présence des hommes de main ou des marchands ambulants qui travaillent avec les forces de sécurité, n’avait de point positif que les dessins griffonnés sur les murs, notamment ceux de la rue Mohamad Mahmoud. Ces graffitis ont été effacés par les services municipaux, qui ont repeint en jaune mate tous les dessins témoignant de la lutte des révolutionnaires contre le pouvoir corrompu. Effacer les images des martyrs et celles des personnes qui ont perdu la vue par les cartouches de la police va-t-il faire cesser les revendications de liberté, de justice et de démocratie des révolutionnaires et des graffitistes ?
Ces traces sur les murs étaient le dernier témoin de ces instants et moments vécus durant et après la révolution, où l’euphorie se mélangeait à la douleur. Les graffitis sur les murs étaient le fruit de ce non-dialogue entre les citoyens et l’ancien régime qui a pris fin dans le sang. Effacer ces dessins et slogans était d’une certaine manière un moyen d’anéantir les traces de la révolution. Ou était-ce une tentative musclée de la part des autorités d’imposer une fois de plus sa mainmise sur la rue Mohamad Mahmoud, symbole de la rébellion et de la résistance ?
Bref, le respect témoigné aux personnes ayant perdu la vie sur cette fameuse place est témoin de la grandeur de notre nation, qui respecte d’abord « ceux qui étaient là ». La symbolique de la rue Mohamad Mahmoud est qu’elle représente la révolte des opprimés contre le dictateur. Et ceci a fait que la place a intégré le petit club des mythes du XXIe siècle. Aujourd’hui, la place Tahrir relance la révolte, mais dans un contexte social et politique. Le nettoyage des graffitis a attiré quelques milliers de manifestants qui sont venus soutenir les graffitistes et les encourager à redessiner la rue Mohamad Mahmoud.
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