« Le nouvel Iraq servira d’exemple démocratique qui pourra se propager à d’autres pays de la région », avait lancé George W. Bush, le 26 février 2003. Il se préparait alors à envoyer ses troupes à Bagdad. Selon la vision américaine, l’instauration par la force de la démocratie en Iraq avait pour avantage de lutter efficacement contre le terrorisme international et de garantir la sécurité nationale des Etats-Unis.
Exporter la démocratie — version américaine — en Iraq est rapidement devenu la seule issue pour l’administration Bush. Celle-ci a mobilisé toutes les machines de propagande pour justifier sa guerre, après que les deux autres prétextes, la possession d’armes de destruction massive et la relation avec Al-Qaëda, se sont avérés infondés.
Mais la démocratisation annoncée haut et fort par la coalition américano-anglaise s’est finalement soldée par un démantèlement de l’Etat iraqien.
10 ans après l’invasion, l’Iraq est désormais « libre » : le dernier soldat américain est parti le 28 décembre 2011, mais sans laisser la moindre trace concrète de cette dite démocratie.
Crise politique profonde
Le pays est aujourd’hui enlisé dans une crise politique qui ne cesse de s’aggraver. Le clivage entre les deux communautés religieuses, les chiites et les sunnites, mais aussi entre les ethnies arabes et kurdes, s’exacerbe. Et les chrétiens, historiquement ancrés dans la région, ont choisi de quitter le pays.
« Les intentions américaines en Iraq n’étaient pas du tout démocratiques. La preuve en est que le processus de reconstruction politique instauré par les Américains en Iraq n’a aucun lien avec la démocratie. Fondé sur des bases ethniques et confessionnelles, ce système politique est aujourd’hui à l’origine de tous les maux », estime Mohamad Abdel-Qader, spécialiste de l’Iraq auprès du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
En juillet 2003, sous l’influence des anciens opposants chiites et kurdes du régime de Saddam Hussein, les Etats-Unis ont formé le premier conseil de gouvernement provisoire. Mais ce conseil a été créé en fonction des différentes composantes de la population autour d’un système de quotas et non selon les projets des partis politiques.
En septembre 2003, la nomination des 25 ministres du premier cabinet de l’après-Saddam s’est faite selon ces mêmes critères : treize ministres chiites, cinq sunnites, cinq Kurdes, un chrétien et un turcoman. Une division similaire s’est aussi opérée dans la majorité des autres institutions du pays. Pis encore selon Abdel-Qader, ce quota sectaire s’est étendu du champ politique aux régions, ce qui laisse la porte ouverte à une balkanisation, soit une division de l’Iraq en trois parties. Ainsi les sunnites se concentrent au centre du pays, les chiites dans la capitale et dans les villes du sud et les Kurdes au nord.
On peut le dire, sous l’invasion, la monopolisation du pouvoir a changé de bord. Les chiites, hier dans les rangs de l’opposition de Saddam Hussein, majoritaires dans la population, se trouvent en tête du pays. Les sunnites, minoritaires, quant à eux, manifestent toujours contre la discrimination dont est victime leur communauté depuis la chute de Saddam Hussein en 2003. En conséquence, il s’avère extrêmement difficile en Iraq de constituer un gouvernement. Il a fallu cinq mois pour en former un en 2006 et neuf mois pour un autre en 2010.
De plus en plus dramatique
L’Iraq glisse à nouveau vers un régime autoritaire. Nouri Al-Maliki, premier ministre chiite depuis 2006, décrit par les Américains comme étant un démocrate, fait toujours face à des contestations populaires qui le qualifient de « nouveau dictateur ». Al-Maliki est accusé par toutes les factions politiques de tenter d’asseoir définitivement son pouvoir. Al-Maliki a, en effet, habilement interprété son rôle de « commandant en chef » des forces armées pour procéder lui-même aux nominations des centaines de commandants et d’officiers, sans recourir au vote du Parlement.
Al-Maliki a aussi opté pour une nomination d’un certain nombre de ses partisans, imposant ses proches aux fonctions-clés de l’appareil d’Etat.
La ressemblance est ainsi assez frappante entre ce qu’était le parti Baas sous Saddam Hussein et ce qu’est aujourd’hui le parti Daawa de l’actuel premier ministre iraqien, avec dans les deux cas des pratiques clientélistes, de patronage, de népotisme. On peut presque parler aujourd’hui de « rebaassisation » de l’Iraq au plan politique.
Les différentes étapes de ce processus démocratique, dont a témoigné l’Iraq sous l’invasion, comme l’organisation des élections et la rédaction d’une nouvelle Constitution, ont pris place en totale déconnexion avec la rue iraqienne malgré la large participation que flattaient les Américains, la considérant comme signe de démocratie.
« La plus grande erreur des Etats-Unis c’est le processus d’une destruction des institutions : l’armée, les appareils sécuritaires aussi bien que les institutions éducatives et sociales, avec eux l’identité iraqienne, ce qui rend aujourd’hui très difficile de reconstruire un pouvoir politique globalisant », c’est ce que conclut le politologue Achraf Al-Chérif, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire (AUC).
Alors qu’Obama a sonné le rappel de ses troupes le 28 décembre 2011, il a laissé le pays en plein désordre. Ses derniers mots ont été que « les Iraqiens traversaient des difficultés politiques naturelles dans une démocratie qui débute ».
Agenda militaire de Bush
La défaite des Etats-Unis en Iraq est une grande illustration de l’échec du projet remodelage du Moyen-Orient et où l’invasion de l’Iraq en avait été « la première pierre », selon les propos de Bush. En fait, l’intervention militaire en Iraq pour ladite instauration de la démocratie n’était pas la seule dans l’agenda militaire de Bush. « Ce dernier a envoyé ses troupes à Bagdad en pensant déjà : à qui le tour après », lance Abdel-Qader, ajoutant : « Mais les troupes américaines sont restées 8 ans à réfléchir pour sortir du bourbier iraqien ».
L’éclat de la politique de « démocratisation » de l’administration Bush s’est éteint avec la victoire remportée par le Hamas lors des élections démocratiques en 2006 en Palestine. « A ce moment, les Etats-Unis ont saisi que la démocratie ne donnait pas de bons résultats du point de vue américain, et que leurs pressions sur des régimes alliés pour laisser une marge de libertés et former des gouvernements de carton ont finalement mené à l’émergence des groupes hostiles aux Etats-Unis », estime Abdel-Qader.
Avec l’arrivée d’Obama, la stratégie américaine a changé d’orientation. La question de la démocratie dans le monde arabe n’a plus eu de priorité. Obama, adoptant une politique pragmatique, selon Al-Chérif, s’intéresse plus à entretenir des relations avec des régimes stables plutôt que démocratiques. « C’est dans ce contexte que Washington perçoit aujourd’hui le règne des islamistes qui ont pris le pouvoir après les révolutions arabes, et qui pratiquent ce qu’on appelle la démocratie conservatrice, en maintenant les différents processus de démocratie comme les élections », explique-t-il.
Aujourd’hui, l’expérience dramatique de l’intervention militaire américaine en Iraq est toujours dans la mémoire d’Obama qui a appris la leçon et résiste à toute pression pour s’engager militairement en Syrie. De plus, le président Obama refuse de fournir des armes aux opposants au régime de Damas et s’en tient à une aide non létale, avec une assistance directe alimentaire et médicale à la rébellion sur le terrain.
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