En Syrie, un renforcement de Bachar avant tout
La Syrie s’est imposée ces derniers mois comme le dossier plus chaud dans la région, mais aussi en dehors de la région, puisqu’il met en scène des tiraillements internationaux et régionaux susceptibles de changer l’équilibre géostratégique mondial. La reprise d’Alep, la deuxième ville du pays, en décembre dernier, par le régime du président syrien, Bachar Al-Assad, est un tournant majeur à même de dessiner le cours que prendront les choses dans les mois à venir. Un tournant qui a permis à la Russie et à la Turquie de mettre en place un cessez-le-feu et de faire passer une résolution soutenant cette initiative. Cette résolution de compromis n’a toutefois pas entériné les modalités de l’initiative de Moscou et d’Ankara. C’est aussi la première fois depuis le début de la guerre en mars 2011 que les Etats-Unis, soutien de l’opposition, ont été écartés d’une initiative de paix en Syrie.
Ce qu’il faut d’abord retenir de la victoire d’Alep et de cette trêve, c’est que c’est une victoire aussi importante pour lui que pour la Russie et l’Iran, ses deux principaux alliés. Les deux pays ont d’ailleurs salué cette « victoire », et le Kremlin n’a pas manqué de préciser que « la coopération entre Téhéran et Moscou (...) allait se poursuivre ». Il s’agit donc d’un tournant non seulement dans la guerre en Syrie, mais aussi dans l’équilibre géostratégique de la région. En Syrie, cela devrait garantir, du moins à moyen terme, le maintien au pouvoir du président syrien Bachar Al-Assad. Au-delà de cette donne, cela marque l’émergence d’alliances entre régimes autoritaires, face à un Occident ayant choisi de rester en retrait et d’oublier les rêves démocratiques qui avaient déclenché le conflit en 2011. Et consacre une nouvelle alliance de vainqueurs, à savoir la Russie, l’Iran et la Turquie (cette dernière semble en train de lâcher du lest par rapport à sa position initiale en faveur du départ d’Assad), face aux Occidentaux et monarchies du Golfe relégués au rang de spectateurs après le camouflet qu’ils ont reçu. Ces dernières vont donc elles aussi subir les conséquences de l’après-Alep : elles font face désormais à un double défi, Bachar Al-Assad lui-même, et la nouvelle alliance entre la Russie, la Turquie et l’Iran, le tout, doublé d’un certain désengagement américain à leur égard. Selon l’analyste politique Hassan Nafea, « le camp qui soutenait l’opposition s’affaiblit. Du coup, toutes les factions et les milices qui combattent sur le terrain seront affaiblies par la même, puisqu’elles ne recevront plus le même soutien militaire et financier des Saoudiens et des Qataris ».
Suite à ces changements dans l’équilibre des forces, ajoute le politologue, « le règlement de la crise syrienne dépendra désormais d’autres forces : Moscou, Téhéran et Ankara, cette dernière ayant changé de cap et misant actuellement sur un règlement politique qui garantisse en premier lieu sa propre sécurité ». Conséquence : « l’avenir de la Syrie dépendra de la capacité de Moscou de trouver un règlement qui satisfait à la fois la Turquie et l’Iran », explique l’expert. Or, selon lui, ce n’est pas une tâche facile, « notamment en raison des divergences turco-iraniennes sur la question kurde ».
Une tâche difficile pour d’autres raisons aussi. Car il ne faut pas oublier que la Syrie, ce n’est pas seulement Alep. « C’est vrai qu’en 2016, la Russie a eu un rôle de premier plan, mais c’est surtout grâce à son appui militaire. Or, le règlement politique qu’elle peut présenter ne risque pas de plaire à tout le monde. Certes, l’opposition est aujourd’hui faible, mais on l’imagine mal serrer la main à Bachar. Et il y a aussi l’opposition armée qui, elle, continuera à se battre jusqu’au dernier souffle. Sans compter Daech, toujours influent en Syrie, et les autres groupes terroristes qui préfèrent semer le chaos plutôt que de céder », explique Dr Sameh Rached, spécialiste dans les affaires régionales et analyste auprès du magazine Al-Siyassa Al-Dawliya (politique internationale). Bref, 2017 sera l’année du renforcement de Bachar, mais pas celle de la fin de la guerre
En Libye, l’incertitude comme mot d’ordre
La Libye a célébré le 17 décembre dernier le premier anniversaire des accords de Skhirat (Maroc), conclus sous l’égide de l’Onu et qui ont mis en place le Gouvernement d’union nationale (GNA), « seul gouvernement légitime de la Libye » pour la communauté internationale. Pas de quoi trop se réjouir, le GNA, dirigé par Fayez Al-Sarraj, est toujours en manque de légitimité — le parlement de Tobrouk ne l’a toujours pas approuvé —, et il ne contrôle toujours pas l’ensemble du pays. Seule victoire, il a repris fin 2016, après plusieurs mois de combats meurtriers, la ville de Syrte qui était tombée aux mains des djihadistes de l’EI en juin 2015. Une victoire certes importante, mais qui, paradoxalement, risque de fragiliser le GNA : l’EI a été chassé de Syrte par la milice de Misrata, le maréchal Khafila Haftar, adversaire du GNA, en a profité pour s’emparer presque sans combattre du croissant pétrolier Libyen, lui permettant avec son allié, la milice de Zintan, de contrôler désormais toute la production pétrolière et gazière libyenne. Cette victoire a conduit le Conseil municipal de Misrata à donner des gages à Khalifa Haftar. Conclusion, ce dernier, aujourd’hui à la tête d’une véritable armée, est renforcé.
Car en Libye, les acteurs, internes comme externes, sont nombreux. Le GNA a reçu récemment, une fois de plus, des représentants de plusieurs pays occidentaux : l’Allemagne, l’Espagne, les Etats-Unis, l’Italie, la France et le Royaume-Uni. Ces pays ont renouvelé leurs appels au dialogue politique et à l’unification des forces de sécurité libyennes, alors que le pays est en proie aux milices et qu’une armée liée à une autorité rivale dans l’Est ne reconnaît pas le gouvernement de Tripoli.
Parallèlement, Haftar est soutenu par l’Egypte, la Russie et la Chine. Et, plus récemment par l’Algérie, où Haftar a été reçu en grande pompe fin décembre. Avant lui, le chef du parlement, Aguila Saleh, avait lui aussi fait le déplacement. Ainsi, la scène libyenne a connu d’importantes modifications durant l’année 2016, dont les implications auront en 2017 des impacts imprévisibles. Parallèlement à la reprise de Syrte, le maréchal Haftar et le parlement basé à Tobrouk ont conforté leur position stratégique en contrôlant Benghazi d’une part, et les bases pétrolières d’une autre part. Face à cela, l’accord de Skhirat paraît presque caduc. « Cet accord ne peut survivre que si certains articles sont modifiés », explique Dr Ziyad Aql, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « L’enjeu de la période à venir sera la modification des termes de cet accord pour qu’il réponde aux revendications de toutes les parties en conflit », explique-t-il. « En même temps, la communauté internationale va faire pression pour unifier les deux autorités. A ce sujet, la Russie jouera un rôle plus important et je pense que les Russes vont fournir des armes à l’armée libyenne dirigée par Haftar ». Mais le rôle de ce dernier reste peu clair et l’on fait face à un vrai paradoxe : sa présence sur la scène politique est refusée par plusieurs camps, en même temps, il devient de plus en plus incontournable.
Au Yémen, une impasse saoudienne
La crise que traverse le Yémen se cristallise, bien plus que les crises moyen-orientales, les tiraillements régionaux, ceux qui mettent face à face les deux puissances rivales de la région : l’Iran et l’Arabie saoudite, la première soutenant les Houthis, la deuxième engagée directement dans la guerre que mène le régime yéménite contre eux. Or, l’année 2016 s’est achevée sur un changement important concernant ces deux puissances. D’un côté, l’Iran, allié de la Russie et de la Syrie, a crié victoire suite à la reprise d’Alep qui, selon le général Yahya Safavi, un important conseiller du guide suprême Ali Khamenei en matière de politique étrangère, « renforcera encore le poids politique de la République islamique dans la région ». Un renforcement qui fait suite à l’accord sur le nucléaire conclu en 2015 et qui, lui aussi, était vu par Téhéran comme un début d’un retour en force. D’ailleurs, au Yémen, les rebelles houthis parviennent à résister malgré plus d’un an de bombardements de la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite, notamment grâce à la levée d’une partie des sanctions internationales dans la foulée de l’accord nucléaire de 2015.
De même, l’Arabie saoudite semble être, dans une certaine mesure du moins, lâchée par son allié américain, qui se désintéresse de la région en général. Un état des lieux qui semble en faveur de Téhéran et de ses alliés, sauf que le président américain élu, Donald Trump, voue une haine terrible à la République islamique, et ne compte pas lui permettre d’acquérir davantage de puissance.
Un paradoxe donc. Un équilibre dangereux qui risque de maintenir la situation telle qu’elle est au Yémen, « où la situation est encore plus compliquée et plus dangereuse », selon Hassan Nafea, c’est-à-dire concrètement en faveur du Houthis, sans pour autant que la situation soit définitivement tranchée. « Lâchée par ses soutiens, l’Arabie saoudite est dans une impasse : elle ne peut ni se retirer aussi simplement du Yémen, ni laisser les Houthis, c’est-à-dire l’Iran, selon elle, va l’emporter ».
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