Al-ahram hebdo : Les restrictions budgétaires marquant l’édition en cours du Festival de Dubaï ont-elles réduit le nombre de films projetés pour la première fois ?
Antoine Khalifé : Aucunement, bien au contraire, cette édition a présenté 57 premières internationales et 73 premières au niveau de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, sur un total de 156 films de 55 pays. Le vrai challenge, comme tous les ans, consiste à sélectionner les meilleures productions, notamment parmi les oeuvres arabes, vraiment remarquables cette année. Le comité de sélection, dont je suis membre, avec sans doute le directeur artistique du festival, le réalisateur émirati, Massoud Amr Allah Al-Ali, effectue un travail colossal, afin de faire les bons choix. On commence toujours au mois de février à préparer la prochaine édition, c’est-à-dire peu de temps après la fin du festival. Et le travail se poursuit jusqu’au mois de septembre. Donc, tous les ans, entre février et septembre, on fignole la programmation et on tient une réunion de coordination élargie regroupant les membres du comité de sélection tous les mois.
— Y a-t-il une tendance, parmi les organisateurs, à augmenter le nombre de films égyptiens participants à cette édition ?
— On n’impose pas à l’avance un quota pour tel ou tel cinéma, mais cela n’empêche que les productions égyptiennes sont d’une grande importance pour nous. Le seul critère qui compte pour nous c’est la qualité artistique. Et ceci s’applique cette année aux films égyptiens sélectionnés, même s’il y en a des fictions comme Youm Lel Settat (journée pour les femmes) et Al-Maa wal Khodra wal Wagh Al-Hassan (le ruisseau, le pré vert et le doux visage) qui n’ont pas été souvent chaleureusement reçues par les critiques en Egypte.
— Et qu’en est-il des films iraqo-kurdes que vous tenez à présenter tous les ans ?
— C’est un cinéma vraiment fascinant. Les créations iraqo-kurdes abordent des sujets assez beaux et assez importants, souvent aussi de manière romantique. J’aime la manière de voir de leurs cinéastes, qu’il s’agisse de longs ou de courts métrages. Du coup, je cherche à ce qu’ils soient présents.
— D’où vient l’engouement pour la technologie de la réalité virtuelle ou du multimédia immersif, permettant aux festivaliers d’interagir et de mener une expérience sensori-motrice ?
— Le monde change en permanence, et il faut suivre toujours les dernières évolutions.
— Certains festivals arabes souffrent de l’influence accrue des distributeurs de films, est-ce que cela pose un problème pour Dubaï, également ?
— Je comprends tout à fait la logique des distributeurs qui cherchent à projeter le plus grand nombre de ses films dans tel ou tel festival. Mais en même temps, je n’accepte pas qu’on essaye de m’imposer des films dont je n’ai pas besoin. Il vaut mieux entretenir un rapport plus sain, plus juste, avec les distributeurs, indispensables pour les organisateurs de festivals.
— Avez-vous des problèmes avec la censure ?
— Aucun problème. Nous visionnons les films avant de les soumettre à la censure. Il y a des films que nous écartons par nous-mêmes, jugeant qu’ils abordent des idées avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord. Par exemple, nous refusons de projeter des films qui critiquent directement la religion ou qui portent atteinte à la doctrine.
— Vous avez étudié la communication et la sociologie à l’Université Paris 7 où vous avez obtenu votre doctorat, en même temps, vous êtes actif dans le domaine de la programmation cinématographique. Avant de vous vous occuper de la section Films arabes à Dubaï, vous avez été dans le département Festivals à Unifrance. Comment parvenez-vous à allier autant d’activités ?
— J’apprécie le cinéma politique. Je respecte beaucoup ses créateurs. Le cinéma est avant tout un acte politique, que ce soit de manière directe ou indirecte. La vision politique d’un réalisateur marque sa filmographie. Je respecte aussi le « moi » cinématographique et je suis convaincu qu’un film peut constituer un acte révolutionnaire. Pour ce, je défends constamment les documentaires subjectifs, d’où mon intérêt particulier pour le film égyptien Nossour Saghira, de Mohamad Rachad (les aiglons) ou le film de la Libanaise Eliane Al-Raheb, Mayel ya Ghozeil (Those Who Remain) ou encore celui de l’Egyptienne Iman Fouad, La Jeanne d’Arc égyptienne. Je suis tombé amoureux de celui-ci, combinant le moi cinématographique et le politique.
Même dans la vie, je préfère les gens politisés, je ne supporte pas la légèreté d’être de ceux qui n’arrivent pas à se positionner.
— Qu’espérez-vous réaliser pour le Festival de Dubaï ?
— J’espère que l’on continue à suivre de près les activités cinématographiques et à présenter toujours de manière convenable les dernières créations arabes. C’est-à-dire dans des salles de haute qualité technique, en présence des créateurs, arabes ou occidentaux, qui viennent à la rencontre des distributeurs de partout dans le monde. Je tiens aussi à ce que le festival continue à être un véritable point de rencontre, prisé par les cinéastes à la recherche de soutiens financiers pour leurs nouveaux projets. Nous aspirons depuis toujours à être de vrais professionnels qui favorisent le réseautage et l’interaction, entre artistes, cinéastes, critiques et programmateurs. Et ce, sans omettre l’attention particulière que l’on accorde aux cinéastes issus du Golfe, notamment des Emirats arabes unis. Nous sommes fiers d’ailleurs de pouvoir projeter six longs métrages émiratis. Nous soutenons, également, le cinéma arabe à travers le fonds Engaz (achèvement) qui finance tout ce qui relève de l’après-production.
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