En menaçant de laisser entrer les migrants en Europe, Erdogan entend faire pression sur les dirigeants européens.
(Photo:Reuters)
Echange mutuel de menaces ou d’avertissements : tel est le type de la relation actuelle entre Ankara et l’Union Européenne (UE). Si ces relations sont crispées depuis plusieurs mois, la tension est montée d’un cran cette semaine avec le vote du parlement européen d’une résolution appelant à un gel temporaire du processus d’adhésion de la Turquie à l’UE. Et pour cause, les dérives autoritaires du président turc et les atteintes aux droits de l’Homme. Un vote certes non contraignant, mais qui aura son impact sur les relations déjà troublées entre Turcs et Européens.
En réponse, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a lui aussi haussé le ton. Dans un discours véhément prononcé samedi dernier contre l’Union européenne, il a rétorqué qu’il pourrait prolonger de trois mois au moins l’état d’urgence. « C’est une décision qui revient au gouvernement et au parlement turcs, est-ce le parlement européen qui décide pour ce pays ou est-ce le gouvernement ? Restez à votre place », a lancé le président turc. Critiqué, l’état d’urgence instauré après le putsch manqué du 15 juillet dernier a conduit notamment à l’arrestation d’au moins 37 000 personnes, ce qui a soulevé l’inquiétude de l’UE. Le président turc a donc pris une attitude défensive voire provocante : il a ainsi affirmé qu’il promulguerait le rétablissement de la peine capitale abolie en 2004 si les députés le votaient, une mesure jugée incompatible avec une adhésion à l’UE.
Les migrants, une carte de pression turque
Les avertissements d’Erdogan n’ont pas seulement concerné les affaires intérieures de son pays, mais ils ont touché aussi la sécurité de l’Europe, et c’est là le plus important. « Ecoutez-moi bien. Si vous allez plus loin, ces frontières s’ouvriront, mettez-vous ça dans la tête », a-t-il ouvertement menacé. Ce qui ne manque pas de susciter l’inquiétude des dirigeants européens qui craignent plus que tout l’arrivée en masse de migrants. En effet, si Erdogan se montre aussi sûr de lui, c’est justement à cause de la question des migrants, une vraie carte de pression qu’il use à bon gré contre les Européens.
Selon un accord turco-européen, la Turquie — qui abrite quelque 3 millions de réfugiés essentiellement syriens sur son sol — s’est engagée à fermer ses frontières et à garder ces réfugiés chez elle en contrepartie d’aides financières accordées par l’UE. Mais Ankara accuse les pays européens de ne pas envoyer l’aide financière promise, ce que Bruxelles dément. « L’accord entre la Turquie et l’UE doit être respecté et il le sera », a d’ailleurs répondu le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans un entretien paru samedi dans le quotidien La Libre Belgique. La porte-parole de la chancelière Angela Merkel a pour sa part déclaré vendredi que le fait de menacer l’accord sur les migrants n’avance à rien. « Nous considérons l’accord entre la Turquie et l’Union européenne comme un succès commun et la poursuite de cet accord est dans l’intérêt de tous les acteurs », a déclaré Ulrike Demmer.
En fait, depuis l’ouverture des négociations d’adhésion en 2005, jamais les relations turco-européennes n’ont été au plus bas. Si la question des migrants est en toile de fond de la crise, elle n’est pas la seule à l'avoir provoquée. En effet, il y a aussi les conséquences du coup d’Etat raté de juillet dernier, la position de l’Europe vis-à-vis de la question kurde, etc. Or, les deux parties ont intérêt à ce que la crise soit dépassée. Selon Bechir Abdel-Fattah, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques d’Al-Ahram, (CEPS), « tout cela n’est qu’une guerre de paroles reflétant le rapport de force entre les deux parties, ça ne va pas aller plus loin ». Et d’ajouter : « Depuis le lancement des négociations d’adhésion, celles-ci sont sans cesse entravées et n’avancent presque pas, et ce, à cause de l’attitude d’Ankara, qui tarde à respecter les engagements requis avant toute adhésion ». Cela dit, explique Bechir Abdel-Fattah, « il n’est dans l’intérêt ni des Européens, ni des Turcs, que ce climat de tension perdure. D’un côté, plusieurs pays européens sont en période pré-électorale, et un afflux de migrants pourrait jouer en défaveur des partis au pouvoir, qui feront tout pour stopper tout flux de nouveaux réfugiés. De l’autre, Erdogan ne pourra pas facilement rompre l’accord sur les migrants qu’il a conclu avec l’UE, un accord qui devrait lui apporter une aide de 6 milliards de dollars mais aussi une exemption des visas pour les Turcs. Je ne crois pas que le président turc soit prêt à perdre ces avantages, ce qu’il dit n’est que de la propagande destinée à son peuple, il veut passer pour un homme fort ».
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