Pour le président morsi, les élections législatives, qu’une décision de justice vient de renvoyer sine die, devaient « mettre le pays sur les rails », à un moment où la contestation populaire et la situation sécuritaire gangrènent déjà son mandat. Mais la décision de la justice administrative est venue renforcer le sentiment selon lequel « ses décisions ne sont pas étudiées et ses conseillers pas compétents », comme l’estime Moustapha Kamel Al-Sayed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
La commission électorale avait annulé, jeudi, le calendrier des élections législatives qui devaient débuter le 22 avril et se dérouler en quatre phases jusqu’à la fin du mois de juin.
Cette suspension a été décidée après l’annulation, la veille, par le tribunal administratif, du décret du président Morsi fixant au 22 avril le début de la procédure électorale. Le tribunal administratif a avancé des raisons techniques pour justifier sa décision : le Conseil de la choura, la Chambre haute du Parlement, n’a pas renvoyé devant la Haute Cour constitutionnelle la loi électorale amendée pour qu’elle soit une dernière fois examinée avant son adoption.
Les Egyptiens étaient appelés à élire une nouvelle Chambre basse après la dissolution, pour des motifs juridiques, de la précédente assemblée, qui était dominée par les Frères musulmans. Pour l’activiste indépendant Hicham Qassem, la décision de la justice administrative est positive, car elle évite une répétition de ce scénario, la loi risquant d’être invalidée après la tenue du scrutin.
Une victoire de l’Etat de droit
Même s’il a décidé de se plier à la décision de la Cour administrative, le Parti Liberté et justice des Frères musulmans, dont est issu le président Morsi, reste convaincu que ce verdict conteste la « souveraineté » du président de la République. « De la même manière qu’on rejette tout empiétement sur le pouvoir judiciaire, il faut aussi refuser les tentatives de contester les décisions souveraines du président de la République reconnues par la Constitution », indique Mokhtar Al-Achri, avocat de la confrérie.
Un argument non fondé, selon l’expert de droit constitutionnel, Ibrahim Darwich, qui affirme que l’appel aux élections ne fait pas partie des décisions de souveraineté. « Il s’agit d’une décision administrative et procédurale que la justice peut révoquer », affirme-t-il. Pour Gaber Nassar, professeur de droit constitutionnel à l’Université du Caire, le Conseil de la choura, dominé par les Frères, a simplement voulu contourner la décision de la HCC sur l’inconstitutionnalité de certaines clauses de la loi électorale.
Parmi les clauses controversées figurent notamment celles qui concernent le contrôle judiciaire des élections, leur supervision par les médias et la société civile, l’indépendance de la commission électorale, mais surtout le découpage de certaines circonscriptions électorales qui auraient été « taillées sur mesure » pour le compte de candidats islamistes.
Selon Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, la décision de la Cour administrative est d’autant plus importante qu’elle retrace les limites entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. « Ces limites ont été bafouées à maintes reprises. Le Conseil consultatif n’a d’autres alternatives que d’amender la loi électorale en fonction des recommandations de la Haute Cour constitutionnelle », dit-il.
Dans un court communiqué, la présidence a déclaré qu’elle respecterait la décision de la Cour administrative. Ce qui n’empêchera pas les avocats de la confrérie de présenter des recours « à titre individuel » contre cette décision, ce qui a déjà été le cas.
En proie à une grave crise politique et économique, l’Egypte risque maintenant de s’enfoncer dans une crise électorale.
L’Egypte espère obtenir un prêt de 4,8 milliards de dollars de la part du Fonds Monétaire International (FMI), afin de soutenir ses finances publiques. L’accroc dans le calendrier électoral fait peser une menace sur ce prêt, d’autant que le FMI souhaite, selon les observateurs, un accord large de la classe politique égyptienne en faveur de mesures de rigueur et de réformes économiques qui s’annoncent impopulaires.
Outre le malaise économique, le gouvernement de Mohamad Morsi doit composer avec une situation sécuritaire tendue. Le report des élections n’est pas l’équivalent d’un sursis pour le président, estime Hicham Qassem. « La situation est très mauvaise, économiquement et politiquement, et des troubles auront lieu quand même », prédit-il.
Du côté de l’opposition, la principale coalition, le Front National du Salut (FNS), qui avait annoncé qu’elle boycotterait le scrutin, pourrait envisager d’y participer si la dernière version de la loi électorale lui paraît satisfaisante. « Je pense qu’il faudra attendre la loi dans sa forme finale pour pouvoir répondre à cette question. Mais bien sûr la participation est notre choix de principe, nous ne sommes pas des fans du boycott », déclare Khaled Daoud, porte-parole du FNS.
Mais pour d’autres figures de ce front, le ton n’est pas aussi affirmatif. « Notre refus de participer à ces élections n’est pas uniquement motivé par les vices de la loi électorale, mais aussi par les politiques antidémocratiques du pouvoir », explique Wahid Abdel-Méguid, politologue et cadre du front. Selon lui, avant la tenue des élections, il faut avoir un gouvernement représentatif de tous les courants politiques, de véritables garanties de transparence du processus électoral ainsi qu’une loi électorale constitutionnelle.
En fait, outre le fait de reconsidérer ses propres positions, l’opposition souhaite que le président et son régime en fassent de même. A un moment où le pays se dirige vers le chaos, des compromis sont souhaitables de part et d’autre. Ainsi, Abdel-Ghaffar Chokr, figure de la gauche au sein du FNS, trouve que la suspension des élections est une « trêve que les forces politiques peuvent saisir pour réorganiser leurs cartes ». « Cela peut se révéler bénéfique pour toutes les parties », affirme de son côté le président du parti du Congrès et ancien secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa.
Initiative mort-née
« La décision de la Cour peut s’avérer une issue à la crise politique actuelle, mais tout dépendra de la volonté du gouvernement à engager un dialogue sérieux avec l’opposition », estime de son côté Moustapha Al-Sayed. Ce qui ne lui semble pas évident. « L’appétit du président Morsi pour le compromis est limité, et je ne crois pas que la confrérie soit prête à céder à l’opposition des postes-clés au sein du gouvernement », ajoute Al-Sayed.
Une initiative du parti islamiste modéré Al-Wassat proposant au président trois personnalités pour choisir parmi elles le chef d’un gouvernement d’union nationale a été officiellement ignorée .
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