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Les stars de l’ombre

Dina Bakr, Dimanche, 20 novembre 2016

Loin du tapis rouge, tout un monde d’ouvriers, de techniciens, de spécialistes de tous genres, et même de bénévoles, s’activent à faire du Festival international du film du Caire un rendez-vous réussi. Tournée dans les coulisses du festival.

Les stars de  l’ombre
(Photo : Ahmad Aref)

C’est la veille du 38e Festival international du film du Caire. L’accès au grand théâtre de l’Opéra du Caire a changé d’aspect. Une longue plateforme de bois le relie à l’entrée principale de l’Opéra. Dans quelques heures, elle sera recouverte d’un tapis rouge. On a même prévu des marches et une allée spacieuse où pourront défiler les stars, le jour de la parade. Tout doit se faire dans les meilleurs délais et de la façon la plus parfaite pour terminer les travaux en un temps record. « Viens vite, cette partie doit être consolidée », « Attention aux clous », « Evite de taper avec ce marteau sur le câble électrique ». Des ordres bien précis pour inciter les ouvriers à être moins distraits et plus productifs. « Nous n’avons pas une minute à perdre ; il ne nous reste que 24 heures avant la cérémonie d’inauguration. Il faut achever tous les décors », hurle Tamer Al-Telbani, vice-président de la société chargée de monter les décors du Festival international du film du Caire. En fait, ces travaux ont été entamés juste après la clôture du Festival de la musique arabe, le 13 novembre. Le Festival du cinéma, lui, a débuté le 15 novembre et prend fin le 24 du mois. Pour cet événement, il faut des décors bien spécifiques, voire originaux et attrayants.

Les stars de l’ombre
Le résultat final encourage les ouvriers à se donner à fond. (Photo : Ahmad Aref)

Mal rasés, les yeux cernés, les organisateurs ont l’air bien fatigués. Ils font des va-et-vient incessants pour contrôler eux-mêmes les travaux. « Je n’ai pas fermé l’oeil depuis quatre jours. L’ingénieur dessine la maquette sur papier et c’est à nous d’exécuter le design. En fait, la réussite du festival est aussi la nôtre », explique Salah Al-Saïdi, un menuisier. Il ajoute que la réussite de ce festival revêt une grande importance pour lui et ses collègues, bien plus que les hommages rendus aux artistes. Selon ses propos, on ne décore pas chaque année les mêmes stars, mais eux seront contactés à nouveau pour accomplir les travaux du prochain festival. Al-Saïdi touche 200 L.E. par shift, c’est-à-dire par huit heures de travail. Il dit que, depuis trois ans, on le demande pour exécuter des ouvrages de menuiserie, à chaque nouveau festival, et certains de ses collègues, depuis une douzaine d’années, car ce type de boulot revêt une grande importance dans la région. « Chaque année, je vais m’asseoir au café du coin pour suivre la cérémonie d’ouverture et admirer les stars en train de défiler. Je suis fier de dire à mes amis et à tous les clients du café que j’ai contribué aux préparatifs du festival et que sans notre travail, ils n’auront pas à admirer des décors aussi magnifiques », rapporte Ibrahim, menuisier.

Une vraie ruche

Les stars de l’ombre
Achever le travail dans un temps record est l’objectif premier. (Photo : Ahmad Aref)

Chaque employé de la compagnie de décoration est chargé d’une tâche bien précise. Concentrés, 125 ouvriers redoublent d’efforts pour terminer le travail dans les règles de l’art tout en respectant les délais impartis. « Les planches de bois doivent être bien fixées les unes aux autres, le moindre défaut pourrait faire basculer les invités », explique Moustapha, menuisier de 25 ans. Le dos courbé, tenant à la main un marteau, ce jeune homme renforce les grosses lattes. Il ne voudrait pas entendre la moindre remarque, surtout en ce qui concerne le ponçage et le polissage du bois. « Si quelqu’un trébuche en foulant le tapis rouge ce serait scandaleux, et cela pourrait faire perdre tous les efforts déployés des organisateurs qui font tout pour que ce festival soit une réussite », explique Al-Telbani. En fait, l’équipe pensait avoir affaire à un sol rigide, mais à la surprise de tous, il renfermait une ancienne plateforme en bois. Mais les ouvriers sont habitués à ce type de travail en plein air et surtout durant l’hiver. Pour faciliter leurs déplacements sur le site, ils ne portent pas de vêtements épais alors qu’il fait froid le soir. Aux alentours de la plateforme, des échelles, de forme bizarroïde, sont suspendues momentanément et ce, pour avoir accès au milieu de l’allée et faciliter leur tâche. Des produits destinés au traitement contre le feu ont été vaporisés sur les lattes de bois pour protéger les locaux des incendies. Et si le fait de fouler le tapis rouge procure une certaine fierté et notoriété, l’éclairage embellit la scène et appuie sur le sentiment de célébrité. La mise en place de l’éclairage sur le tapis rouge a sa grande importance. De grands poteaux électriques avec de jolis lampadaires ont été installés de part et d’autre du tapis rouge, ainsi que des projecteurs sur la façade du théâtre. « Travailler à l’Opéra demande une grande vigilance car leur administration exige que le boulot soit fait soigneusement pour ne pas abîmer la façade », affirme Abdel-Massih, qui dirige les électriciens participant depuis 4 ans aux préparatifs de chaque festival. Pour l’éclairage et l’installation des écrans géants, les procédures sont plus délicates. Les électriciens portent un uniforme spécifique pour se faire reconnaître et intervenir immédiatement en cas de problèmes, sans l’aide d’un spécialiste. Un groupe de 4 électriciens s’apprête à installer un second écran géant en plein air. Une personne est en bas pour diriger la manoeuvre. Une autre est debout sur une barre de fer à l’autre bout de l’écran, tandis que la troisième se trouve en haut d’une échelle, de 7 mètres de hauteur, pour contrôler l’assemblage des 112 pièces. Et ce n’est pas tout, il faut aussi s’assurer que toutes les pièces rassemblées sont bien fixées. Les ouvriers n’oublient pas de glisser des bandes élastiques à l’arrière de l’écran pour le protéger du vent en cas de mauvais temps. Mohamad Nasser, électricien, revoit sur son portable quelques photos, celles des derniers concerts des chanteurs Mohamad Mounir et Mohamad Hamaqi, où il avait aussi installé l’éclairage. « S’adapter à la nouvelle technologie lors des événements culturels et artistiques rehausse de notre notoriété et cela nous permet de bien gagner notre vie », appuie Nasser. Ces électriciens sont des professionnels dans le choix des degrés d’éclairage des projecteurs, car ils ont acquis assez d’expérience lors d’autres cérémonies d’inauguration ou de festivals.

Les stars de l’ombre
Chaque détail compte, aucune erreur n’est tolérée. (Photo : Ahmad Aref)

Ces ouvriers sont habitués à travailler sous pression, ils travaillent d’arrache-pied pour achever leur tâche. Ils sont même capables de se passer de repas chauds ou du thé pour se réchauffer en ce début d’automne. « J’essaye de satisfaire le minimum de leurs besoins en leur servant une seule fois du thé au cours d’une longue nuit de travail, car les cafétérias de l’Opéra vendent le verre de thé à 4 L.E., tandis qu’ailleurs, le verre ne dépasse pas 1 livre et demie », explique Ramadan, chef des ouvriers dans la partie réservée aux infos publiées sur Twitter. Il a dû se débrouiller seul pour trouver des couvertures aux ouvriers obligés de passer la nuit, car il n’était pas question pour lui de suspendre le travail, faute de temps.

Côté son, cela fait deux ans que les organisateurs du festival collaborent avec le même ingénieur de son et les techniciens. « Le son de la musique avec l’entrée des stars sur le tapis rouge donne un coup de fouet dynamique au festival. Notre travail commence un peu plus tard, contrairement à ceux qui travaillent dans les coulisses et il se poursuit tout le long du festival », déclare Karim, technicien de son. Il est en train d’installer une paire de haut-parleurs sur le tapis rouge. Et tout en effectuant les branchements et câblages nécessaires, il procède à tous les réglages en concertation avec l’ingénieur du son. La présence des techniciens de son est nécessaire avant, pendant et après la cérémonie d’inauguration. Une répétition est obligatoire : essais de prises de son et sélection de la musique qui va accompagner les stars sur le tapis rouge. Mohab Zanoun, réalisateur, travaille en coordination avec toutes les équipes : décoration, éclairage et son.

Six mois de préparation

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Al-Kachef a travaillé avec de grands . Fait qui a forgé sa vision cinématographique. (Photo :Amir Abdel-Zaher)

Personne ne peut imaginer la quantité de tâches exécutées par ces modestes ouvriers pour satisfaire les invités et leur offrir un cadre à la fois féerique et fabuleux, reflétant ainsi l’importance du septième art en Egypte et au Moyen-Orient. « 61 pays sont représentés au festival avec 204 films. Cette année, particulièrement, nous avons demandé l’aide du département de protocole au ministère des Affaires étrangères pour savoir comment choisir les places des ministres, des ambassadeurs et des grands artistes afin de donner à chacun son prestige et pour ne pas causer de problèmes lors de ce festival. Faire asseoir 1 080 invités est un vrai casse-tête », souligne Magda Wassef, présidente du festival. Elle est satisfaite de l’organisation et de la cadence des préparatifs.

De même, d’autres besognes sont accomplies dans les locaux de l’administration du festival au centre-ville. « C’est un travail de longue haleine, car il s’agit de suivre toutes les étapes, depuis le choix du comité de sélection jusqu’au nombre de films présentés au festival. Les prises de contact, les voyages et les rencontres de Youssef Chérif Rizqallah, directeur du festival, ont commencé depuis 6 mois, c’est-à-dire à la clôture du Festival de Cannes », confie Magdi Al-Tayeb, responsable des médias au Festival du cinéma du Caire. Rien n’a été laissé au hasard. Les journalistes sont autorisés à assister à la cérémonie d’ouverture, d’autres ont été sélectionnés pour couvrir le festival, interviewer ou photographier les stars qui foulent le tapis rouge. Les locaux du centre-ville ont témoigné d’un travail laborieux grâce à une douzaine de personnes seulement. « L’administration du festival coopère avec les différentes institutions qui rendent service au marché cinématographique, comme les responsables de la publication, les programmateurs chargés d’émettre les billets par le système électronique et d’autres responsables du réseau de communication social du festival », confie Magda Wassef. Achraf Al-Kachef, fonctionnaire au service des archives des films, est chargé d’enregistrer l’arrivée des nouveaux films. « J’ai commencé ce métier dans les années 1980 avec le défunt Saadeddine Wahba, ancien président du Festival du cinéma. J’avais pour fonction de distribuer les fiches de commentaires au comité de sélection du film, et j’ai eu cette chance de voir, seul, un film qui n’était pas encore sorti sur le marché », relate Al-Kachef. Et d’ajouter : « Les critiques et les débats m’ont appris à juger si le film est bon ou pas. J’ai aussi appris qu’un travail bien développé sur l’idée permettait d’éclairer les esprits et que le cinéma jouait un rôle important dans la vie des gens ». Al-Kachef ne veut pas dire quel cinéma il préfère, mais en général, il est avec le concept qui rehausse les valeurs humaines et ne prend pas les gens pour des stupides.

Les stars de l’ombre
Le travail doit être terminé dans les règles de l'art. (Photo : Ahmad Aref)

Les murs des locaux du centre-ville illustrent l’histoire d’une dizaine de festivals. Des logos sont collés tout le long du corridor. Mais le festival de cette année a été préparé différemment. Dans l'une des salles du local, une chambre noire où Mohab Zanoun, réalisateur, et son adjoint, Abdallah, font le découpage des films. Ce sont les sommaires des films qui aident les chaînes à comprendre les thèmes pour les aborder au cours de leurs émissions. « J’ai même réalisé des clips pour ceux qui vont être honorés durant le festival et nous avons enregistré des rencontres avec ceux qui présentent des films qui vont participer à la compétence officielle », assure Mohab. Ce jeune réalisateur qui travaille à Nile Cinema, télévision égyptienne, fait partie de l’équipe du festival depuis 2 mois. Autrefois, le fait d’obtenir des informations sur les films du festival était difficile, mais actuellement, avec la nouvelle technologie et Internet, cela facilite la tâche à ceux qui veulent avoir une idée sur n’importe quel film. Des félicitations et des encouragements fusent dans les locaux à l’attention de Racha Hosni, critique de courts métrages, qui a terminé la préparation du catalogue du festival, 10 jours avant le festival. Un catalogue de 200 pages qui présente tous les films diffusés pendant le festival. « J’ai commencé à réunir les informations qui rendent service à la rédaction de ce catalogue depuis 4 mois. J’ai pris contact par email avec des producteurs de films qui parlent swahili et tibétain. Je leur ai demandé de me faire un résumé du film en langue anglaise », explique-t-elle. Si un film peut prendre un jour de travail pour le placer dans le catalogue, pour d’autres, cela peut durer une dizaine de jours. « Rédiger de manière succincte tous les détails essentiels d’un film en une page est un vrai défi. Nom du film, année de la production, les comédiens, durée du spectacle, les couleurs, résumé du film et une note d’information à propos du réalisateur », explique Racha. Elle a classé les films arabes par année de production et les films étrangers par ordre alphabétique. Racha ajoute : « Il a fallu que j’adopte un nouveau système de travail pour préparer ce catalogue. Se trouver parmi l’équipe d’organisation et préparation du festival m’a permis de côtoyer un personnage à la hauteur de Youssef Chérif Rizqallah, ancien critique de cinéma et directeur du festival ». Racha fait l’éloge de ce grand monsieur qui a contribué à sa formation en matière de cinéma.

Par ailleurs, des bénévoles viennent mettre la main à la pâte. « J’aide l’administration en envoyant des emails aux producteurs, réalisateurs ou autres pour qu’ils confirment leur participation au festival », souligne Mariam Abdallah. Cette jeune fille voulait accroître son expérience en matière de réalisation de films, en rencontrant des artistes étrangers au cours de ce festival. « J’ai obtenu une bourse en Inde afin d’apprendre les rouages du métier de réalisateur, producteur et presse visuelle ». Mariam trouve fructueux de se frotter au domaine de la création. « Des messages électroniques et un peu plus tard, des rencontres au cours du festival pourraient approfondir mes connaissances et m’aider à réaliser mon rêve, celui de devenir réalisatrice », dit-elle. Les coulisses du festival, c’est peut-être aussi une première marche vers la gloire .

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