Des policiers turcs arrêtant des manifestants pro-kurdes à Istanbul.
(Photo : AP)
Selon l’Institut kurde de Paris (organisme culturel indépendant, créé en 1983, avec le soutien du gouvernement français), il existe entre 20 et 40 millions de Kurdes dans le monde. Ils seraient 15 millions en Turquie (soit 21 % de la population du pays). En fait, la Turquie abrite le plus grand nombre de Kurdes et contrôle la plus grande partie du Kurdistan historique. La question kurde fait la une des journaux turcs, presque quotidiennement. Cette minorité ethnolinguistique, concentrée au sud-est du pays, n’est pas reconnue en Turquie alors qu’elle représente le cinquième de la population turque. C’est aussi une des plus anciennes populations du pays, qui vit en Anatolie depuis pratiquement 3 000 ans.
Un conflit vieux de 30 ans
La montée des tensions entre les Kurdes et l’Etat turc a amené le leader kurde Abdullah Ocalan à fonder le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), en 1978, pour lutter en faveur des droits de cette minorité. Le PKK est une organisation marxiste léniniste indépendantiste. « Le conflit kurde avec l’Etat date de plus de 30 ans, depuis 1984. Tout au long de ces années, les affrontements se sont multipliés entre les deux parties et auraient fait plus de 40 000 morts. Ce conflit était, en fait, la cause de l’instabilité dans toute la Turquie et pas seulement au sud-est du pays où résident les Kurdes », explique Karam Saïd, chercheur spécialiste des affaires turques au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Le PKK a dû parfois utiliser la lutte armée pour atteindre ses objectifs de créer une nation autonome territorialement et politiquement. L’objectif est de revendiquer l’indépendance des territoires turcs à population majoritairement kurde. Le PKK adopte à partir de 2005 le confédéralisme démocratique d’Abdullah Ocalan. On peut lire les grandes lignes de l’idéologie kurde dans le livre « Confédéralisme démocratique » d’Ocalan lui-même : « C’est un projet de démocratie assembléiste proche du municipalisme libertaire, une économie de type collectiviste, un système de fédéralisme intégral entre communes et une coopération paritaire et multiethnique dans des systèmes organisationnels et décisionnels autogérés », dit le livre.
Les exigences kurdes en faveur de l’indépendance du Kurdistan sont perçues comme inacceptables par Ankara qui a commencé à faire face au PKK depuis le milieu des années 1980. Le PKK, lui, a commis un grand nombre d’actions terroristes à travers le pays. En 1984, de violents combats ont lieu entre l’armée turque et le PKK en Anatolie. Selon le gouvernement turc, ces combats ont fait 6 000 morts. Et c’est ainsi que la Turquie a déclaré le parti kurde « organisation terroriste ». Des centaines d’activistes du parti sont alors arrêtés ou torturés par les forces de sécurité turques. En 1999, le leader du PKK, Abdullah Ocalan, est arrêté et condamné à mort. Le jugement a été commué en emprisonnement à vie. En 2002, grâce aux pressions de la Commission européenne, de nouvelles lois, promulguées par le gouvernement turc, accordent aux Kurdes le respect de leur culture et la protection contre les harcèlements politiques et sociaux.
Echapper au contrôle d’Ankara
Au cours des dernières années, les Kurdes turcs ont cherché à échapper au contrôle de l’Etat turc et à prendre de plus en plus d’importance à l’échelle régionale. La question kurde est devenue un cauchemar pour Erdogan, surtout à la lumière des évolutions régionales et internationales. « En réponse au soutien de la Turquie aux rebelles tchétchènes dans les années 1990 sur le territoire russe, la Russie a soutenu ouvertement les droits des Kurdes en Turquie. Les Américains aussi soutiennent les Kurdes. Au cours de sa campagne électorale, Hillary Clinton a promis le mois dernier de fournir aux combattants kurdes en Syrie des armes, si elle accédait à la Maison Blanche. Une promesse qui a suscité le ressentiment d’Ankara, qui voit dans les entités politiques et militaires kurdes en dehors de son territoire, une extension du PKK », explique Karam Saïd.
Les Kurdes étaient sur le point de prendre le contrôle de la frontière turco-syrienne. « En Iraq, ces Kurdes turcs ont combattu aux côtés des Peshmergas iraqiens. Et en Syrie aux côtés du Parti de l’union démocratique (PYD), principal parti kurde syrien », ajoute Karam Saïd. C’est ainsi qu’Ankara entreprend des opérations militaires contre les Kurdes, non seulement à l’intérieur de la Turquie mais aussi ailleurs et bombarde leurs positions dans le nord de la Syrie. « En effet, Ankara veut empêcher, par tous les moyens, la création d’un Etat kurde à sa frontière. C’est ainsi qu’elle frappe les combattants kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), le bras armé du Parti de l’union démocratique (PYD), alliés du PKK. Ankara cherche peut-être encore à montrer ses muscles face à la Russie, l’alliée de ses ennemis », analyse Mohamad Abdel-Qader, expert du dossier turc au CEPS. « Certes, la montée en puissance des Kurdes syriens inquiète Ankara qui craint la création à sa porte d’une nation kurde liée au PKK. La politique anti-kurde d’Ankara a poussé un grand nombre de Kurdes turcs à se réfugier dans les montagnes du nord de la Syrie. Et après le déclenchement de la guerre en Syrie, des milliers de Kurdes ont cherché refuge en Turquie. En effet, les Kurdes, où qu’ils soient, sont une source d’inquiétude pour la Turquie », ajoute Abdel-Qader. Ankara a fait des Kurdes sa cible prioritaire. Le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan ne cesse de répéter qu’il empêchera la constitution d’un Etat kurde par tous les moyens. Et cette politique de la Turquie est, selon certains experts, très dangereuse pour la sécurité et la stabilité du pays. « Cette politique de la violence et la contre-violence entre l’Etat et les Kurdes pourrait occasionner à la Turquie des pertes économiques et sociales sans précédent. Le règlement de la question kurde semble difficile, en dépit du fait que les deux parties sont conscientes qu’il n’y a pas de solution militaire à la crise, mais chacune cherche à affaiblir l’autre pour imposer les conditions du règlement », conclut Karam Saïd.
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