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Abdel-Aziz El-Méguidi : Toute solution qui ne prend pas en compte la légitimité internationale est vouée à l’échec

Ahmad Eleiba, Jeudi, 03 novembre 2016

Très critique quant à la politique internationale à l’égard du Yémen, le rédacteur en chef du journal yéménite Al-Chahed, Abdel-Aziz El-Méguidi, explique les raisons de l’échec de la médiation onusienne. Entretien.

Al-Ahram Hebdo : Que pensez-vous de l’évolution du conflit au Yémen, notamment l’usage récent de missiles lancés en direction de l’Arabie saoudite par les rebelles houthis ?

Abdel-Aziz El-Méguidi : Des missiles de longue portée ont visé un navire émirati et un autre américain, puis d’autres missiles ont été tirés en direction de La Mecque. Cela signifie que les milices, soutenues par l’Iran, ont développé l’arsenal dont disposait le président déchu, Ali Abdallah Saleh. Récemment, la présidence yéménite a fait état d’une usine de missiles dans la région de Saeda gérée par des experts iraniens. Je ne pense pas que les milices cherchent sérieusement une issue politique.

— Quel serait le message de ces missiles lancés vers La Mecque, avec toute la portée religieuse et sacrée de cette ville ?

— Ces tirs interviennent dans le cadre d’une campagne médiatique iranienne visant à propager l’idée que l’Arabie saoudite est incapable de protéger les lieux saints de l’islam. Certains parlent même d’un « Vatican islamique » pour superviser La Mecque et Médine. Je crois que la campagne iranienne n’en est pas très loin.

— Si l’Iran est derrière ces tirs de missiles, s’agirait-il d’une reproduction du modèle du Hezbollah libanais, c’est-à-dire la mise en place d’une milice qui serait en quelque sorte le bras armé de l’Iran dans cette région ?

— C’est bien l’Iran qui a affirmé disposer d’armées chiites dans quatre capitales arabes. Je crois que le modèle du Hezbollah inspire les Iraniens : il a empêché la construction d’un Etat au Liban, et a transformé un autre pays arabe en un fief des milices iraniennes. Il est tout aussi clair que l’Occident soutient cette « milicisation » et ferme les yeux sur les crimes commis dans les zones de combats. En utilisant le terme « minorités » pour parler des milices, les Occidentaux encouragent le clanisme. D’ailleurs, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, appelle la « majorité » à normaliser avec les milices, c’est-à-dire à accepter leur putsch, et ce, rien que parce qu’elles sont mieux armées !

— A en juger par ce que vous dites, la solution politique n’est pas pour demain …

— Toute solution qui ne prend pas en compte la légitimité internationale, et surtout les sacrifices du peuple yéménite dans sa guerre contre les milices iraniennes, est vouée à l’échec. Ces milices ont causé la mort de dizaines de milliers de personnes, sans compter les blessés et la destruction du pays. Aujourd’hui, 80 % des Yéménites sont victimes de la faim et de la malnutrition. Une solution susceptible de donner naissance à une stabilité et une paix durables devra commencer par la remise des armes au gouvernement légitime et la poursuite judiciaire de ceux impliqués dans le putsch.

— Qu’en est-il du plan de paix proposé par l’Onu pour mettre fin à la guerre ? Pourquoi a-t-il été rejeté par le pouvoir ?

— Cette initiative était mort-née parce qu’elle était aux antipodes de la légitimité internationale. Apparemment, elle se donnait pour objectif d’apporter le coup de grâce à la révolution yéménite de février 2011. La communauté internationale poursuit son cirque au Yémen, tout en appelant les Yéménites à « donner le bon exemple » à leurs voisins de la région. Il paraît que le bon exemple est celui des milices. La communauté internationale n’a rien fait d’autre que d’amener le pays au bord de la guerre civile contre laquelle elle mettait en garde.

— Mais la guerre au Yémen n’est plus un simple conflit interne. Il y a un risque de voir Al-Qaëda et Daech s’implanter dans ce pays, et c’est ce que les Etats-Unis disent craindre le plus …

— Dans sa guerre antiterroriste, l’Occident a misé sur les différences communautaires, ce qui a eu pour résultat de renforcer le terrorisme. Malgré le précédent iraqien, qui a illustré l’échec de cette politique, les Etats-Unis entendent reproduire la même expérience au Yémen. Washington cherche toujours à convaincre les Saoudiens de l’importance de la collaboration des parties yéménites avec les Houthis et l’Iran dans la guerre contre Al-Qaëda.

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