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Confessionnalisme politique, un équilibre précaire

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 01 novembre 2016

Le régime politique libanais est basé depuis 1943 sur une répartition confessionnelle des pouvoirs. L'abolition de ce système soulève aujourd'hui un vif débat.

Confessionnalisme politique, un équilibre précaire
Le Liban, un pays fragilisé par le confessionnalisme politique. (Photo : AFP)

« Abolir le confessionnalisme politique est un objectif national fondamental. Pour y parvenir, il est nécessaire que des efforts soient réalisés suivant un plan par étapes », stipule dans son préambule la Constitution libanaise mise en place en 1990, un an après la fin de la guerre civile qui a rava­gé le Liban pendant 15 ans. Depuis un quart de siècle, aucune démarche n’a été entreprise vers la déconfes­sionnalisation. Par contre, ce sys­tème communautaire est de plus en plus enraciné et devient le moteur principal de la vie politique, sociale au Liban. En fait, le confessionna­lisme politique au pays du Cèdre remonte à 1943, quand les deux leaders de l’indépendance, le prési­dent de la République maronite de l’époque Béchara Al-Khoury, et le premier ministre sunnite Riad Al-Solh, ont conclu le « Pacte national ».

Il s’agit d’un accord non écrit, qui reconnaît l’indépendance, la souve­raineté et l’arabité du Liban, un pays à l’époque à cheval entre Orient et Occident, mais qui ins­taure un système politique à carac­tère confessionnel qui répartit le pouvoir politique et les postes administratifs en rapport avec le poids démographique des diffé­rentes communautés religieuses présentes dans le pays: chrétiens maronites, sunnites et chiites. C’est en vertu de ce pacte que le président de la République devait être issu de la communauté chrétienne maro­nite, le président du gouvernement de la communauté sunnite, et le président du parlement de la com­munauté chiite.

Cette répartition confessionnelle des postes devient une règle qui s’applique du sommet à la base de la pyramide du pouvoir au Liban. Le commandant de l’armée, et le gouverneur de la Banque Centrale sont maronites, le directeur général de la Sécurité intérieure sunnite, le directeur général de la Sécurité générale chiite, le directeur du ren­seignement de l’armée maronite, le président du Conseil de développe­ment et de reconstruction sunnite, le vice-premier ministre orthodoxe, le président de la Fédération de football chiite, et son secrétaire général druze. Et ainsi de suite.

A l’époque, ce pacte avait réussi à donner au Liban, comme le raconte Sameh Rashed, expert des affaires régionales à Al-Ahram, une paix fragile entre les communautés, et une prospérité dans les domaines culturels et économiques par rap­port aux autres pays de la région avant que la situation n’explose et la formule du confessionnalisme ne se déséquilibre en 1975 et le pays ne s’enfonce dans une guerre civile de 15 ans, faisant selon les estima­tions, entre 130000 et 250000 victimes civil. « La stabilité poli­tique d’un pays qui renferme une telle mosaïque confessionnelle comme le Liban est toujours pré­caire », explique Ahmed Youssef, politologue. Le Liban retourne à présent à sa stabilité fragile, en 1989, après la signature de l’accord de Taëf, négocié en Arabie saoudite entre les protagonistes libanais.

Cet accord, qui a mis fin à la guerre civile libanaise, a égalisé ce système comme l’explique Rashed. « L’accord a conservé le principe du confessionnalisme et la même répartition des pouvoirs, mais en limitant cette fois-ci les préroga­tives du président de la République maronite au profit du premier ministre sunnite, sous prétexte que le Liban s’est transformé au cours de ces années d’une majorité chré­tienne en une majorité sunnite ».

La démographie, une question sensible

En fait, un recensement officiel qui montre l’évolution démographique de chaque confession fait toujours défaut au Liban. Le dernier recense­ment en date remonte à 1932 sous le mandat français. « Le recensement démographique est un sujet très sen­sible aujourd’hui au Liban qu’au­cune secte ne prend même l’initiative de réclamer, soit par manque de confiance d’aboutir à un recense­ment injuste et falsifié ou par crainte de remettre en cause le système confessionnel », dit Rashed.

En fait, faire un recensement est comme beaucoup d’autres décisions, paralysées par manque d’accord entre la troïka politique au Liban. Selon Rashed, l’accord de Taëf a réparti le pouvoir politique au Liban de façon à rendre difficile d’identifier la partie responsable de la prise de décision. « Un grand nombre de décisions et de politiques gouvernementales ainsi que l’élaboration des lois sont tribu­taires de l’harmonie entre les trois têtes de la troïka, à savoir le prési­dent, le chef du gouvernement et le chef du parlement. C’est pourquoi, la vacance d’un de ces trois postes pro­voque immédiatement une instabilité politique et une paralysie institution­nelle au Liban », dit Rashed.

Ce système de quotas sectaires a aussi contribué à la fragilité du Liban sur le plan régional en laissant la porte ouverte aux influences et aux pressions extérieures notamment régionales, puisque la règle du jeu au Liban est que chaque confession ait fréquemment recours à la force régio­nale à laquelle elle est liée idéologi­quement pour la soutenir et pour réa­liser des acquis politiques sur le ter­rain. C’est pourquoi le choix du prési­dent libanais se joue premièrement à l’extérieur avant qu’il ne gagne le consensus libanais.

Par ailleurs, les conflits régionaux, qui se multiplient en prenant un caractère sectaire, menacent directe­ment le fragile équilibre libanais. « Ce système a fait du Liban le baro­mètre de la région et le reflet de la situation régionale. Le déclin ou la montée en puissance des pays sun­nites ou chiites de la région se reflète directement sur les forces libanaises qui partagent la même confession », assure Rashed. Par exemple, quand l’axe Egypte, Arabie saoudite, Syrie est monté en flèche dans la région à la fin des années 1990, à cette époque le chef du gouvernement sunnite liba­nais, Rafic Al-Hariri, jouissait d’une grande prédominance sur la scène libanaise.

En fait, le confessionnalisme au Liban a changé de couleurs à travers le temps, comme l'explique Rashed. Du maronisme politique de 1943 à 1975, au sunnisme politique incarné par l’ancien premier ministre Rafic Al-Hariri, assassiné en 2005, le Liban se dirige aujourd’hui vers le chiisme politique, avec la montée en puis­sance du Hezbollah et des alliés de l’Iran dans la région. « L’initiative de Saad Al-Hariri de soutenir la candi­dature de Michel Aoun à la prési­dence, allié du Hezbollah, reflète la faiblesse des forces sunnites dans la région », note le politologue.

Toutefois, pour Ahmed Youssef, le confessionnalisme au Liban est « une arme à double tranchant ». « Si théo­riquement, il est temps d’abolir ce système, la réalité sur le terrain indique que le moindre déséquilibre dans cet équilibre confessionnel très minutieux au Liban, basé sur la for­mule ni gagnant ni perdant, mènerait à une confrontation sans issue entre les différentes communautés. La guerre civile est l’exemple le plus proche. Les voix qui s’élèvent pour supprimer ce système ne trouvent d’échos ni chez la classe politique, ni même ni chez la population », dit Youssef, avant de conclure: « La déconfessionnalisation semble être une affaire presque impossible aujourd’hui au pays du Cèdre ».

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