L'armée mène une vaste campagne contre les fiefs terroristes dans le Sinaï.
(Photo : Reuters)
L’attentat terroriste survenu le 14 octobre à Bir Al-Abd, à 80 km d’Al-Arich, est le premier de son genre dans cette région. Les attentats commis ces six dernières années se limitaient au triangle Rafah-Cheikh Zoweid-Al-Arich.
D’après le porte-parole militaire, le général Mohamad Samir, l’attentat de Bir Al-Abd a fait 12 victimes et 6 blessés parmi les soldats et s’est soldé par la mort de 15 assaillants dans un échange de tirs. L’attentat a été revendiqué par Ansar Beit Al-Maqdès, la branche de Daech dans la péninsule. L’armée égyptienne a riposté en menant des frappes aériennes contre plusieurs cibles terroristes.
L’attaque de Bir Al-Abd rappelle celles commises contre les points de contrôle à Karm Al-Qawadis, à Al-Safa, entre autres, alors qu’on croyait en avoir fini avec ce genre d’attentats après la liquidation en août dernier du chef du groupe Ansar Beit Al-Maqdès et de 45 de ses dirigeants.
Mohamad Hammad, qui habite près du lieu de l’attentat, affirme à l’Hebdo que personne ne s’attendait à une telle attaque dans cette région « plutôt calme et stable ». Concernant le tempérament de ses habitants et leurs éventuels liens ou sympathies avec les groupes terroristes et leur version radicale de l’islam, Hammad estime que « le milieu n’est pas celui du rigorisme religieux de Rafah et Cheikh Zoweid ». Il explique que dans cette région plutôt calme et pas très peuplée, il n’existe pas d’activités agricoles ou pastorales. « Les bédouins vivent en groupes dispersés et travaillent dans les carrières ou les cimenteries toutes proches », dit-il. Même s’il reconnaît que certains habitants sont impliqués dans le commerce des armes et le trafic de drogue, Hammad suggère que les auteurs de cet attentat sont des éléments venus de l’extérieur. D’après ses propres sources, les cibles visées par l’armée après l’attentat étaient de « nouveaux refuges auxquels les terroristes ont eu recours ».
Changement de donne
Khaled Okacha, ancien général qui a servi pendant plusieurs années dans le Sinaï, estime de son côté que l’attentat de Bir Al-Abd change la donne sur le terrain, dans la mesure où il s’agit d’une « nouvelle région et d’un nouvel environnement ». Selon lui, cet attentat indique que, malgré la liquidation de son dirigeant et de plusieurs de ses leaders, et malgré les frappes successives de l’armée ces trois dernières années, le groupe terroriste Ansar Beit Al-Maqdès reste actif.
Okacha n’exclut pas un lien entre les terroristes et les trafiquants d’armes et de drogue. « La contrebande et le trafic d’armes et de drogue représentent une infrastructure exploitable que les terroristes peuvent utiliser au moment voulu. Il n’est pas exclu que les terroristes aient eu recours à une coopération avec ces milieux dans une région peu propice au développement de l’extrémisme comme Bir Al-Abd », explique l’ex-général qui s’inquiète surtout de la possibilité de voir Ansar Beit Al-Maqdès s’implanter dans de nouvelles zones. « Les raids qui ont suivi cet attentat montrent que l’armée veut justement liquider ce nouveau foyer terroriste et couper ses communications avec d’autres réseaux ou cellules dormantes qui cherchent à le joindre », ajoute-t-il. Et de conclure : « Jusqu’ici, la réussite des opérations sécuritaires était due à l’encerclement des terroristes dans le triangle Rafah-Cheikh Zoweid-Al-Arich. Aujourd’hui, la délocalisation des opérations vers un nouveau front implique une réévaluation et un éventuel élargissement du déploiement sécuritaire ».
Décapité mais pas mort
L’organisation Ansar Beit Al-Maqdès est sensiblement affaiblie mais résiste toujours. C’est l’avis des experts interrogés par l’Hebdo. Selon une source militaire ayant servi dans le Sinaï, « l’organisation terroriste essaye de prouver qu’elle est toujours là, surtout après la liquidation en août dernier de son numéro 1, Abou-Doaa Al-Ansari, et la destruction de son infrastructure d’armement et de communication ». La même source s’empresse néanmoins de noter que dans le Sinaï « il n’est pas difficile pour une organisation de se réarmer, malgré les efforts des appareils de sécurité contre le trafic d’armes ».
Ali Bakr, expert des mouvements islamistes, estime de son côté qu’il est difficile d’annoncer la fin d’une organisation après la liquidation de son chef ou de l’un de ses combattants. Selon lui, chacun de ses groupes dispose d’un système de succession, à travers notamment son Conseil consultatif (Choura), ce qui permet l’émergence rapide d’un nouveau leadership. « Il serait donc difficile de prévoir l’arrêt des attentats ou de parler de la fin du terrorisme. Les organisations terroristes peuvent être endiguées, mais tant que la pensée djihadise persistera, et tant que le flux des armes et de l’argent se maintiendra, le terrorisme, même affaibli sous les coups sécuritaires, finira par reprendre son cycle habituel ».
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