Dans le bras de fer qui oppose l’Occident à Moscou, le dossier ukrainien est devenu indissociable du dossier syrien. Et, comme à l’époque de la Guerre froide, les pressions réciproques s’accentuent. C’était le cas lors d’un récent sommet tenu à Berlin (le premier depuis un an), entre le président russe, Vladimir Poutine, et les dirigeants allemand, français et ukrainien. Un sommet où les deux crises ont été évoquées simultanément. En effet, l’Ukraine est en proie depuis plus de deux ans à un conflit opposant ses forces à des rebelles pro-russes qui sont, selon Kiev et les Occidentaux, soutenus par la Russie, ce que Moscou dément. Bilan : plus de 10 000 morts, outre des dizaines de milliers de blessés et de réfugiés.
Bien que le sommet de Berlin n’ait pas abouti à une avancée concrète sur le sol ukrainien, il a au moins abouti à une promesse de sortir de l’ornière d’ici fin novembre les accords de paix de février 2015, mais sans donner lieu à « un miracle », selon la chancelière allemande, Angela Merkel. Pour l’Allemagne et la France, ce qui compte pour le moment c’est le retour de toutes les parties à la table des négociations et la préservation du format de négociation à quatre, initié en 2014. En principe, ces difficiles pourparlers — tenus en pleine tension entre la Russie et l’Occident à cause de la Syrie — visaient à relancer les accords de paix de Minsk de février 2015 qui sont dans l’impasse depuis des mois. « Nous avons discuté d’un processus de travail qui a de nombreux aspects », a dit Mme Merkel au côté du président français, François Hollande, évoquant la création prochaine d’une « feuille de route » traitant du cessez-le-feu, toujours très aléatoire entre forces ukrainiennes et rebelles pro-russes dans l’est de l’Ukraine. Selon le chef de l’Etat ukrainien, Petro Porochenko, cette feuille de route doit être rédigée « d’ici fin novembre » et a pour ambition « la mise en oeuvre de tous les accords de Minsk ». Des accords dont les étapes successives « doivent être respectées le plus vite possible », selon M. Hollande.
Les divergences persistent
En fait, les accords de Minsk comprennent notamment les épineuses questions du respect du cessez-le-feu, de l’organisation d’élections dans l’Est ukrainien — tenu par les rebelles pro-russes —, de la libération des prisonniers détenus dans chaque camp et de la restauration du contrôle par l’Ukraine de sa frontière orientale avec la Russie. Sur ces points, aucun progrès immédiat n’a été enregistré à Berlin : tant de pommes de discorde restent encore à régler, entre autres la tenue des élections qui restent impossibles, selon le président ukrainien, sans le retrait inconditionnel des « unités armées étrangères », une référence à la présence de forces russes aux côtés des rebelles dans l’est du pays, qui a toujours été démentie par Moscou. Outre les élections, Moscou exige un statut d’autonomie spécial pour la partie orientale du pays. Face à ces points de litige, le président russe, Vladimir Poutine, est resté très évasif sur le sujet de la feuille de route, se contentant de souligner que les quatre dirigeants avaient réaffirmé leur soutien au processus de Minsk et à un élargissement de la mission d’observations de l’OSCE en Ukraine.
L’objectif de Moscou est aujourd’hui de faire pression sur les Occidentaux : l’intervention de la Russie en Syrie a en effet changé le rapport des forces entre Moscou et l’Occident. Déjà, l’un des catalyseurs qui avaient poussé la Russie à intervenir en Syrie était d’obliger les Occidentaux à se montrer plus conciliants quant à son implication dans la crise ukrainienne. Pari gagné pour Moscou ? Tout porte à croire que oui : « Moscou est sur le point de gagner son bras de fer avec l’Occident. En changeant l’équilibre des forces en Syrie, Poutine va réussir à imposer ses conditions en Ukraine. Son message à l’Occident est : Laissez-moi l’Ukraine et je vous laisse la Syrie. Une sorte de chantage », affirme Dr Hicham Ahmed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
Preuve de la forte liaison entre ces deux dossiers brûlants : un sommet de l’Union européenne a eu lieu au lendemain du sommet de Berlin, et au cours de cette rencontre, les dirigeants européens — malgré leur condamnation unanime des bombardements russes sur Alep — n’ont pas pu se mettre d’accord sur l’engagement de sanctions européennes contre Moscou. L’option a été repoussée au même moment où Moscou a annoncé une trêve humanitaire à Alep. Une concordance des événements sûrement pas fortuite. Tout porte désormais à croire que, comme au bon vieux temps de la Guerre froide, une sorte de chantage a été engagée entre les grandes puissances sur des crises régionales où chacune veut avoir le dernier mot .
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