L'armée iraqienne s'apprête à donner l'assaut sur Mossoul.
(Photo : AFP)
Une cinquantaine de personnes ont péri samedi en Iraq dans plusieurs attaques, dont un attentat suicide revendiqué par le groupe Etat Islamique (EI) à Bagdad et visant des chiites, l’attaque la plus meurtrière depuis des mois dans la capitale. Une illustration parfaite du climat de tension sectaire qui prévaut en Iraq depuis des années, et qui connaît des moments de calme suivis de périodes de dangereuse exacerbation.
Or, cette fois-ci, ce qui inquiète est que cette vague d’attaques soit intervenue juste avant le coup d’envoi de la bataille de Mossoul. Les forces iraqiennes ont, en effet, lancé lundi dernier l’offensive pour reprendre la ville de Mossoul, bastion du groupe EI en Iraq. C’est par une allocution officielle prononcée en pleine nuit à la télévision que le premier ministre iraqien, Haider Al-Abadi, a annoncé le lancement de cette bataille qui se prépare depuis des mois, avec le soutien de la coalition internationale anti-djihadistes conduite par les Etats-Unis. Le chef du gouvernement iraqien n’a pas donné de précisions sur les opérations militaires lancées dans la nuit de dimanche à lundi. Elles devraient dans un premier temps se borner à encercler la ville, avant le début de violents combats de rues. « Le temps de la victoire est venu et les opérations pour libérer Mossoul ont commencé », a-t-il simplement déclaré. Le secrétaire américain de la Défense, Ashton Carter, a estimé que cette bataille était « un moment décisif dans notre campagne pour infliger à l’EI une défaite durable ». L’offensive pour Mossoul pourrait prendre « des semaines, voire plus », a de son côté précisé Stephen Townsend, le nouveau commandant américain de la coalition internationale anti-djihadiste dirigée par les Etats-Unis.
Calculs différents
Or, cette bataille est présentée comme la plus dure dans la lutte contre le groupe extrémiste en Iraq, et aux enjeux aussi divers que compliqués.
En premier lieu, il y a la question hautement sensible et cruciale de savoir qui va participer à cette opération. Le nombre d’acteurs impliqués dans la bataille de Mossoul est vertigineux : l’armée iraqienne, le fameux et redouté service du contre-terrorisme, la police fédérale et locale, les milices chiites dont beaucoup obéissent aux ordres de Téhéran, les peshmergas, la Turquie, les Etats-Unis et les pays de la coalition internationale ...
Evidemment, l’acteur le plus important est les forces iraqiennes elles-mêmes. Le premier ministre iraqien a précisé, lundi, que seules l’armée et la police iraqiennes entreraient dans Mossoul. Celles-ci sont renforcées par les forces américaines : début septembre, 400 militaires américains supplémentaires ont été envoyés pour rejoindre les 4 000 Américains déjà en Iraq. Sans compter les frappes aériennes américaines, jugées cruciales dans la reconquête de Mossoul. La France participe elle aussi. Fin septembre, le président français annonçait que la batterie d’artillerie fournie par la France à l’armée iraqienne se situait au nord de Mossoul, « prête à servir pour la reconquête » de la ville.
Ensuite, il y a les autres forces. Car sur le terrain, il y a trois sortes de combattants : l’armée iraqienne, les Kurdes et les milices chiites financées par l’Iran. Et c’est la participation de ces deux catégories de combattants qui pose le plus de problème aussi bien à l’intérieur de l’Iraq qu’à l’extérieur.
D’une part, les sunnites, minoritaires dans un Iraq majoritairement chiite, craignent l’entrée dans la ville des puissantes milices paramilitaires chiites du Hachd Al-Chaabi, soutenues par l’Iran, qui sont très craintes des populations. La participation de ces milices est aussi mal vue des Saoudiens, dont les relations avec l’Iran (chiite) sont très tendues et qui craignent les velléités dominatrices de Téhéran, d’autant plus que l’influence de ce dernier en Iraq n’est pas des moindres. Ainsi, avant le lancement de l’opération, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel Al Joubir, avait, en effet, mis en garde contre la participation du Hachd Al-Chaabi laquelle, selon lui, pourrait provoquer des « catastrophes » confessionnelles. Une mise en garde pas du tout appréciée par Bagdad, qui a rétorqué en affirmant que ces milices sont « une fierté » pour tous les Iraqiens.
Par ailleurs, la participation des combattants kurdes pose elle aussi problème, mais cette fois-ci, vis-à-vis de la Turquie voisine. Ces combattants progressaient lundi en direction de villages tenus par des djihadistes à l’est de Mossoul, a annoncé leur commandement général. Ce qui inquiète fondamentalement Ankara qui, d’un côté, ne cesse de répéter qu’elle ne souhaite pas que les peshmergas kurdes participent à l’offensive contre Mossoul, assimilant ces derniers aux séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) avec lesquels elle est en conflit, et qui, de l’autre, malgré le refus des autorités de Bagdad, insiste à garder ses troupes en Iraq dans la base de Bachiqa, dans la région de Mossoul, des militaires qu’elle avait envoyés en décembre 2015 pour entraîner des volontaires sunnites en vue de la reconquête de Mossoul. D’ailleurs, traduisant la hantise d’Ankara de voir ses rivaux, notamment kurdes, prendre pied dans une région qu’elle considère comme son pré carré, le ton véhément de la Turquie envers l’Iraq a donné lieu à une véritable crise entre les deux pays.
C’est dire les multiples enjeux et les intérêts souvent opposés que présente la bataille de Mossoul. Reste à dire que la manière dont le vainqueur traitera les vaincus déterminera les futures batailles. En attendant, chaque parti combattant l’EI poursuit ses propres buts de guerre.
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