
Riyad fournit à l'Egypte 700 000 tonnes d'hydrocarbures par mois.
(Photo : AP)
« nos relations avec les pays du Golfe sont stratégiques et fraternelles », a déclaré le président Abdel-Fattah Al-Sissi, appelant à une plus grande coopération avec l'Arabie saoudite. Ces déclarations du chef de l'Etat ont fait suite à une échauffourée entre les médias égyptiens et saoudiens après le vote de l’Egypte pour un projet de résolution sur le conflit syrien présenté par la Russie au Conseil de sécurité de l’Onu. Un acte mal vu par l’Arabie saoudite, résolument contre le régime de Bachar Al-Assad soutenu par Moscou. Ainsi, l’ambassadeur saoudien à l’Onu, Abdallah Al-Mouallimi, a déclaré à la télévision Al-Jazeera qu’il était « pénible que les Sénégalais et les Malaisiens aient des positions plus proches du consensus arabe, que celle du représentant arabe (qu’est l’Egypte au Conseil de sécurité, ndlr) ». Deux jours plus tard, Le Caire annonçait que la compagnie saoudienne Aramco venait de suspendre ses livraisons pétrolières à l’Egypte pour octobre (voir encadré). Toujours pour exprimer son mécontentement, le gouvernement saoudien a convoqué son ambassadeur en Egypte à Riyad pour une visite de consultation de quelques jours, sans aucune explication préalable.
Cet affrontement diplomatique a aussi engendré une réelle guerre médiatique entre d’importantes personnalités des deux pays qui se sont engagées depuis peu dans une série de débats publics mettant en relief les divergences entre les deux pays. Il semblerait que l’Egypte et l’Arabie saoudite, pourtant alliés stratégiques, ne veulent plus cacher leurs désaccords sur certains dossiers importants. Un choix qui va probablement avoir des conséquences sur leurs relations qui étaient jusque-là assez consistantes.
Syrie et Yémen
Certains dossiers régionaux, notamment les dossiers syrien et yéménite, comportent d’importants points sur lesquels Le Caire et Riyad ont des points de vue bien divergents, notamment sur les choix stratégiques à faire pour trouver une issue à ces crises. En ce qui concerne le cas syrien, l’Arabie saoudite est pour un départ du président Bachar Al-Assad, condition sine qua non selon Riyad pour une résolution de la crise. Pour Le Caire en revanche, il faut tabler sur un dialogue politique incluant le président syrien. Une des raisons pour lesquelles l’Egypte a soutenu le projet de résolution russe et s’est opposée à celui présenté par la France et soutenu par l’Arabie saoudite.
En ce qui concerne le dossier du Yémen, le jeu politique entre les deux gouvernements est encore plus complexe. L’armée égyptienne participe officiellement depuis 2015 à la coalition lancée par l’Arabie saoudite pour lutter contre les Houthis, soutenus par Téhéran, et s’est même engagée à mettre des troupes à disposition pour une intervention au sol si nécessaire. Mais les observateurs estiment que dans les coulisses, l’Egypte est plutôt réticente à un engagement si actif. Le Caire ne voit pas du même oeil que Riyad la menace iranienne. Pour le politologue Hicham Ahmed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, « ces divergences d’opinion existent depuis toujours entre ces deux pays, mais la différence est qu’elles se sont publiquement révélées ces derniers jours avec le vote de l’Egypte à l’Onu et la suspension de la livraison du pétrole saoudien au Caire pour le mois d’octobre ».
La Russie en toile de fond
Une colère saoudienne qui est le résultat de divers petits événements. En août, les propos du Grand Imam d’Al-Azhar lors d’une conférence sur l’islam, tenue à Grozny en Tchétchénie, avaient provoqué le mécontentement des Saoudiens. Le Grand Imam Al-Tayeb avait déclaré que le wahhabisme et le salafisme sont des dérives « anthropomorphistes » qui seraient, selon lui, extérieures au sunnisme. Plusieurs éminences saoudiennes ont dénoncé le discours du Grand Imam d’Al-Azhar avec véhémence.
Un peu plus tôt, en avril, durant le sommet de la Ligue arabe, au complexe touristique égyptien de Charm Al-Cheikh, le président égyptien Abdel-Fattah Al-Sissi a demandé la lecture publique d’une lettre écrite par le président russe, Vladimir Poutine, provoquant la colère du ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud Al-Fayçal, qui en a vivement critiqué le contenu. Dans cette lettre, Poutine se prononçait contre les attaques menées par les Saoudiens au Yémen et appelait à « la résolution pacifique de tous les problèmes qui affectent le monde arabe, sans aucune interférence externe ». Le ministre Saoud Al-Fayçal n’a pas fait part de sa colère à l’Egypte, mais s’est directement adressé à Poutine, en l’accusant d’hypocrisie et rétorquant que le dirigeant russe « parle des problèmes du Moyen-Orient comme si la Russie n’y contribuait aucunement, alors que la politique de Moscou est l’une des causes majeures des atrocités qu’endure le peuple syrien ».
Pour Imane Ragab, spécialiste de la sécurité régionale au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, « cette crise a tardé à apparaître car il existe de grandes différences entre la politique étrangère du Caire et de Riyad, non seulement par rapport à la Syrie, mais dans d’autres dossiers assez délicats comme la Lybie, le Yémen, la guerre contre Daech en Iraq et en Syrie. On peut donc considérer que cette affaire de vote a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, et qui a dévoilé les désaccords et intérêts divergents des deux pays ». Et d’ajouter : « Ce sont surtout les déclarations diplomatiques des ministères des Affaires étrangères qui insistaient sans cesse sur le rapprochement égypto-saoudien qui ont permis de retarder la présentation des réels intérêts de chacun ». La spécialiste prévoit aussi une période de tensions entre les deux pays, « Riyad a été déçu, car il comptait beaucoup sur une Egypte qui répondrait aux intérêts saoudiens. C’est la première fois que l’Egypte exprime sa propre position aussi clairement dans un dossier régional où l’Arabie saoudite est impliquée. Mais cela aura probablement des conséquences. L’Arabie saoudite va sûrement retarder ou ajourner des projets ou des contrats, comme cela a déjà été le cas avec Aramco. Riyad fait pression sur l’Egypte pour que ce type d’événement ne se reproduise pas », analyse la spécialiste. Hicham Ahmed, lui, est plus optimiste. « On peut s’attendre à ce que les deux pays tentent de dépasser cette crise. Les intérêts qui lient l’Arabie saoudite et l’Egypte sont beaucoup plus importants que les désaccords qui les séparent. L’Egypte a besoin de l’Arabie saoudite, car elle est un allié économique important. Et Riyad aussi dépend de l’Egypte dans des affaires militaires, stratégiques et sécuritaires comme la guerre du Yémen, ou encore la lutte contre les Frères musulmans. Malgré leurs divergences, ils ne peuvent pas se tourner le dos », conclut-il.
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