Dévaluation de la livre égyptienne et restructuration des subventions non pétrolières. Deux étapes que le gouvernement égyptien doit nécessairement entreprendre pour recevoir le prêt du Fonds Monétaire International (FMI). C’est ce qu’a confirmé Christine Lagarde, directrice exécutive du FMI, en marge des réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale tenues à Washington du 7 au 9 octobre dernier. « Ces deux étapes sont nécessaires avant la réunion du conseil exécutif du FMI, non pas après. Une fois que le gouvernement égyptien aura finalisé ces deux réformes, le conseil précisera la date de sa réunion pour discuter de la demande du gouvernement égyptien », explique Lagarde. Et d’ajouter : « Je sais que l’Egypte est consciente de l’importance de ces deux réformes, il lui reste de les appliquer ».
Le gouvernement égyptien avait présenté, fin juillet dernier, une demande auprès du FMI pour recevoir un prêt de 12 milliards de dollars. Une délégation du FMI était alors venue en Egypte et les deux parties ont discuté, deux semaines durant, du programme de la réforme présenté par le gouvernement. Suite à ces discussions, le FMI a approuvé la demande égyptienne. Il était alors question de mettre en application les réformes mentionnées le plus vite possible pour l’obtention du prêt.
Or, depuis, seules la Taxe de la Valeur Ajoutée (TVA) et la loi sur la fonction publique ont été mises en application. En revanche, la Banque Centrale d’Egypte (BCE) n’a entrepris aucune étape quant à la dévaluation de la livre égyptienne. La décision était pourtant attendue au courant de la semaine des réunions du FMI, notamment par les banques d’investissement. Mais la dévaluation n’a finalement pas eu lieu. « Cette mesure est sans doute très proche. Et chaque retard pèse bien sur l’économie égyptienne », explique Riham Al-Dessouqi, analyste économique auprès de la banque d’investissement Arqam Capital. Al-Dessouqi avait prévu, avant les déclarations de Christine Lagarde, que le prix officiel du dollar atteignerait environ 12 L.E.
Pourtant, le gouverneur de la BCE, Tareq Amer, avait précédemment déclaré qu’aucune étape ne serait entreprise à cet égard avant la hausse des réserves en devises étrangères en Egypte, pour atteindre au moins 25 milliards de L.E. Et cela aura lieu, selon lui, vers la fin de l’année 2016. Les prévisions de Amer semblent être vraies. Les réserves en devises étrangères ont enregistré la plus grande hausse depuis juin 2015, une hausse de 15 %, pour atteindre actuellement 19,5 milliards de dollars.
Mais qu’en est-il après les déclarations de Mme Lagarde ? La BCE tiendra-t-elle à sa position ? Pour la grande majorité des experts économiques, une première mesure semble être urgente. Hani Guéneina, chef du département des recherches auprès de la banque d’investissement Beltone, avait publié un rapport la semaine dernière affirmant une première étape vers la dévaluation le 3 octobre dernier. Il avait prévu un prix de 11,5 L.E. pour le dollar. Les banques d’investissement EFG-Hermes, Prime et Arqam Capital avaient également prévu une telle étape, mais sans préciser de date. Or, le mois d’octobre serait un délai maximum.
Pour les experts bancaires, comme l’explique Tamer Youssef, chef du trésor dans l’une des banques étrangères, la BCE n’entreprendra aucune étape à cet égard avant l’injection des 6 milliards de dollars promis par les partenaires économiques du pays (Arabie saoudite, Emirats, Chine). Une fois que ces fonds seront injectés dans le marché, une baisse de 30 % de la L.E. par rapport au dollar aura lieu.
Le marché s’enflamme
Le lendemain des déclarations de Lagarde, le prix du dollar a sauté sur le marché noir pour atteindre 14 L.E., pour la première fois dans son histoire. De plus, il n’est plus disponible dans les banques ou dans les bureaux de change. Les banques, ne possédant pas les liquidités nécessaires, s’abstiennent de vendre le dollar et sont incapables de satisfaire les besoins des clients et des hommes d’affaires. Les bureaux de change, pointés du doigt par le gouvernement, ont eux aussi peur de vendre les devises étrangères. Un grand nombre ont même fermé leurs portes de peur d’être pénalisés : à noter que le gouvernement égyptien avait criminalisé environ 20 bureaux de change et les avait accusés de porter atteinte à l’économie égyptienne et d’aggraver la crise du dollar.
La question est donc désormais de savoir quand et comment la BCE entreprendra cette étape. Selon un expert bancaire ayant requis l’anonymat, la BCE préfère cette fois-ci garder en main les fils du jeu pour s’assurer d’un scénario plus réussi que celui adopté lors de la dévaluation de mars dernier. Or, pour garder en main ces fils, il est nécessaire de diminuer l’écart entre le prix officiel et le prix du marché noir. « Il faut appliquer une hausse qui puisse contrecarrer le marché noir. Et c’est pour cela que le gouverneur préfère probablement attendre l’arrivée des fonds et la hausse des réserves pour pouvoir entreprendre une mesure complète », assure l’expert. La dévaluation précédente n’a pas porté ses fruits vu le manque de ressources en devises et le prix inférieur à celui du marché noir. « L’écart entre les deux prix grandira et le fardeau sur la BCE et le citoyen sera difficile à supporter », dit-il. « Chaque retard de la part de la BCE aggrave la crise », estime, pour sa part, Guéneina. « Il est temps d’entreprendre une première étape avant que le fossé entre les deux prix, officiel et officieux, ne se gonfle de plus en plus », dit-il.
La BCE a procédé à une dévaluation de la livre égyptienne en mars dernier, par un lancement exceptionnel de 200 millions de dollars au prix de 8,85 L.E. le dollar, destinés aux banques. Celles-ci, à leur tour, ont vendu le dollar à 8,95 L.E., soit une hausse de 13 %. La BCE a de plus décidé de lancer, à travers les deux banques publiques, Al-Ahly et Misr, des certificats en L.E. à un taux d’intérêt de 15 % — alors le maximum proposé était jusque-là de 12,5 % — pour encourager les dépôts en livre égyptienne. « Ces mesures visaient la stabilité du marché des changes en Egypte, une mission ratée », regrette l’expert bancaire ayant requis l’anonymat. La BCE se trouve donc dans l’impasse.
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