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La victoire qui inquiète

Nourane Chérif, Jeudi, 06 octobre 2016

Avec une stratégie basée sur le repli vers d'autres régions, la défaite annoncée de l'EI à Syrte présente une menace non négligeable aux voisins de la Libye.

La victoire qui inquiète
La Tunisie renforce les mesures sécuritaires à la frontière tuniso-libyenne.

Il y a encore quelques mois, le monde s’inquiétait de voir Syrte être promue nouvelle capitale de l’Etat Islamique (EI), suite à l’affaiblissement de Daech dans ses fiefs syrien et iraqien. Avec le soutien américain aux milices libyennes, l’offensive déclenchée le 1er août dernier, la ville de Syrte, dernier fief de Daech dans le pays, est en passe d’être reprise par les troupes gouvernementales libyennes. Une victoire d’envergure, vu l’importance de la ville. Selon Khaled Hanafy, spécialiste des affaires libyennes à la revue Al-Siyassa Al-Dawliya, (politique internationale) publiée par Al-Ahram, « l’importance géostratégique de Syrte et de toute sa région émane du fait que la ville représente un port stratégique connu par sa richesse pétrolière ». Syrte est également une ville charnière du pays puisque qu’elle relie l’est et l’ouest au sud du pays.

Or, cette nouvelle victoire sur le groupe terrorise les pays voisins qui craignent que la menace djihadiste ne se retourne sur eux. Car, il faut le rappeler, Daech s’était installé à Syrte profitant du chaos en Libye et surtout à la suite des pertes qu’il a subies dans ses bastions originaux. D’où cette crainte, l’impression étant que l’EI est sans cesse à la recherche de nouveaux fiefs. C’est ce que confirme Tareq Fahmy, directeur du Centre national des études du Moyen-Orient : « Bien que la défaite de Daech en Libye puisse apparaître comme un gain, surtout pour l’Egypte et la Tunisie, plusieurs facteurs inquiétants sont à prendre en compte ». Avant tout, il a été remarqué qu’à chaque fois que le groupe de l’Etat islamique perd un terrain, il se rabat sur un autre. C’est l'un des piliers de sa stratégie militaire qui a été relevé à plusieurs reprises. A titre d’exemple, suite aux pertes de Daech en Syrie et en Iraq, l’organisation terroriste a intensifié ses efforts en Libye. De la même manière, une fois que les djihadistes de ce groupe seront chassés des places fortes qu’ils occupent en Libye, un risque d’éparpillement des djihadistes vers les pays voisins va apparaître.

Deux scénarios

Aujourd’hui, deux scénarios semblent possibles. Le premier consiste en l’éparpillement des djihadistes appartenant à l’Etat islamique vers le sud de la Libye. Selon Zyad Akl, politologue et analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, « il est très probable en effet qu’ils se dirigent vers le sud et le sud-ouest de la Libye. Cette immensité désertique, par laquelle ont transité nombre des armes sorties de l’arsenal de Kadhafi, renferme plusieurs abris pour les terroristes. Et la route sera ouverte pour les membres du groupe s’ils veulent aller s’installer dans l’un des pays voisins de la Libye, c’est-à-dire du Nigeria aux côtes sénégalaises ».

Quant au deuxième scénario, il consiste à ce que les djihadistes de Daech se dirigent vers le nord du pays, vers la Méditerranée puis vers l’Europe. Cette éventualité affecterait alors la stabilité politique des pays sud de la Méditerranée, en premier lieu de l’Egypte et de la Tunisie, et à moindre mesure celle de l’Algérie et du Maroc. L’Europe, elle, ne serait pas non plus épargnée, de par sa proximité des côtes libyennes.

Tenant compte de la proximité criante entre la Libye d’une part et la Tunisie et l’Egypte d’une autre part, « la défaite de Daech en Libye pourra représenter une menace réelle surtout pour ces deux pays », annonce Fahmy. Tripoli ne se trouve qu’à quelques kilomètres de la frontière avec la Tunisie, ce qui pourra faciliter à un grand nombre de combattants de l’organisation terroriste en Libye, notamment d’origine tunisienne, de s’infiltrer en Tunisie pour rejoindre les groupes armés déployés dans la zone montagneuse à la frontière tuniso-algérienne, posant ainsi plusieurs défis sécuritaires à la Tunisie et l’Algérie. Quant à l’Egypte, dont les frontières avec la Libye mesurent environ 1 115 km, elle risque de voir cet éparpillement des membres djihadistes de Daech se diriger surtout vers la région du Sinaï, bastion du groupe Ansar Beit Al-Maqdess, branche de l’Etat islamique dans cette région.

Le scénario du retrait de Daech pose cependant un autre dilemme majeur : Comment remplir le vide qui sera laissé par Daech en Libye, sans que celui-ci soit rempli par les autres organisations terroristes venant du Maghreb (comme Al-Qaëda au Maghreb islamique) ou de l’Afrique de l’Ouest (comme Boko Haram), qui vont prolonger le conflit libyen et vont compliquer la recherche d’une solution durable ?

Pour Hanafy, « la défaite de Daech en Libye va mener à un changement de la stratégie sécuritaire des Etats voisins, qui vont mettre en place des nouvelles procédures afin de se protéger contre les nouveaux dangers attendus ». Par exemple, pour faire face à cette éventualité, Akl pense qu’« il est très probable que les voisins soient encouragés d’élaborer une stratégie commune qui vise à empêcher l’apparition de nouvelles entités radicales ou l’éparpillement d’autres organisations djihadistes déjà existantes vers la Libye ». Ce qui pourra avoir lieu par exemple à travers la mise en place d’un plan à long terme qui vise à lutter contre les facteurs économiques, politiques et sociaux qui engendrent la pensée radicale, enracinée dans les sociétés de la région. De son côté, Fahmy estime que « comme conséquence du retrait de Daech de la Libye, les pays voisins vont désormais penser à jouer un rôle pour le renforcement du pouvoir central libyen », car l’affaiblissement, voire l’absence de l’Etat, et le vide sécuritaire qui touche le pays peuvent représenter un terrain fertile pour l’apparition de nouveaux groupes djihadistes.

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