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Dans le désert, une ville émerge ...

Hanaa Al-Mekkawi, Dimanche, 18 septembre 2016

Quelques mois après le lancement du projet de construction d'une nouvelle capitale administrative, à l'Est du Caire, les prémices d'une vie nouvelle commencent à apparaître. Reportage.

Dans le désert, une ville émerge ...
Le but du projet est de transformer 170 000 feddans dans le désert en une ville moderne en l’espace de quelques années. (Photo : Mohamad Adel)

En entendre parler, ce n’est pas comme la voir. C’est l’impression que l’on a lorsqu’on s’enfonce dans le désert, car la nouvelle capitale administrative actuellement en construction se trouve à mi-chemin entre Le Caire et Suez. Tout le long de la route, on ne voit de part et d’autre que du sable jaune. Et même après avoir parcouru une cinquantaine de kilomètres, lorsqu’on tourne et roule pendant une dizaine de kilomètres à l’intérieur, c’est encore le désert. Puis, petit à petit, quelques signes de vie commencent à apparaître : des roulottes stationnées par petits groupes de 4 à 5, quelques camions qui peinent à rouler sur le sable, transportant des briques ou des barres de fer. D’immenses bétonneuses vrombissent brisant le silence. Mais, plus on avance et plus on découvre d’autres signes de vie éparpillés ici et là. Des machines et des hommes creusent les rochers. Puis apparaît à l’horizon un ensemble de bâtiments avec piliers et murs de brique rouge ressemblant à des fleurs avec leurs tiges au milieu du désert. « Ce sont les premières bâtisses achevées de ce grand projet », dit fièrement Khaled Saleh, un des ingénieurs responsables des routes. En escaladant les sept étages du premier immeuble achevé, et une fois sur le toit, Khaled nous montre des doigts le chantier en expliquant ce qui va être construit. On ne voit que du sable, mais lui parle comme s’il s’agissait d’une vraie ville avec toutes ses infrastructures. Pour le moment, il n’y a que quelques immeubles et un réseau de routes serpentées qui traversent le désert.

12 fois Manhattan

Dans le désert, une ville émerge ...
Le premier immeuble émerge dans le désert. (Photo : Mohamad Adel)

L’ingénieur Amr Abdel-Samie, coordinateur général de la nouvelle capitale, explique que les travaux progressent en parallèle avec plusieurs autres prévus dans ce projet. D’ailleurs, c’est ce qu’on constate sur le terrain. Plusieurs bâtisses sont terminées mais aussi l’infrastructure souterraine. Pour cette dernière, une nouvelle technologie a été utilisée pour la première fois en Egypte, visant à améliorer l’efficacité et la durabilité des infrastructures. « On veut construire une ville superbe et digne des Egyptiens en veillant à ne pas répéter toutes les erreurs commises dans la capitale actuelle », dit Abdel-Samie. En fait, on parle ici des premiers travaux déjà entamés dont l’Etat a annoncé le lancement, il y a quelques mois, pour la construction de la nouvelle capitale administrative. Celle-ci va s’étendre sur une superficie de 700 km2. Tous les citoyens en ont entendu parler et admiré la maquette présentée lors de la conférence économique qui a eu lieu à Charm Al-Cheikh en mars 2015. Une ville gigantesque qui sera construite à l’Est du Caire. Et qui, paraît-il, sera 12 fois plus grande que la ville de Manhattan aux Etats-Unis, 3 fois plus grande que Washington et 7 fois plus grande que Paris. La nouvelle ville comprendra des gratte-ciel, mais aussi de larges zones vertes et des parcs. Elle disposera d’un quartier pour les ministères, un autre pour les ambassades. Un emplacement pour le parlement, un autre pour le palais présidentiel ainsi que des universités et un stade olympique. Cette ville, qui n’a pas encore de nom, sera dotée également d’un aéroport international. Le projet prévoit aussi des quartiers résidentiels et des HLM pour les petits fonctionnaires et les jeunes. « Cette nouvelle ville va désengorger Le Caire, asphyxié par ses 18 millions d’habitants (on en prévoit 40 millions en 2050), et offrir de meilleures conditions de vie aux Egyptiens », a ainsi affirmé le ministre du Logement. Elle sera achevée d’ici cinq ans. Et même si cela semble utopique pour certains, sur le terrain, les travaux de la première phase battent leur plein sur une étendue de 40 feddans, lesquels seront achevés dans un an et demi.

Dans le désert, une ville émerge ...
(Photo : Mohamad Adel)

Aujourd’hui, après 5 mois du lancement du projet, l’endroit promet. Lorsque Chaaban lançait cette phrase : « Je travaille dans la nouvelle capitale », à ses amis dans son village natal, à Qéna, personne ne comprenait de quoi il parlait. Un jour, ils l’ont accompagné et aujourd’hui, ils travaillent tous ensemble pour construire cette nouvelle ville. Chaaban, 22 ans, a ouvert une cafétéria dans le désert pour servir aux ingénieurs et aux ouvriers des boissons fraîches et des sandwichs. « J’ai entendu parler de ce grand projet à la télé et je me suis dit que les travailleurs auront certainement besoin de mes services. J’ai beaucoup de clients et en quelques mois, j’ai gagné une belle somme d’argent », confie Chaaban qui a ramené une dizaine de ses proches pour travailler dans ce projet. Ces derniers et d’autres se sont adaptés à la vie dans le désert. Des employés et des ingénieurs venus des quatre coins de l’Egypte se relaient de jour comme de nuit et travaillent sans relâche. Des entrepreneurs et des ouvriers de tous les secteurs et même des chauffeurs qui ont ramené leurs propres véhicules se trouvent sur le site. Le drapeau de l’Egypte se dresse bien haut, côte à côte avec les étendards des compagnies qui travaillent dans le projet. Sur le chantier, un esprit de concurrence règne et cela se voit clairement. « Au début, j’ai accepté ce travail pour gagner ma vie, mais après avoir vu les plans et les cartes concernant cette nouvelle ville, je me suis senti fier de participer à un tel projet qui vise à changer l’image du pays », commente Khaled. Ainsi pensent tous ceux qui contribuent à ce projet, comme Mohamad, vendeur de jus de fruits, venu du gouvernorat du Fayoum. « On nous a dit que cette ville apporterait de la prospérité pour tout le monde mais même si je ne vais jamais vivre ici, au moins, je vais en profiter pour gagner de l’argent », lance le jeune brun en arborant un sourire confiant.

Un chantier de 10 000 personnes

Dans le désert, une ville émerge ...
(Photo : Mohamad Adel)

Le but du projet est de transformer 170 000 feddans dans le désert en une ville moderne en l’espace de quelques années. Mais il paraît que le défi est grand pour tout le monde, et le mot-clé pour tous ceux qui travaillent dans ce projet est : Espoir. C’est ce petit mot qui motive environ 10 000 personnes qui travaillent sur le terrain, selon l’ingénieur Amr Abdel-Samie. Ils travaillent dans des conditions très difficiles supportant la chaleur torride du désert et le manque d’eau. La vie commence à 8h du matin et se termine à l’aube du lendemain. Les employés sont dispatchés sur 11 zones pour achever la première phase du projet. Portant des casques de protection et des gilets phosphorescents, ouvriers et ingénieurs se déplacent dans toutes les directions, travaillant comme des fourmis qui construisent leurs tanières. Le rêve de Sayed, originaire du gouvernorat de Charqiya, est de pouvoir vivre un jour dans cette capitale à laquelle il a contribué. « Je suis venu ici pour travailler mais aussi parce que ce projet n’est pas comme les autres. On nous a dit que n’importe qui pourrait vivre ici, un jour », dit Sayed, qui a laissé femme et enfants pour venir ici et vendre des vêtements aux ouvriers. Ce marchand ambulant rentre toutes les deux semaines pour voir sa famille puis retourne à son travail. Chaque opportunité de travail ici donne lieu à une vie qui se crée. On travaille en groupe pour construire cette nouvelle capitale. Cette ville naissante a également redonné vie aux nouvelles villes qui l’entourent, à l’exemple de Chorouq et la ville de Badr situées sur la même route. D’après Karim Sidhom, responsable des ventes dans l'une des sociétés de logements à Chorouq, les prix des appartements ont grimpé depuis qu’on a commencé à construire la nouvelle capitale. Et plus le projet avance et plus les prix montent.

Les travaux progressent
Les travaux progressent. (Photo : Mohamad Adel)

A Badr, la ville la plus proche de la nouvelle capitale, le marché du logement est actuellement prospère grâce aux appartements loués aux ingénieurs et aux ouvriers qui travaillent dans le projet. Quant aux Cairotes, la plupart d’entre eux souhaitent voir cette nouvelle capitale terminée le plus tôt possible pour alléger Le Caire de l’encombrement. « Savoir qu’il y aura un aéroport, le palais présidentiel avec le parlement et les ministères va permettre d’enrayer les cortèges qui bloquent les rues », dit Hadir Khaled, qui habite à Héliopolis. Alors que beaucoup de citoyens partagent l’avis de cette dame, d’autres rejettent le fait de considérer la nouvelle ville comme une capitale alternative, car, selon le juge Emad Réfaat, elle ne pourra jamais être à la hauteur du Caire fatimide avec tout ce qu’elle comporte comme histoire et monuments architecturaux. La page officielle de la nouvelle ville sur Facebook témoigne d’une grande effervescence de la part de ses membres qui suivent attentivement son évolution, l’avancement du projet, tout en cherchant à connaître les prix des appartements et les facilités offertes. Cependant, avec cette vie qui commence, certains voient les choses autrement comme le pilote Rami Waël, qui encourage le développement mais pense qu’il aurait fallu commencer par éduquer les personnes et lutter contre la corruption avant de construire des villes qui subiront le même sort que Le Caire si le comportement des gens ne change pas. « Je suis fier de voir une nouvelle vie se créer, mais je ne peux pas cacher mon inquiétude car je crains que l’on ne répète les mêmes erreurs », achève Waël.

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