La réception de l’oeuvre de Mahfouz varie certes d’une époque à l’autre. Cela n’est pas étonnant. Lorsqu’à la mort de Mahfouz, certaines jeunes voix se sont élevées contre l’écriture classique du Nobel égyptien, cela ne voulait pas dire qu’il était un écrivain «
démodé », au contraire. Aujourd’hui, on a dépassé le stade de la comparaison avec Mahfouz. On a peu de chance de tomber aujourd’hui sur un écrivain qui reproduit le style de Mahfouz, ou qui tente d’imiter ses techniques, son écriture retenue, ornementée, appartenant au style réaliste de l’époque. Les jeunes écrivains ressentent le besoin de se démarquer du Nobel et d’affirmer haut et fort leur non-affiliation au Nobel décédé en 2006. Cette situation existe déjà depuis les années 1960. On a vu l’apparition de nombreux écrivains libérés de l’écriture de Mahfouz. Certains d’entre eux ont très tôt débarrassé la littérature du fardeau des grandes questions existentialistes et des concepts plus ou moins moraux de l’écriture classique. Ils ont opté pour l’individu, se contentant de capter les détails du quotidien avec la ferme conviction que ces détails suffisent pour refléter la condition humaine. Il s’agit d’une période où les écrivains avaient besoin de crier leur révolte contre le pouvoir. C’était l’ère de la désacralisation sous toutes ses formes. Le rejet de la morale.
Ces cinq dernières années nous ont révélé nos capacités de révolte et de dépassement des tabous, ce qui a permis, entre autres, de développer les bases d’une conscience nouvelle. On sent aujourd’hui, en tant qu’écrivain, qu’on n’a pas besoin de se situer par rapport à Mahfouz. De la même façon, nous nous sommes débarrassés de cette timidité qui faisait qu’on devait avouer sa fascination pour l’oeuvre de Mahfouz. Tout le monde sait que l’écrivain d’aujourd’hui possède de nouveaux donnés pour construire l’univers qui lui est propre. Et que chacun est en mesure de créer son propre dictionnaire.
Cependant, nous assistons aujourd’hui à une sorte de « recyclage » du concept de la question humaine posée par Mahfouz. Comme si l’ambiance actuelle et le climat politique général nous amenaient une fois de plus à accabler la littérature moderne de grandes questions et à écarter les détails du quotidien. Les questions existentielles sont de nouveau au menu du jour. Ce qui fait par exemple qu’on retrouve des fragments de l’oeuvre de Mahfouz dans la case « statut » de Facebook.
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