Le blé était parmi les cultures fondamentales de l’agriculture de l’Egypte Ancienne. Le Musée de l’agriculture égyptienne à Doqqi abrite des grains de blé âgés de 6 000 ans. On peut y contempler aussi plusieurs sortes de petits pains et de gâteaux décorés qui ont été cuits, il y a plus de 4 000 ans, à Deir Al- Médina, au Moyen Empire. Ceux-ci ont été retrouvés dans des tombes pharaoniques.
Favorisée par les crues du Nil et des terres d’une fertilité exceptionnelle, l’agriculture des céréales a été introduite en Egypte dès l’époque néolithique. « Les Egyptiens de l’Antiquité ont connu au moins trois sortes de blé. Les céréales constituaient l’une des plus grandes richesses de l’Egypte Ancienne, qui est devenue ainsi le grenier à blé du monde antique. A l’époque romaine, l’Egypte exportait une grande partie de sa production vers Rome et plusieurs autres pays », explique Mohamad Réda, professeur d’agronomie à l’Université de Aïn-Chams.
L’exportation du blé s’est poursuivie jusqu’aux différentes époques islamiques (ayyoubide, fatimide, mamelouke et ottomane). Cette situation n’a pas beaucoup changé à l’époque de Mohamad Ali pacha qui a transformé l’Egypte en une puissance régionale et a développé une agriculture axée sur l’exportation, notamment celle du blé et du coton. A son époque, les revenus des exportations du blé représentaient l’une des premières sources du Trésor de l’Etat.
Pour le professeur d’économie Fouad Abou- Steit, le début de la chute dans la production du blé a eu lieu à l’époque nassérienne. « La situation a beaucoup changé dès 1952, notamment suite à la réforme agraire menée par Abdel-Nasser ». En effet, cette réforme a commencé dès 1952. Abdel-Nasser a, entre autres, limité la propriété privée des terres agricoles. Ont été alors créées les coopératives de réforme agraire, qui géraient 13 % des terres redistribuées aux paysans. A l’époque, l’Egypte produisait 80 % de ses besoins en blé et importait les 20 %, notamment de la Russie.
Dans les années 1970, les prix internationaux des céréales ont augmenté d’une façon considérable. Le prix de la tonne de blé est ainsi passé de 60 dollars en 1970 à 250 dollars en 1973. Et, en 1977, à l’époque d’Anouar Al-Sadate, qui avait adopté une politique d’ouverture économique, le gouvernement égyptien, sous pression du Fonds Monétaire International (FMI), a tenté de diminuer les subventions alimentaires y compris pour le pain. Ce qui a provoqué des manifestations massives appelées les émeutes du pain.
Durant les années 1980, les besoins en blé sont restés stables, avec une production de 60 % des besoins et l’importation des 40 % restants. Un équilibre qui n’a pas pu survivre sous Hosni Moubarak. C’est à cette période que l’Egypte est devenue l’un des plus gros importateurs de céréales au monde. « L’époque de Moubarak était pire que celle de Sadate et de Abdel-Nasser », estime Fouad Abou-Steit. En 1990, le gouvernement a importé quatre fois plus de blé qu’en 1960. D’un côté, la demande a augmenté, de l’autre, la production a baissé, notamment en raison de politiques agraires aux conséquences néfastes. Résultat : en 1993, l’Egypte est devenue le quatrième importateur mondial de blé (derrière la Corée du Nord, le Brésil et la Chine). Et aujourd’hui, elle est le 1er importateur mondial. Depuis, le gouvernement tente de masquer la crise, également due à l’augmentation du prix du blé international, par une baisse de la qualité de la farine et du poids du pain. En même temps, le consommateur égyptien n’avait pas d’autres choix que d’accepter le mauvais produit. « Les habitudes alimentaires se transforment à travers l’histoire économique du pays », analyse Abou-Steit. C’est ainsi que dans les années 1990, les céréales représentaient plus de 70 % des apports énergétiques, alors que la viande représentait moins de 2 %. C’est normal pour un pays où plus de 50 % de la population sont considérés comme pauvres ou moyennement pauvres.
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