Le Conseil d’Etat égyptien annule dans un arrêt du 21 avril l’accord de démarcation des frontières maritimes des deux îlots par un représentant du gouvernement égyptien lors d’une visite historique du roi Salman. Cet accord a provoqué un déchaînement sur les réseaux sociaux et dans les médias, poussant des milliers de manifestants à protester contre le régime actuel. Une crise dont l’Egypte se serait bien passée dans une période de fortes turbulences économiques et sociales.
A qui appartiennent Tiran et Sanafir, ces deux îlots inhabités qui séparent l’Egypte de l’Arabie saoudite à l’embouchure du golfe de Aqaba ? La complexité de la situation incite à s’en remettre au droit interne égyptien et au droit international public. Toutefois, il s’agit de préciser que cette crise est véritablement politique plus que juridique.
L’opposition, que ce soit les pro-Morsi ou bien les libéraux laïques, ne manque pas une occasion pour critiquer le régime. L’action de politiser un débat de cette ampleur permet à l’opposition d’amplifier les tensions déjà existantes entre le peuple et son président élu. La perplexité de cette affaire réside dans le manque de documentations et d’informations, mais aussi dans le moment choisi pour annoncer l’accord. Le manque de tact de la part du gouvernement égyptien lui a coûté non seulement l’incompréhension et la colère du peuple égyptien mais aussi sa confiance, même si beaucoup d’Egyptiens ne savaient pas où se trouvent ces deux îlots sur la carte. Une crise politique dont la seule issue est la diplomatie et le droit consistant à rendre aux parties concernées ce qui leur revient de manière à éviter tout conflit qui accoutrerait les tensions dans la région.
Il est bien évident que l’on doit parler d’une rétrocession, c’est-à-dire d’un transfert d’une propriété à une personne qui l’a antérieurement cédée et non pas la renonciation d’une partie d’un territoire égyptien. Dans ce cas-là, il aurait fallu faire un référendum selon l’article 151 de la Constitution égyptienne de 2014. L’article 151 de la Constitution stipulant que le président de la République représente l’Etat dans les relations extérieures, conclut les traités ratifiés après l’approbation du parlement. Cet article peut être invoqué en partie. Bien qu’il n’y ait pas eu de traité bilatéral entre les deux pays, le président a soumis l’accord de rétrocession au parlement pour l’examiner, et l’approuver par la suite. Une bonne initiative du président qui se libère ainsi de tout débat pouvant contester sa légitimité.
D’après la version officielle du gouvernement égyptien, les îles sont passées sous le contrôle égyptien dans les années 1950 suite à une demande de l’Arabie saoudite qui, à l’époque, n’avait pas les moyens pour les protéger contre une probable attaque israélienne. C’est au parlement de décider si les îles font partie du territoire égyptien ou non en se référant au droit international public maritime.
Le droit de la mer est largement coutumier, c’est-à-dire il revêt un caractère largement répandu, ancré dans le temps et perçu comme obligatoire par l’opinion publique. Le facteur obligatoire de l’usage est d’une importance considérable. L’opinion publique verra dans cet accord une renonciation à une terre stratégique. Faute de preuve écrite par le gouvernement, le Conseil d’Etat se verra enclin à annuler une nouvelle fois cet accord.
La convention des Nations-Unies sur le droit de la mer a élaboré la codification du droit maritime et a donné lieu à la convention de Genève de 1958. Quant aux eaux territoriales, cette convention est entrée en vigueur le 10 septembre 1964 et ratifiée par l’Egypte. Elle prévoit que la mer territoriale s’étend à la souveraineté d’un Etat côtier et est fixée à 12 miles ou résulte d’un partage médian pour les Etats voisins dont les côtes sont distantes de moins de 24 miles. Des experts en la matière doivent donc mesurer la distance exacte séparant les îles des côtes égyptiennes.
Si les prétentions du gouvernement égyptien s’avèrent exactes — que ces îles étaient sous contrôle égyptien durant une cinquantaine d’années — cela voudrait dire que Tiran et Sanafir ont toujours appartenu à l’Arabie saoudite par voie de coutume, une des sources primaires du droit international public selon l’article 38 du statut de la Cour internationale de justice. Vu que le droit international public prime sur le droit interne, selon la hiérarchie des lois égyptiennes, il est nécessaire de faire appel à des experts internationaux pour mettre fin à cette polémique qui n’a pas lieu d’être.
La politisation systématique des crises est monnaie courante en Egypte. Laissons le droit prendre son cours normal avant de politiser un débat qui aboutirait au démantèlement de la société égyptienne déjà à bout de souffle, surtout la détérioration des relations bilatérales avec un pays ami et allié comme l’Arabie saoudite. Un rapprochement entre le gouvernement et le peuple égyptiens est nécessaire pour construire une confiance qui résulterait en une stabilité économique et sociale.
* Licenciée en droit, Université Paris 1, Panthéon, Sorbonne.
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