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Le mariage et son pesant d’or

Chahinaz Gheith, Mardi, 16 août 2016

Balaha Chabka (au diable la parure), une campagne lancée en Haute-Egypte qui appelle à renoncer au traditionnel cadeau de mariage en or. Une initiative bien accueillie, mais qui peut difficilement survivre sur le long terme.

Le mariage et son pesant d’or
Le marché de l’or connaît une flambée sans précédent.

« Nos filles ne sont pas à vendre comme des vaches. Les temps ont changé. Il ne faut pas penser seulement à l’aspect matériel, cela ne rend aucun service à nos filles. Elles pourraient rester sans mariage et augmenter le taux du célibat », dit Ahmad Omran, originaire du village Béllina, au gou­vernorat de Sohag et promoteur de la campagne intitulée Balaha Chabka (au diable la parure), qui appelle au boycott de la chabka (parure en or que doit offrir un homme à sa fiancée comme cadeau avant le mariage) et qui a été lancée au village de Béllina, puis à Dénqiq et Qéna, en Haute-Egypte. Une campagne qui fait tache d’huile actuellement à Sohag et s’est répandue à Louqsor ainsi que dans une partie des gouvernorats de Haute-Egypte, aussi bien que dans quelques villes de Basse-Egypte à l’exemple de Mansoura et Béheira. Une cam­pagne très médiatisée qui trouve son origine dans la hausse excessive du prix de l’or dont le gramme dépasse aujourd’hui les 500 L.E.

« Aujourd’hui, pour se marier, il faut être riche », lance Gamal Ayad, professeur âgé de 27 ans, originaire de Minya et qui a fini par renoncer à la femme de sa vie car les parents de cette dernière ont exigé, en guise de chabka, 300 grammes d’or, prix esti­mé à 140 000 L.E. « Ils savaient que mes moyens financiers ne me permet­taient pas d’offrir à leur fille unique une parure, des bracelets, des bagues et une chaîne en or, qui coûtent les yeux de la tête. Elle disait m’aimer mais n’a rien fait pour défendre notre amour. Elle m’a dit que si je tenais vraiment à elle, je devais casquer », raconte-t-il. Gamal n’est pas le seul à vivre des situations pareilles. Tiraillés entre l’amour, le désir de fonder un foyer et le coût outrancier du mariage en Egypte, les jeunes ne savent plus à quel saint se vouer.

La fameuse « chabka » varie en fonction du statut social et va de l’or aux rivières de diamants. Mais dans l’ensemble, le mariage est synonyme d’énormes dépenses et parfois de ruine pour les jeunes. Du coup, plu­sieurs familles en Haute-Egypte ont songé à mettre de l’eau dans leur vin pour éviter d’avoir de vieilles filles à la maison. En fait, tout a commencé au mois du Ramadan, lors d’une dis­cussion entre Omran et quelques-uns de ses amis au sujet de la flambée du prix de l’or et donc de la chabka, devenue un vrai obstacle au mariage. Furieux, ils ont créé un groupe sur Facebook. Leur mot d’ordre : « Balaha chabka ». Une mission dif­ficile dans un pays où les coutumes traversent les siècles. En Egypte et surtout dans les gouvernorats de Haute-Egypte, la chabka est incon­tournable. Offerte par le fiancé, elle permet de sceller l’union entre deux familles. Et demeure bien codifiée.

Des traditions enracinées que Omran et ses amis tentent de bouleverser. Selon eux, non seulement cette logique matérialiste freine les mariages, mais elle a aussi d’importantes répercussions sur la société. En effet, d’après les statistiques de l’Organisme central de mobilisation et de recensement sur le célibat, 13 millions de jeunes des deux sexes ont dépassé l’âge des 35 ans, ce qui constitue une véritable bombe à retardement. « Nous ne nous laisserons plus faire. Plus personne ne nous obligera à nous couvrir de dettes pour pouvoir nous marier », dit avec fermeté Omran, tout en ajoutant que son idée a fait fureur sur Internet. Un chiffre qui ne cesse d’augmenter au fil des jours. Et ce n’est pas tout, ce groupe de jeunes a voulu mettre en pratique cette initiative sur terrain. A Sohag, après la prière du vendredi, des jeunes profitent du rassemblement à la sortie des mosquées pour convaincre les grandes familles de leur village de réduire la dot de leurs filles. Des tracts, des affiches et des autocollants sont distribués. Résultat : cette initiative a connu un certain succès, et elle a fait aussi l’effet de boule de neige. Un nombre important de parents se sont pliés à la voix de la raison et ont décidé d’être plus cléments. C’est le cas de Fawzi Moustapha, un habitant du village de Dénqiq à Qéna. Il a trois filles à marier et a décidé de faire quelques concessions. « Mes frères et tous les habitants du village ne donnent leurs filles qu’à celui qui peut honorer toutes leurs demandes : la dot, la parure en or, la robe de mariée, l’électroménager … Moi, j’ai donc décidé de briser les us. Sinon, elles ne pourront pas se marier. Et puis, le mariage, ce n’est pas qu’une question d’argent. Je m’en voudrais d’accorder trop d’importance à l’argent et mettre de côté les directives de ma religion. Nous avons rendu difficile ce qui est facile en attachant beaucoup d’intérêt à nos coutumes et en oubliant l’essence même de cette union sacrée », souligne Moustapha. Même écho pour Ismaïl Abdallah, jeune ingénieur, habitant au village Kom Al-Dabaa à Qéna et militant dans cette campagne. Ce dernier a réussi à convaincre son père de célébrer le mariage de sa soeur, dont la date avait initialement été reportée, car son futur mari n’avait pas les moyens. Ne voulant que le bonheur de sa fille, le père ne s’est pas montré exigeant et s’est contenté de demander l’essentiel : la garantie d’un logement. Pas de parure, seulement une bague en or, qui sera offerte le jour de la cérémonie. « De notre temps, le mieux était de faire en sorte de ne pas vivre au-dessus de ses moyens ou de s’endetter jusqu’au cou … Le bonheur se construit à deux et progressivement, le chemin est long et les faux départs sont déconseillés », estime Ismaïl.

Entretemps, les commentaires sur Facebook s’enchaînent pour soutenir les différentes campagnes qui portent plusieurs noms « Mariage sans chabka », « Choisis un homme au lieu d’une chabka » et « Remplace la chabka en or par une en argent ». Réunies, ces pages comptent plus de 60 000 abonnés. Des campagnes qui, semble-t-il, trouvent bon entendeur. De son côté, Dar Al-Iftaa apprécie l’idée de cette campagne qui répond au désir de la rue. « Si nous suivons convenablement ce qui est dicté dans notre religion, le mariage ne nous coûtera que très peu. Malheureusement, l’union que le Bon Dieu a créée pour fonder un foyer est devenue aujourd’hui source de destruction du foyer familial, à cause de ces coutumes bien ancrées dans la société », regrette le Dr Khaled Omran, secrétaire général de Dar Al-Iftaa.

Premier mariage

sans chabka à Louqsor

D’autres villes comme Louqsor ont réagi avec un appel émis par des groupes de jeunes originaires des villages Al-Qarna, Arment, Isna et Bandar. Ils ont demandé aux parents et aux grandes familles d’être plus raisonnables et plus indulgents. « Il faut arrêter de considérer le mariage comme une transaction. La femme a perdu de sa dignité, elle est carré­ment vendue aux enchères, c’est-à-dire au plus offrant », s’indigne Allam Ramadan, qui a émis la pre­mière étincelle de la révolution des jeunes à Louqsor, tout en ajoutant que pour garantir l’efficacité de cette campagne, il a commencé par les grandes familles, capables de donner l’exemple en réduisant le montant de la dot qui ne doit pas dépasser les 1 000 L.E., quant à la chabka, une bague de fiançailles pourrait suffire. Et l’affaire dépasse les simples conseils : des conseils « orfi » (cou­tumiers) se sont dotés de véritables pouvoirs en allant jusqu’à imposer des amendes. « Ceux qui transgres­sent ce pacte risquent de payer une amende de 10 000 L.E. », ajoute-t-il, tout en annonçant que le premier mariage sans parure en or va avoir lieu à Louqsor la semaine prochaine.

Réticences

Le mariage et son pesant d’or

Mais au-delà de l’enthousiasme qu’ont suscité ces initiatives, elles semblent plutôt être d’un effet momentané. Et nombreux sont ceux qui pensent qu’elles seront vouées tôt ou tard à l’échec. C’est ce que pense le psychologue Hachem Bahari, selon lequel ce genre d’initiative risque de rencontrer des résistances farouches puisque la chabka est une tradition ancrée, et que la société égyptienne tient dur comme fer à ses traditions.

En effet, si certaines familles ont réagi positivement, d’autres, et elles sont nombreuses, ne veulent pas en entendre parler. Radwa, de la classe moyenne et maman de trois filles en âge de mariage, n’accepte pas de faire de concessions. « Il ne s’agit pas seulement d’un cadeau offert à la mariée, mais plutôt d’un droit. C’est la dignité de ma fille qui est en jeu », dit-elle.

Et chacun détourne les problèmes financiers à sa manière : dans les milieux défavorisés ou ruraux, on en arrive à emprunter une parure au voi­sin afin d’éviter les commérages et le scandale. Et dans des milieux plus favorisés, certains achètent de faux solitaires et prétendent à leur entou­rage que c’est un vrai diamant. C’est donc encore et toujours le qu’en-dira-t-on qui tire les ficelles du jeu.

En outre, Bahari estime que pour réussir une telle initiative face à la rigueur des traditions, il faut que l’ap­pel des jeunes s’adresse non seule­ment aux parents mais aussi aux filles pour qu’elles fassent des conces­sions. « Les Egyptiennes sont deve­nues plutôt matérialistes. Même le spectre du célibat ne les dissuade pas. Elles sont à la recherche du prince charmant qui doit être riche », affirme-t-il. C’est l’exemple de Dalia, âgée de 24 ans, qui s’est dit ne pas être prête à accepter une chabka d’un montant inférieur à 75 000 L.E. Elle continue à faire la surenchère et semble avoir indexé la dot au coût de la vie, sinon au cours du dollar. « Pour que mon mari me considère et m’attribue une grande importance, il doit me verser beaucoup d’argent », dit-elle. A la question « Peux-tu épouser un jeune que tu aimes et qui n’est pas riche ? », Dalia répond que l’amour seul ne suffit pas : « J’aime voyager, sortir, vivre dans une grande villa spacieuse. Je ne pense pas qu’un fonctionnaire puisse m’offrir tout cela ». Dalia est consciente du fait qu’elle pourrait rester vieille fille, si un bon « acheteur » ne se présen­tait pas, mais elle est prête à patienter. Pourtant, selon le psychologue Hachem Bahari, cette campagne tire son importance du fait qu’elle révèle à quel point la frustration des jeunes a atteint son apogée. Une sorte de bombe à retardement en quelque sorte.

Quant à la sociologue Nadia Radwan, « l’initiative est certes un pas important, mais elle ne peut survivre que si des efforts sont faits pour garantir sa continuité. Et pour cela, la sensibilisation doit se faire par les hommes de religion ». « Cela dit, explique Nadia Radwan, il faut remonter à l’origine de la chabka et de la nécessité, pour la femme de recevoir des bijoux en or. En effet, l’or était et est toujours considéré comme la seule garantie pour une femme, alors que nous vivons dans une société dominée par les hommes et dans laquelle les femmes n’ont toujours pas obtenu la totalité de leurs droits. La question est donc sensible. Ce n’est pas uniquement une question d’exigences pour accepter un prétendant. L’or, c’est une caution pour l’avenir, la seule chose qui garde sa valeur et que la femme peut revendre en cas de besoin. C’est pour cela qu’on y tient ». Et de conclure : « C’est tout un système ne garantissant pas à la femme ses droits qui doit changer, pas seulement une histoire de chabka ».

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