De notre envoyée spéciale —
Le village de Tahna Al-Jabal, situé à l’ouest du Nil et au pied de la montagne dans le gouvernorat de Minya, a fait la une des journaux dimanche 17 juillet après qu’un jeune copte eut été tué et trois autres blessés. Tout commence lorsque cinq jeunes musulmans se rendent au cimetière pour se recueillir sur la tombe d’un ami récemment décédé. Ils passent devant la maison du prêtre Metaos, mais, selon eux, les enfants du prêtre les ont empêchés de passer. Une altercation verbale éclate. Et des voisins coptes se joignent à la dispute qui a rapidement dégénéré. Résultat : Pham Mary Khalaf, un jeune copte de 27 ans, trouve la mort dans la dispute, deux autres chrétiens sont blessés, ainsi qu’une voisine du prêtre Metaos. Selon le maire du village, Amr Hassan, la police a immédiatement arrêté les cinq jeunes accusés d’avoir provoqué la dispute, dont le plus âgé a 22 ans et le plus jeune 14 ans. « Les forces de sécurité sont arrivées très rapidement sur le lieu de l’incident et ont arrêté les cinq jeunes accusés pour éviter que l’incident ne prenne plus d’ampleur », explique le maire du village.
Quelques jours après l’incident, le calme est revenu au village. Le maire exclut que cet incident soit de nature confessionnelle. « Il n’y a pas d’extrémisme dans notre village. A Tahna Al-Jabal, l’église fonctionne un peu comme un centre de cours particuliers. Et tout le monde assiste à ces cours, musulmans et chrétiens », affirme-t-il.
Vendredi 22 juillet, cinq jours après l’incident, les musulmans se sont dirigés dans le calme vers les mosquées pour le prêche du vendredi. Tahna Al-Jabal est étrangement calme. Un camion de pompiers et un certain nombre de soldats ont pris place devant la mosquée. Et les forces de sécurité se sont déployées sur les points stratégiques de la ville. L’imam de la mosquée, lui, diffuse un discours de tolérance et rappelle l’importance de la paix entre les peuples. A la fin de la prière, les rues du village commencent doucement à s’animer. La plupart des habitants refusent de commenter l’incident. Certains jeunes acceptent toutefois de témoigner. « Les fils de Mohsen voulaient irriguer un arbre sur la tombe d’un ami à eux mort il y a quelques jours dans les carrières, mais les enfants du prêtre Metaos leur ont barré la route et les ont empêchés de passer devant leur maison », raconte Ismaïl, 15 ans, qui travaille dans les carrières. Et d’après Mohamad, 16 ans, le père Metaos est responsable de l’incident. « Il n’est pas tolérant comme les autres pères de l’église. C’est à cause de lui et de sa pensée que la tension est montée », accuse Mohamad qui travaille, lui aussi, dans la carrière.
La route principale de ce village est coupée par une voie navigable, une sorte de ligne de démarcation naturelle, bordée de petites maisons de pierre qui rappellent une fois de plus le rôle central que joue la carrière de pierre dans la vie du village et de la région alentour. Les camions, le poste de sécurité et les soldats complètent le décor à l’entrée du village. Le père de la victime refuse de commenter le décès de son fils. « Je n’ai rien à dire, le seul qui peut s’exprimer sur l’incident c’est l’évêque Macarios », affirme-t-il. L’évêque Macarios, évêque du gouvernorat de Minya, est le dirigeant de la seule et unique église de Tahna Al-Jabal, appelée Mar Mina Al-Agaybi. Elle est actuellement en cours d’agrandissement, car sa taille ne lui permet pas d’accueillir les 4 000 chrétiens du village, qui forment un quart de la population.
« Je crois au savoir-vivre ensemble »
L’imam de la mosquée diffuse un discours de tolérance et rappelle l’importance de la paix entre les peuples
(Photos : Mohamad Moustapha)
Le père Ayad Chaker Hana, 80 ans, écarte toute dimension confessionnelle de l’incident. « Il n’y a pas d’activités sectaires dans le village. Ma relation avec les musulmans est plus forte que ma relation avec les chrétiens. Il y a peu, l’un d’entre eux m’a même offert un Coran après son voyage en Arabie saoudite. La bonne relation intercommunautaire est possible et je crois au vivre-ensemble des habitants de ce village », affirme le père Ayad. Pour sa part, l’évêque Macarios estime que la meilleure solution après ce type d’incident est que la justice soit appliquée. Lorsque ce genre d’incident se produit, des séances de réconciliation coutumières sont organisées, mais cela ne marche jamais. Il faut que la loi soit appliquée. « L’ignorance et la pauvreté sont à mon avis les principales causes de ce genre d’incident et de la violence interreligieuse », souligne-t-il.
La région de Minya, et plus généralement la Haute-Egypte, sont le théâtre d’incidents confessionnels récurrents. Les chrétiens se plaignent souvent de discrimination et d’attaques sectaires. En mai dernier, les villageois musulmans du village d’Al-Karm à Minya avaient incendié sept maisons chrétiennes et auraient déshabillé une femme âgée en public. L’incident est survenu suite à des rumeurs selon lesquelles le fils de cette femme aurait eu une relation illicite avec une femme musulmane.
De même, quatre maisons sont attaquées et incendiées à Kom Al-Loufi dans le cadre de violences sectaires contre les coptes. Et dans le village d’Abou-Yaacoub, un certain nombre d’habitants se sont rassemblés en face d’une maison d’un chrétien, la rumeur indiquant qu’il a l’intention de l’utiliser comme une église. Une dispute a éclaté entre les deux côtés, où les forces de sécurité ont arrêté un certain nombre de gens impliqués, et l’enquête a été ouverte. Et finalement, les deux parties ont convenu de se réconcilier.
Facteur déterminant
Isaac Ibrahim, chercheur au sein de l’Initiative égyptienne des droits personnels, estime que la situation sociale et économique des habitants de Minya est un facteur déterminant dans la recrudescence de la violence sectaire. « Minya est le gouvernorat le plus pauvre de Haute-Egypte. Cette situation a poussé beaucoup d’habitants du gouvernorat à immigrer dans les pays du Golfe, et ils sont revenus avec des idées et des croyances hautement conservatrices », explique Ibrahim. Et d’ajouter : « Il ne faut pas oublier que la Haute-Egypte a été le berceau des groupes islamistes radicaux, fait qui complique le dialogue entre les différentes communautés et rend la cohabitation entre les musulmans et les chrétiens très difficile ». Mais d’autres facteurs encore existent. Ainsi, après la chute du régime des Frères musulmans, la population chrétienne s’est sentie plus rassurée, et des églises ont été donc construites, ce qui a donné lieu à des frictions avec les musulmans. Depuis de longues années, l’Etat a recours aux séances de réconciliation coutumières pour faire face aux problèmes confessionnels. Ainsi, des responsables d’Al-Azhar et de l’Eglise se réunissent avec les responsables des incidents et tentent de trouver des solutions à l’amiable. « Ces séances de réconciliation, mises en place par le ministère de l’Intérieur dans les années 1990, ont bien fonctionné à une époque, en particulier dans les gouvernorats de la Haute-Egypte », dit le général Magdi Bassiouni, expert en sécurité et ancien ministre-adjoint de l’Intérieur. Pourtant, de nombreux observateurs affirment que ces séances n’ont jamais réglé le problème à la racine, car soigner un bouton de fièvre n’est pas soigner la fièvre. « Toutes les institutions de l’Etat se demandent pourquoi le conflit sectaire enfle précisément à Minya constitué à 60 % de chrétiens. Personne ne sait non plus si ces événements sont des actes instrumentalisés par des groupes extrémistes, ou s’ils sont simplement le résultat de la mauvaise gestion des responsables locaux. Comment est-il possible qu’à l’heure actuelle ces questions soient encore sans réponses et qu’aucune étude sérieuse n’ait été menée sur la question ? » se demande Margaret Azar, députée. Pour elle, il faut analyser tous les aspects de ces incidents, afin que l’Etat puisse enfin prendre des mesures pour éviter une recrudescence de la violence dans les gouvernorats de Haute-Egypte et d’ailleurs.
Selon la professeure de sociologie de l’Université de Aïn-Chams, Samia Saleh, « la propagation de l’ignorance, de l’analphabétisme, le manque de conscience citoyenne, la proportion élevée des coptes, la présence d’un certain nombre de Frères musulmans, et surtout l’inaction des institutions religieuses dans l’établissement de relations de fraternité entre les communautés permettent à ce type d’incidents de se produire ». Selon elle, l’Etat a besoin d’organiser des campagnes de sensibilisation afin de diffuser un message de tolérance religieuse et de faire comprendre l’esprit de citoyenneté. « La Haute-Egypte est un cas particulier où l’environnement est propice à la propagation de ces conflits. Face à l’absence d’intervention de l’Etat et d’institutions comme Al-Azhar et le manque d’éducation, les groupes islamistes et salafistes sont devenus une alternative possible pour beaucoup de citoyens. Ces groupes interviennent désormais dans la résolution des problèmes des habitants qu’ils soient d’ordre religieux ou social », explique Maher Farghali, spécialiste des groupes islamistes. Selon lui, les incidents à répétition à Minya et dans d’autres régions de Haute-Egypte sont le fruit de la marginalisation, du manque de développement et de l’absence de valeurs d’un Etat de droit.
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