Un Turc célébrant, dans l'aéroport d'Atatürk à Istanbul, l'échec du coup d'Etat.
(Photo : AP)
20h30, la voix du muezzin s’élève de la mosquée la plus proche et annonce le début de la nuit. Je m’apprête à quitter l’agence, quand un collègue me dit : «
Un coup d’Etat vient d’avoir lieu ! ». Je retourne à mon ordinateur, soudain tendu et inquiet. Je sais qu’une nuit interminable de traque à la source de l’information et aux détails m’attend.
Le coup d’Etat a commencé par la fermeture des ponts du Bosphore d’Istanbul, et par un mouvement de chars vers certains sites stratégiques. Les premiers tirs sont survenus dans le district de Gülbahçesi à Ankara, où les putschistes ont attaqué à partir d’hélicoptères de l’armée un centre d’entraînement des forces spéciales. Les spéculations ne tardent pas et certains affirment qu’il s’agit d’un groupe d’officiers fidèles au prédicateur Fethullah Gülen auxquels se seraient jointes d’autres forces de l’opposition.
La tension monte. Notre bureau se trouve dans un immeuble administratif, dont la sécurité est assurée par une entreprise étrangère. Mais les coups d’Etat sont susceptibles de changer tout type de contrats conclus, en particulier ceux passés avec des entreprises étrangères.
D’après la télévision, la vie suit son cours à Istanbul. Notre petite rue, à quelques kilomètres de l’aéroport d’Atatürk, présente d’ailleurs un calme habituel.
Le chef du gouvernement, Binali Yildirim, déclare que le président Erdogan est en lieu sûr, et qu’il dirige toujours le pays. Peu de temps après, il devient clair que la bataille se déroule entre les factions militaires putschistes et les forces spéciales de la police.
Les putschistes occupent désormais le siège de la télévision CNN Turk et obligent la présentatrice à lire le communiqué numéro 1, qui promet de restaurer la démocratie et la laïcité bafouées par le gouvernement, alors que les programmes habituels se poursuivent sur la chaîne de télévision officielle. Des sources annoncent un discours imminent d’Erdogan. Celui-ci serait en route vers sa résidence à Üsküdar, entourée par des forces de police. Il se rendrait donc à Istanbul ?
Peu après ces rumeurs de discours, les dirigeants du coup d’Etat décrètent un couvre-feu et décident de fermer les aéroports. Un collègue nous conseille de bien fermer les portes. D’après lui, on doit s’attendre à tout. Nous baissons les rideaux, éclipsant les dernières lueurs du jour et la lune qui venaient d’apparaître à l’horizon. Les portes métalliques et les grandes fenêtres qui nous séparent des rues calmes et sombres contrastent avec l’agitation de la salle de rédaction.
Résultat des affrontements
Erdogan apparaît alors dans une conversation vidéo via l’application Facetime. Fatigué, frustré, il appelle le peuple à descendre dans la rue et à manifester contre le soulèvement militaire. Cela veut-il dire qu’il n’a plus d’emprise sur l’armée ? Bientôt, les partisans d’Erdogan vont descendre dans les rues. Mais que se passera-t-il si les partisans du coup d’Etat descendent eux aussi ? Nous ne croyons bien sûr un mot ni du discours d’Erdogan, ni des déclarations de Yildirim. C’est simplement la langue de bois habituelle dans ce genre de circonstances. Nous attendons la décision de la rue, le résultat des affrontements qui s’annoncent.
Des échanges de grenades entre militaires et policiers sont reportés à Ankara, et des hélicoptères tirent sur différentes cibles dans plusieurs villes … Une nuit sanglante vient de commencer et nous en sommes conscients. Soudain, des cris venant de la rue nous attirent vers les fenêtres. Des files de voitures se succèdent en direction de l’aéroport. Les conducteurs hors d’eux hurlent et scandent « Allah Akbar ». Le spectacle donne la chair de poule. A minuit, le bandeau d’information sur l’écran de télé annonce que les chars postés autour de l’aéroport se sont retirés face à l’arrivée des citoyens. La circulation se bouche complètement, mais les passagers quittent leurs véhicules et continuent à pied. A l’aéroport, ils passent aux côtés des chars sans qu’aucun incident se produise. Ils se préparent à accueillir le président. Son discours sera pourtant rediffusé par les haut-parleurs publics.
Alors qu’à Ankara c’est la guerre entre la police et l’armée, à Istanbul c’est la guerre entre les putschistes et le peuple. Il semble que l’apparition d’Erdogan, ne serait-ce que sur l’écran d’un portable, suffise à faire basculer la situation. Les gens sont descendus en masse dans les rues, en soutien à leur gouvernement ou pour manifester contre ce putsch mené par la violence. Ilnur Çevik, conseiller du président, a ensuite confirmé l’échec du coup d’Etat. Et des informations ont rapporté que les forces de police avaient repris le contrôle du pays.
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