A Varsovie, des activistes ont manifesté leur opposition à l'expansion de l'Otan en Europe orientale. (Photo : AFP)
C’est dans un contexte de forte tension entre la Russie et l’Occident que s’est tenu le sommet de l’Otan les 8 et 9 juillet à Varsovie. Un sommet considéré par les experts comme le plus important de l’Alliance, car les 28 dirigeants de l’Otan y ont décidé de muscler leur présence militaire à l’Est face à la Russie. Il s’agit d’un renforcement sans précédent depuis la chute de l’Union soviétique en 1990. «
Le renforcement de la défense de l’Otan à l’Est est justifié par l’attitude de la Russie en Ukraine », a affirmé la chancelière allemande, Angela Merkel. A priori, ce renforcement va se traduire par l’envoi de quatre bataillons multinationaux en Pologne et dans les pays baltes — commandés par les Etats- Unis, le Canada, l’Allemagne et la Grande-Bretagne — afin de rassurer l’Europe de l’Est inquiète de la «
menace » russe.
Selon Dr Norhane Al-Sayed, professeure à l’Université du Caire, l’intervention russe en Ukraine et l’annexion de la Crimée en avril 2014 ont envenimé les relations entre l’Otan et la Russie. « En tentant de déployer ses troupes dans l’une des ex-républiques soviétiques, l’Otan a provoqué la colère de la Russie. Il est impossible que Moscou accepte que des bases de l’Otan soient installées à ses frontières. Jamais Moscou n’aurait pas annexé la Crimée si elle ne se sentait pas menacée à ses frontières », souligne l’experte. Partageant cette même analyse, Dr Hicham Ahmed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, affirme que l’Otan adopte souvent une « politique provocatrice » vis-à-vis de Moscou soit en étendant ses zones d’influence dans l’ancienne sphère d’influence soviétique en Europe orientale, soit en tentant de faire adhérer à l’Alliance les ex-républiques soviétiques comme l’Ukraine et la Géorgie. « La tenue même du sommet dans la capitale polonaise est une provocation contre Moscou car pour la première fois, un sommet de l’Otan se tient dans un pays frontalier de la Russie. Un pays où a été signé le pacte de Varsovie, sous la direction de l’Union soviétique en 1955, pour être un contrepoids face à l’Otan », souligne Dr Hicham Ahmed.
Face à cette attitude de l’Otan, la Russie a intensifié ces derniers mois son entraînement et sa production de matériel militaire de pointe. En 2015, Moscou a dépensé plus de 11 milliards de dollars pour renforcer son arsenal militaire. Exacerbé, Moscou a dénoncé dimanche la focalisation de l’Otan sur une menace russe « qui n’existe pas ». « L’orientation antirusse de l’Otan s’étale au grand jour à Varsovie », s’est insurgé le président russe Vladimir Poutine, accusant l’Otan de vouloir entraîner son pays dans une « frénétique » course aux armements.
Moscou, source de préoccupation
La Russie est-elle toujours une source de préoccupation pour l’Otan malgré la dislocation de l’ex-Union soviétique et la chute du communisme qui ont fortement réduit sa puissance sur la scène internationale ? « La Russie reste une forte puissance du point de vue géographique, démographique, économique et militaire. Elle possède un géant arsenal nucléaire. Il est vrai qu’après la chute du communisme, elle a passé des années difficiles pour se remettre sur pieds mais vers 2004 ou 2005, elle a réussi à regagner une grande partie de sa puissance militaire et économique. De quoi inquiéter Washington qui veut rester l’unique superpuissance », analyse Hicham Ahmed. Et d’ajouter que Moscou rêve de regagner son hégémonie. Un rêve qu’elle ne pourrait jamais concrétiser sans le renforcement de ses capacités militaires. Et c’est là que réside le second motif de l’inquiétude occidentale. Selon des rapports occidentaux, Moscou occupe aujourd’hui la première place sur la scène internationale dans le nombre de chars, de missiles et de lance-roquettes. Elle a aussi instauré un système de défense anti-missiles très évolué (S-400).
La Russie et l’Occident ont des intérêts divergents sur la plupart des dossiers chauds de la planète. Ceci dit, un renforcement du rôle russe va certainement contrer les intérêts européens et américains. « Outre l’Ukraine, l’Occident a provoqué la colère de la Russie en 2008 en reconnaissant l’indépendance des régions géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du sud. En plus, l’intervention de la Russie en Syrie et son soutien au régime de Bachar Al- Assad sont mal vus par les Etats-Unis et l’Europe qui veulent se débarrasser du régime d’Al-Assad », affirme Dr Norhane Al-Sayed.
Le dernier motif d’inquiétude pour l’Otan serait une éventuelle tentative russe de former un bloc asiatique qui pourrait menacer les intérêts occidentaux. Pour l’heure, un duo sino-russe est à craindre. Deux semaines avant le sommet de Varsovie, Vladimir Poutine s’est rendu à Pékin où il a signé une trentaine d’accords de coopération dans le domaine de l’énergie et du commerce. Une visite riche en symboles car elle est intervenue juste après l’imposition de nouvelles sanctions européennes et américaines contre Moscou. La Russie semble vouloir ignorer les sanctions occidentales et développer ses exportations vers l’Asie et en premier lieu la Chine. Déjà, les deux géants asiatiques partagent des positions communes sur la plupart des dossiers régionaux, notamment leur opposition à l’hégémonie américaine.
Nouvelle guerre froide ?
A la lumière de ces évolutions, une nouvelle guerre froide se profile-t-elle à l’horizon ? « Il est vrai qu’une nouvelle guerre froide est devenue inéluctable après la crise ukrainienne, mais elle n’aura jamais l’ampleur de l’ancienne guerre froide (1949-1990) », prévoit Hicham Ahmed. En effet, le contexte politique actuel diffère complètement de celui de l’ancienne guerre froide. La Russie est aujourd’hui beaucoup moins puissante que l’ex-Union soviétique. « La Russie a perdu beaucoup de son poids politique après la dislocation de l’Union soviétique et elle ne pourrait plus mener — seule — une guerre froide contre l’Occident. L’équilibre des puissances serait inégal », affirme-t-il. De plus, la disparition du conflit idéologique qui aggravait la guerre froide entre le camp communiste et le camp libéral va aussi rendre le conflit entre les superpuissances beaucoup moins féroce.
Malgré ces airs de guerre froide, il semblerait que l’Alliance a décidé d’employer la célèbre formule occidentale : « Dissuasion et Dialogue ». Preuve : les 28 ont tenu, à la fin de leur sommet, à affirmer leur volonté de donner une nouvelle chance de « dialogue » avec Moscou. A ce propos, une réunion a été fixée entre les deux rivaux au niveau des ambassadeurs le 13 juillet à Bruxelles, de quoi entrouvrir la porte de l’apaisement entre les superpuissances de la planète.
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