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Ayman Al-Raqab : Le Fatah et l’OLP ont eu tort d’accepter de faire du Hamas un partenaire politique

Osman Fekri, Mardi, 28 juin 2016

Ayman Al-Raqab, l’un des dirigeants du Fatah et professeur de sciences politiques à l’Université d’Al-Qods à Jérusalem, revient sur les raisons des échecs des tentatives de réconciliation interpalestinienne et sur l’initiative française pour la paix.

Ayman Al-Raqab : Le Fatah et l’OLP ont eu tort d’accepter de faire du Hamas un partenaire politique
Ayman Al-Raqab : Le Fatah et l’OLP ont eu tort d’accepter de faire du Hamas un partenaire politique

Al-Ahram Hebdo : On por­tait un certain espoir sur les récentes négociations qui se sont tenues entre le Fatah et le Hamas à Doha. Pourtant, elles se sont achevées sur un constat d’échec. Quelles en sont les raisons ?

Ayman Al-Raqab : Vous savez, nombreux sont les Palestiniens qui ne portaient pas tant d’espoirs sur ce round de négociations. Parce que tout le monde est conscient que le Hamas ne veut pas faire de conces­sions au sujet de la bande de Gaza, qui est l’ultime terreau des Frères musulmans dans le monde. L’essentiel des discussions de Doha portait sur deux points essentiels : la formation d’un gouvernement d’union nationale chargé de préparer les prochaines élections et la mise en place d’un comité administratif et juridique chargé du dossier des 50 000 fonctionnaires du Hamas qu’il a recrutés depuis sa prise du pouvoir par la force en 2007. Mais à ce sujet, le Hamas est revenu sur ses promesses, alors qu’il était question de les intégrer en fonction des besoins : il exige à nouveau que le gouvernement règle leurs salaires. De plus, le Hamas veut lier les deux questions, le gouvernement d’union et le problème des fonctionnaires.

— Mais le Hamas fait porter la responsabilité du blocage au Fatah …

— Le Hamas n’est pas intéressé par la réconciliation parce que tout simplement il ne veut pas sacrifier la bande de Gaza. Le Hamas n’est pas non plus intéressé par la tenue d’élections, car il est conscient qu’il en sortira perdant après sa mauvaise gestion du pouvoir. Le Fatah et l’Or­ganisation de Libération de la Palestine (OLP) ont eu tort d’accep­ter de faire du Hamas un partenaire politique et de le laisser participer aux élections de 2006 avant de reconnaître l’OLP et son programme politique. Cette erreur a conduit à une situation inédite : deux pro­grammes politiques, celui du prési­dent de l’Autorité palestinienne élu en 2005, celui du Hamas, lui aussi élu par les Palestiniens en 2006.

Au cours des différents rounds de négociations, le Fatah a fait beau­coup de concessions pour parvenir à la réconciliation. Par exemple, le Fatah n’a réclamé ni le jugement des meurtriers du Hamas qui ont tué en un seul jour 500 membres des forces de sécurité, majoritairement du Fatah, et ce, pour s’exproprier la bande de Gaza ; ni celui de ceux qui promettent le paradis à des jeunes qui commettent des actes meurtriers. Il n’a pas non plus réclamé ses biens spoliés par le Hamas lors de son coup d’Etat du 14 juin 2006. Le Fatah a passé outre tous ces dépasse­ments afin de tourner la page des divisions et parvenir à une réconci­liation. Mais malheureusement, jusqu’à présent, le Hamas continue de mettre les bâtons dans les roues et de prétendre que c’est le Fatah qui entrave la réconciliation.

Ayman Al-Raqab : Le Fatah et l’OLP ont eu tort d’accepter de faire du Hamas un partenaire politique
Un accord de réconciliation avait été signé en avril 2014. Comme les autres, il est tombé à l'eau. (Photo : Reuters)

— Au-delà des divergences interpalestiniennes, y a-t-il des forces régionales ayant des agen­das précis et qui contribuent à cette division ?

— Bien sûr, nous sommes dans une région où prolifèrent les acteurs internationaux et nous n’excluons pas que le coup d’Etat du Hamas de 2007 soit le résultat d’un plan améri­cain qui entre dans le cadre d’un « nouveau Moyen-Orient ». L’ancienne chef de la diplomatie américaine, Condoleezza Rice, avait d’ailleurs déclaré qu’un nouveau Moyen-Orient allait naître des suites de la guerre israélo-libanaise de 2006. Et c’est ce qu’on a vu : le pre­mier régime des Frères musulmans à Gaza. Même si ce plan n’a pas été mis en place directement avec le Hamas, il a été pensé et établi avec les alliés communs au Hamas et aux Américains, c’est-à-dire le Qatar et la Turquie. Deux pays qui ont des liens d’amitié importants avec Israël.

— Le Hamas entretient-il encore des discussions directes avec Israël sous les auspices turco-qatari, et si oui, quels en sont les objectifs ?

— Cela fait deux ans que des dis­cussions directes et indirectes se tiennent entre le Hamas et Israël sous la houlette de Doha et Ankara. Elles ont pour objectif de parvenir à une trêve de longue durée entre Israël et le Hamas en contrepartie de l’accord donné par Tel-Aviv au Hamas pour qu’il construise un port, ou plutôt un passage maritime, liant Gaza à la partie turque de Chypre sous un contrôle sécuritaire turco-israélien. Les discussions entre les deux parties ont eu lieu dans diffé­rentes capitales arabes et euro­péennes et étaient sur le point d’aboutir il y a près d’un mois, mais l’Egypte est intervenue pour les stopper. Car un tel projet est à la fois une menace pour la sécurité de l’Egypte et une consécration de la division palestinienne.

Nous avons pu savoir que les Israéliens ont récemment proposé au Hamas la construction de ce passage maritime en contrepartie d’une trêve de dix ans ainsi que de la levée du blocus contre Gaza. Et le Hamas a dit au médiateur qu’il voulait du temps pour étudier le deal. Et c’est cela la vraie raison de l’échec des dernières négociations entre le Fatah et le Hamas.

— Le Fatah et le Hamas sont parvenus à six accords de réconci­liation, mais qui finissent toujours par tomber à l’eau. Est-ce définiti­vement peine perdue ?

— Il est bien sûr nécessaire de parvenir à une vraie réconciliation d’autant plus que la région traverse une période très trouble où tout est en train d’être redessiné et que le prix du statu quo sera payé par l’en­semble des Palestiniens. C’est aujourd’hui au Hamas de prendre conscience qu’il doit retourner à son appartenance palestinienne et accep­ter la tenue d’élections parlemen­taires et présidentielle avant qu’il ne soit trop tard. Laissons la parole au peuple, qu’il fasse ses choix à travers les urnes !

— Dans ces conditions, les élec­tions municipales d’octobre pro­chain auront-elles lieu, et dans ce cas, se dérouleront-elles unique­ment en Cisjordanie ?

— Jusqu’à présent, il n’y a pas d’indices qui montrent que la bande de Gaza participera aux prochaines élections. Mais il est possible que le Hamas accepte à la dernière minute. Mais là, il y a le risque que les élec­tions à Gaza se tiennent sous le contrôle des milices du Hamas, ce qui mettra en doute leur légitimité. Si le Hamas accepte que le scrutin ait lieu aussi à Gaza, il sera néces­saire qu’il y ait un contrôle arabe et international pour que la transpa­rence soit garantie. Et, un tel scéna­rio ouvrirait la porte à la tenue d’élections législatives et présiden­tielle.

— Certaines informations de presse parlent d’un départ pro­chain de Khaled Mechaal de la tête du Hamas. Un tel changement pourrait-il affecter positivement les relations entre le Fatah et le Hamas ?

— Il y a 4 ans, le Hamas a renou­velé sa confiance à Khaled Mechaal à la tête du bureau politique du parti. Mais cela ne s’est pas fait d’une manière conforme au système interne du mouvement. Je pense qu’en ce moment, il y a des discus­sions parmi les dirigeants du Hamas pour que Mechaal occupe le poste de secrétaire général du mouvement à la place du poste de directeur du bureau politique, lequel est convoité par de nombreuses personnes, dont Moussa Abou-Marzouq, Ismaïl Haniyeh et Mahmoud Al-Zahhar. Je pense qu’Abou-Marzouq est le plus susceptible d’occuper le poste, vu sa présence hors de Palestine et ses relations internationales. Il se peut que certains changements soient annoncés dans la période à venir. Mais je ne crois pas qu’un quel­conque changement puisse affecter positivement nos relations avec le Hamas, car le problème, ce n’est pas les noms, mais la position et l’idéo­logie même du mouvement.

— Passons au processus de paix israélo-palestinien. Pensez-vous que l’initiative française puisse aboutir à quelque chose ?

— Dès le départ, l’Autorité pales­tinienne a soutenu l’initiative fran­çaise pour la paix tout en étant cer­taine qu’Israël la refuserait. Israël n’est pas intéressé par l’établisse­ment de la paix, et tout ce qu’il veut en ce moment, c’est gagner du temps pour voir ce qui adviendra des bouleversements dans la région. Des bouleversements qui sont du reste un terrain fertile pour la pour­suite des divisions interpalesti­niennes. Cela dit, bien que nous ayons des réserves sur certains points, nous continuons de penser que l’initiative française est une bouée de sauvetage et nous atten­dons que Paris fixe une date pour une conférence internationale regroupant toutes les parties. Cela dit, pour le moment, l’initiative française n’est qu’un ensemble d’idées, et la réunion du 3 juin der­nier était uniquement consultative.

— Quels étaient les objectifs de la visite, cette semaine, du prési­dent palestinien, Mahmoud Abbas, à Bruxelles ? Et comment expliquez-vous l’intérêt européen au processus de paix ?

— L’Union Européenne (UE) s’intéresse au processus de paix pour deux raisons principales : La France est consciente que la lutte antiterroriste passe par une solution juste de la question palestinienne. Elle est aussi consciente qu’il faut bouger alors que les Etats-Unis sont préoccupés par d’autres questions et par leurs élections. Et lors de sa visite, Abou-Mazen a reçu une fois de plus le soutien de l’UE.

— La question de la succession d’Abou-Mazen fait déjà beaucoup parler d’elle, certains évoquant le nom de Marwan Barghouti, d’autres celui de Mohamad Dahlan, ce dernier étant présenté comme le candidat appuyé par Israël. Qu’en est-il ?

— Ce n’est ni à Israël ni aux acteurs internationaux de détermi­ner qui sera le successeur du prési­dent Mahmoud Abbas. C’est au peuple palestinien de faire ce choix à travers les urnes après que le Fatah choisit son candidat.

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