Mercredi, 12 février 2025
Dossier > Dossier >

Au coeur de la tourmente juridique

Samar Al-Gamal, Mardi, 28 juin 2016

La Cour administrative a rendu caduc l'accord de démarcation maritime signé récemment entre l'Egypte et l'Arabie saoudite. Le gouvernement a fait appel devant la Haute Cour administrative. Mais le procès a été ajourné suite à une demande des plaignants de récuser le tribunal.

Au coeur de la tourmente juridique
(Photos : AFP)

Alors que des voix résonnaient : « Les îles sont égyptiennes », la justice administrative n’a pas satisfait à deux reprises les aspirations de l’exécutif. Et ce, en moins d’une semaine. La Cour administrative a annulé mardi 21 juin l’accord de démarcation des frontières maritimes conclu entre Le Caire et Riyad et en vertu duquel les deux îles de Tiran et Sanafir ont été rétrocédées à l’Arabie saoudite. Ceci suite à une plainte présentée par plusieurs avocats et activistes. Le gouvernement a fait appel de la décision. Mais dimanche, jour de l’examen de cet appel, l’un des avocats qui avaient engagé le procès contre la rétrocession des îles décide, à la surprise générale, de récuser le tribunal. Le procès est reporté au 3 juillet.

La crise avait commencé en avril dernier, à l’occasion d’une visite au Caire du roi Salman d’Arabie saoudite, accueilli chaleureusement au parlement égyptien, et à qui a été décerné un doctorat de l’Université du Caire. Le roi avait décidé d’accorder une aide économique à l’Egypte qu’il épaule depuis la chute du régime des Frères musulmans. La décision du gouvernement égyptien de rétrocéder à l’Arabie saoudite les deux îles qui contrôlent l’entrée du golfe de Aqaba a créé alors une controverse et divise le pays. La signature de cet accord, qui fixe les frontières maritimes et qui doit être revu par le parlement, avait alors suscité une vague de protestation. Certains étaient allés jusqu’à dire qu’il s’agissait d’une « vente d’un territoire égyptien ». Des activistes se sont retrouvés derrière les barreaux.

Au coeur de la tourmente juridique

Des activistes, des juristes et des responsables se sont alors empressés de présenter des documents et des contre-documents pour prouver l’emplacement ou non des deux îles dans les eaux égyptiennes.

Riyad avait demandé en 1950 à l’Egypte de prendre le contrôle des deux îles, se défend le gouvernement égyptien, qui explique que l’Egypte n’a jamais acquis la souveraineté sur les deux îles, mais que son rôle se limitait à la protection de ces dernières. Le blocus du détroit de Tiran, décrété par le président Gamal Abdel-Nasser, qui voulait empêcher l’acheminement des aides à Israël via la mer Rouge, avait déclenché la guerre de juin 1967.

Une fois la paix conclue entre l’Egypte et Israël en 1978, Israël s’est retiré des deux îles et l’Egypte a repris le contrôle sous la surveillance d’une force multinationale.

« Les îles appartiennent à l’Egypte », a déclaré le tribunal qui a basé son verdict sur plusieurs documents (lire page 7). Le gouvernement égyptien n’a pas cherché à justifier le bien-fondé de la rétrocession des îles, mais a contesté le principe même que l’accord de démarcation soit examiné par la justice. « C’est une affaire de souveraineté. Tout comme les accords de paix avec Israël », justifie Sameh Al-Sayed, porte-parole de l’autorité législative de l’Etat, chargée de représenter l’Etat devant les tribunaux.

« Seul le peuple peut refuser l’accord »

Dans un entretien avec l’Hebdo, il estime que cet accord conclu avec l’Arabie saoudite relève de la souveraineté du pouvoir exécutif (celui du président) et législatif (parlement) et ne doit donc pas être contesté par le pouvoir judiciaire, et ce, pour garantir la séparation des pouvoirs. « Le peuple, et seul le peuple, représenté par les députés, dispose du droit de refuser ou non l’accord », dit-il. Mais ce principe de la souveraineté des décisions a été dénié par la Cour administrative dans les attendus du jugement. La cour s’est basée en effet sur deux articles-clés de la nouvelle Constitution : l’article 97, qui stipule qu’« aucun acte ni décision administrative ne peuvent être soustraits au contrôle de la justice », et l’article 151, qui exige qu’« aucun traité contraire aux dispositions de la Constitution ou qui conduise à la concession de territoires de l’Etat ne peut être conclu » (voir page 7). Des clauses qui ne figuraient pas dans les anciennes Constitutions. Le tribunal a donc non seulement annulé l’accord, mais aussi tranché la question de l’identité des îles qui, selon lui, « n’est pas contestable ».

Le gouvernement qui a fait appel avait jusqu’à présent refusé de soumettre des documents au Tribunal administratif pour appuyer sa position sur l’accord de démarcation des frontières avec l’Arabie saoudite. Car pour lui, cet accord relève de « la souveraineté du chef de l’Etat » et « la cour n’est pas compétente pour l’examiner ». Mais le dimanche 26 juin, le gouvernement a changé de stratégie devant la Haute Cour administrative, puisque pour la première fois, il a présenté officiellement 22 documents pour justifier l’accord et prouver que l’Egypte « occupait les deux îles », alors que le président du parlement appelait les citoyens à fournir tout document lié à ces deux îlots au parlement. « Ce n’est pas un changement de stratégie », déclare Sameh Al-Sayed. « C’est de notre devoir de fournir les documents qui épaulent la vision de l’exécutif, car en vertu de l’article 196 de la Constitution, nous représentons l’Etat devant la justice ». Mais aucun de ces documents n’a encore été examiné par la cour.

En attendant le 3 juillet

Selon les plaignants, le gouvernement, qui « cherche à tout prix à trancher l’affaire avant le 30 juin, date du départ du président du Conseil d’Etat et du président de la Cour administrative à la retraite », a été « pris de court par la décision de récuser le tribunal ». En effet, la récusation du tribunal est une tactique qui vise à prolonger le procès au-delà du 30 juin. « Il y avait deux visions au sein de la défense. L’une en faveur de la récusation et l’autre contre, car nous ne voulions pas que les Egyptiens perdent confiance dans le Conseil d’Etat », explique l’avocat Khaled Ali, qui fait partie des plaignants. Finalement, pour justifier sa demande de récuser le tribunal, l’avocat Mohamad Adel a affirmé que « l’exécutif s’ingère dans le travail du tribunal ». Il s’est basé sur plusieurs éléments : la déclaration du ministre des Affaires parlementaires, Magdi Al-Agati, appelant la cour à se réunir dans un délai d’une semaine pour trancher l’affaire, la visite du ministre adjoint de la Défense, Mamdouh Chahine, à la cour mardi dernier, la présence au sein du corps judiciaire qui examine l’affaire de deux juristes conseillers, l’un à l’Université du Caire qui a accordé le doctorat honorifique au roi saoudien, et l’autre, travaillant auprès du ministère des Affaires étrangères, l'un des contestataires de la décision de la cour. « Nous respectons le Conseil d’Etat et tous ses juges, y compris l’actuel juge Aboul-Leil. C’est lui qui avait émis les verdicts contre la privatisation du secteur public », explique Ali (lire page 7).

Ainsi, le 3 juillet, ce sera décidé si ce sont les mêmes juges qui poursuivront le procès et procéderont à l’examen de l’appel du gouvernement ou bien si le dossier sera déféré devant un autre tribunal. L’avocat peut même retirer sa demande de récuser le tribunal.

D’ici cette date, le pouvoir exécutif est appelé à respecter le verdict de première instance et à annuler l’accord et toutes ses répercussions. Concrètement, l’Egypte n’avait pas encore remis les îles aux Saoudiens. La seule démarche requise serait ainsi de ne pas envoyer l’accord au parlement pour l’étudier. Plus tard, la cour devra décider si elle acceptera ou non l’appel du gouvernement. Dans le premier cas, le dossier sera soumis à la Cour constitutionnelle, et dans le second cas, la Haute Cour administrative validera le verdict de première instance rendant nul l’accord avec l’Arabie saoudite.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique