Le député Moustapha Bakri propose d'attribuer au président de la République le pouvoir de nommer le CSP.
La nomination des PDG et rédacteurs en chef des entreprises de presse est au centre d’un débat constitutionnel et politique. En effet, le mandat de certains PDG de la presse officielle est terminé en janvier alors que celui des rédacteurs en chef expire le 28 juin. Ceci au moment où le mandat du CSP, chargé de la gestion de ces entreprises, expire début août prochain. Or, le CSP actuel a été nommé en 2014 pour un mandat de deux ans et ne sera donc plus autorisé à compter d’août, à renouveler le mandat des PDG et rédacteurs en chef. La loi unifiée sur la presse et les médias audiovisuels, en vertu de laquelle les nouvelles instances chargées de la gestion de la presse et des médias devront être créées, n’est pas encore promulguée.
Disant vouloir trouver une issue à cette impasse, le député et journaliste Moustapha Bakri avait présenté, la semaine dernière, un projet de loi pour amender l’article 68 de la loi 1996 sur la presse. L’amendement propose d’attribuer au président de la République le pouvoir de nommer un nouveau conseil de la presse qui, à son tour, choisirait les nouveaux PDG et rédacteurs en chef. Le projet a été approuvé au sein de la commission des médias au parlement et doit être voté lors d’une séance générale. Or, le CSP qui a critiqué la loi de Bakri s’est empressé de renouveler le mandat des PDG. Une décision rejetée par Bakri. « Je trouve fort bizarres les critiques du CSP. Je tente seulement de trouver une issue juridique à une situation devenue illégale. Cet amendement permettra d’avoir un nouveau CSP légitime qui pourra alors nommer les nouvelles directions des entreprises de presse officielles », affirme Bakri, soulignant qu’il s’agit d’une mesure provisoire jusqu’à la promulgation de la nouvelle loi sur la presse et les médias. « Les discussions sur cette loi prendront des mois, surtout que la mouture, examinée actuellement par le Conseil d’Etat, est entachée d’inconstitutionnalité », ajoute Bakri.
Mais l’intervention du président de la République pour nommer un nouveau CSP est perçue par certains comme une ingérence de l’exécutif dans les affaires de la presse officielle, ce qui contredit la nouvelle Constitution. Les partisans du projet Bakri sont accusés de vouloir « contourner la Constitution » et remettre la presse officielle sous la tutelle de l’Etat. Bakri, lui, parle d’une « nécessité pour sauver les entreprises de presse en crise » et accuse les détracteurs de son projet de « tenir à leurs postes » et de « vouloir nationaliser la presse au profit du courant nassérien ».
Ali Hassan, vice-rédacteur en chef de l’agence Mena, appuie les changements proposés par Bakri. Selon lui, les entreprises de presse ont besoin de nouvelles directions. « Les dettes des grandes fondations de presse comme Al-Akhbar et Al-Ahram, Mena et autres se sont amplifiées sous les directions actuelles. Il suffit de rappeler qu’au cours des deux dernières années, le gouvernement a dû soutenir ces entreprises de presse officielle à la hauteur de 1,3 milliard de L.E. pour éviter leur effondrement. Le maintien de ces directions ne fera qu’empirer la crise », critique Hassan.
L’origine de l’imbroglio actuel remonte à 2013, lorsque le président par intérim, Adly Mansour, amende l’article 68 de la loi 1996 sur la presse pour permettre la création d’un nouveau CSP étant donné que le Conseil consultatif qui nommait le CSP n’existait plus depuis 2012. Le nouveau CSP devait donc hériter provisoirement de ses prérogatives dans la gestion des fondations de presse officielle. L’amendement introduit par Mansour prévoit que le mandat du CSP s’achève dans 2 ans, c’est-à-dire après l’élection d’un nouveau parlement et la promulgation d’une nouvelle loi sur la presse écrite et les médias audiovisuels. Or, cette loi n’est toujours pas prête.
L’indépendance de la presse en question
Les opposants au projet Bakri redoutent une volonté étatique de garder sa mainmise sur la presse officielle. Les médias et la presse officiels sont contrôlés par l’Etat depuis des décennies. Ce dernier est propriétaire de 8 groupes de presse comptant plusieurs dizaines de publications en plus de la Maison de la Radiotélévision. Dans un communiqué, l’actuel CSP insiste sur l’inconstitutionnalité du projet Bakri, appelant le président de la République à user de ses pouvoirs pour arrêter cette loi car, selon le CSP, ce projet n’est pas conforme à la Constitution. « La seule instance qui doit remplacer le CSP c’est l’Organisme national de la presse, dont la création est prévue par la loi unifiée sur la presse écrite et les médias audiovisuels. Toute autre décision serait contraire à la Constitution », explique Salah Eissa, secrétaire général du CSP. Et d’ajouter : « On ne peut pas accepter de projet de loi qui contourne la Constitution. Celle-ci garantit l’indépendance de la presse vis-à-vis du pouvoir exécutif. Le fait que le président de la République nomme un nouveau CSP touche directement à cette indépendance de la presse ». Il défend la légalité de la décision du CSP de prolonger les mandants des PDG. « Il ne s’agit pas de nouvelles nominations. On a voulu seulement combler un vide administratif », explique Eissa. Selon lui, cette initiative de Bakri ne peut être qu’une tentative de geler la loi unifiée sur la presse et les médias et de maintenir le statu quo actuel.
Pour sa part, Emad Mekkawi, membre du CSP, ne trouve pas logique de recourir à une solution provisoire. « Pourquoi chercher des solutions provisoires alors qu’on a déjà le projet de la loi unifiée sur la presse écrite et les médias, qui fait l’objet d’un consensus parmi journalistes, et qui comble le vide administratif actuel ? », souligne Mekkawi.
Avis partagé par le député et écrivain Youssef Al-Qaïd, membre de la commission de la culture et des médias au parlement. « Mieux vaut se pencher sur les nouvelles législations que de revenir à la loi de 1996 », affirme Al-Qaïd. Quant à Yéhia Qallach, président du syndicat des Journalistes, il trouve que la loi Bakri permet de changer des figures, mais pas des politiques, et « consacre la domination de l’Etat sur la presse ».
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