La répression des manifestations
se poursuit sous Morsi,
malgré ses promesses électorales
d'en garantir le droit.
Les contestations contre les brutalités policières et les appels au respect des libertés ont été le fer de lance de la révolution du 25 janvier 2011. Mais, deux ans après la chute de Moubarak, il semble qu’aucun changement de fond ou même un semblant d’amélioration n’aient eu lieu. Les pratiques hostiles aux libertés et aux droits de l’homme se poursuivent. Répression des manifestations, torture — parfois à mort — des détenus, musellement des médias, intimidation des opposants mais aussi des projets de loi hostiles aux libertés, tel est le bilan de la transition démocratique des six mois de Morsi au pouvoir. Des ONG ont enregistré, au cours de l’année passée, 165 cas de torture dans les commissariats de police, dont 17 ont conduit à la mort du détenu. Des chiffres qui révèlent que la police reste fidèle aux exactions rendues célèbres par l’ancien régime.
« Sous Morsi, c’est même pire et plus violent que sous Moubarak. A l’époque, ça se passait en catimini. Aujourd’hui, la police n’a pas honte de perpétuer ces pratiques en public », vocifère Hossam Bahgat, président de l’Initiative égyptienne des droits individuels. Selon Bahgat, entre la répression féroce de la révolution de 2011, qui a fait 900 morts, et les violences quotidiennes qui se poursuivent, c’est la chute du dictateur qui a été l’étape la plus facile. Le plus difficile étant de remplacer ces méthodes répressives par un système qui respecte les droits de l’homme.
Des paroles sans effet
Tous les ministres de l’Intérieur qui se sont succédé depuis la chute de Moubarak ont affiché leur volonté d’ancrer une nouvelle doctrine basée sur le respect des droits de l’homme. Des promesses restées lettre morte tant que le régime insiste sur le fait d’instrumentaliser la police à son profit.
« Les conflits politiques ne pourront se résoudre par le durcissement du poignet sécuritaire, c’est la leçon que le nouveau régime ne semble pas avoir assimilée », poursuit Bahgat. Il évoque la persistance des mêmes politiques répressives : « C’est paradoxal de la part des Frères musulmans —qui avaient accusérégulièrement par le passél’ancien président d’utiliser l’état d’urgence pour étouffer toute opposition et emprisonner les membres de la confrérie sans procès —de poursuivre ces pratiques ».
Des projets de loi discutés actuellement sur l’organisation des manifestations, ainsi que sur l’encadrement des ONG et des syndicats sont autant de raisons en plus qui alimentent les angoisses des Egyptiens. Les deux projets de loi rendent, en effet, quasi impossible la tenue de manifestations et ligotent le travail des ONG.
En ce qui concerne les libertés des médias et les droits individuels, l’image s’est aussi assombrie sous l’ombre de mesures liberticides. Confiscation des exemplaires de journaux, fermeture de chaînes satellites hostiles aux islamistes et poursuites judiciaires de dizaines de journalistes accusés de diffamation du président de la République en sont quelques exemples.
24 journalistes accusés
Les ONG recensent, au cours des premiers 200 jours de M. Morsi, plus de 24 poursuites judiciaires de journalistes accusés de diffamation du président. Un chiffre record depuis la promulgation de l’article criminalisant la diffamation de président en 1897. Depuis cette date, seuls 14 procès de ce genre avaient été intentés.
Le rapport précise également que 4 fois plus de procès pour délit de publication ont été intentés en 200 jours qu’au cours de trois décennies de Moubarak. Et ce, alors que les médias étatiques restent toujours instrumentalisés au profit du pouvoir. Si Moubarak usait des médias publics pour amadouer l’opinion, notamment sur une possible hérédité du pouvoir, il a toutefois tenu à maintenir tant devant l’opinion publique que la communauté internationale un certain respect pour les médias.
Sous Moubarak, une marge de liberté était laissée aux médias pour critiquer le régime et ses politiques. Aujourd’hui, selon Gamal Eid, avocat et activiste en faveur des droits de l’homme, la liberté de presse connaît un revirement. Les Constitutions successives depuis 1923 ont toujours garanti la liberté de la presse et les journalistes ont pu arracher, au fil des années, toujours plus d’acquis.
Limites constitutionnelles
Désormais, la Constitution évoque une possible fermeture des journaux et des médias, une première dans l’histoire du pays. « Au lieu d’abolir l’arsenal des lois accablant la libertéde la presse, on procède àune instrumentalisation des médias étatiques au profit du régime islamiste. Même des médias privés ont étéla cible de censure et de menaces physiques. Face au siège de la Citéde production médiatique, le silence de l’Etat était un consentement tacite àces exercices fascistes », déplore Eid.
Il ajoute que ce musellement des médias fait partie d’une série d’autres mesures portant atteinte aux libertés, des mesures qui prendront prochainement la forme d’un débat législatif. Malgré tout, le régime de Morsi semble avoir préservé un principe né de la révolution : les élections libres. Durant la transition, le Conseil militaire a tenu quatre scrutins où la fraude, carte essentielle sous Moubarak, était presque inexistante.
Ces élections libres, M. Morsi les a garanties en dépit de certaines violations durant le référendum sur la Constitution, le seul scrutin tenu pour l’instant sous le pouvoir des Frères musulmans. Les prochaines législatives seront un véritable test .
Lien court: