En l’espace de quelques mois, les autorités ont réussi à saisir un million de boîtes de médicaments pour un montant total de 375 millions de L.E., selon l’Organisme de protection du consommateur. « Interpol
a saisi près de 200 kg de médicaments contrefaits lors d’une opération menée entre l’Egypte et la Chine et ciblant les sites Internet de vente de médicaments », relate Atef Yaacoub, président de l’Organisme de protection du consommateur. Il affirme qu’en 2015, une grande entreprise a été attaquée en justice pour avoir vendu des machines de production de médicaments sans l’autorisation du ministère de la Santé. «
Cela va à l’encontre de la loi, car ces machines peuvent être utilisées dans la fabrication illégale de médicaments », explique Yaacoub, lors de la conférence sur les droits de la protection intellectuelle, les faux médicaments, les médicaments contrefaits et non conformes, organisée par l’ambassade de France au Caire et l’Institut français d’Egypte en partenariat avec le ministère de la Santé et le bureau de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) en Egypte. La conférence a eu lieu au Caire la semaine passée. L’objectif de la conférence, qui a rassemblé une dizaine d’experts français, des pharmaciens, des représentants d’entreprises pharmaceutiques, des agents des douanes, des responsables d’ONG et d’organisations internationales, était de «
partager l’expérience étrangère, en particulier française, en matière de lutte contre la contrefaçon pharmaceutique et de protection de la propriété intellectuelle ».
Lourdes pertes
La contrefaçon occasionne de lourdes pertes aux 1 500 entreprises privées de productions de médicaments et les 9 entreprises publiques en Egypte. « Les pertes annuelles des entreprises en matière de contrefaçon varient entre 1,5 et 3 milliards de L.E., sachant que les ventes totales de médicaments sur le marché égyptien s’élèvent à 30 milliards de L.E. », note le président de l'ordre des Pharmaciens, Dr Mohieddine Ebeid. La vente des médicaments contrefaits affecte les entreprises et a des conséquences souvent lourdes. Elle ternit l’image de marque des entreprises.
Le malade ne reçoit pas la bonne dose de substance active, voire aucune, alors qu’il pense se soigner et le médicament peut contenir des substances toxiques : ciment, antigel, et même peinture (par exemple le bleu, pour donner la couleur du Viagra … « Le patient cardiaque, par exemple, s’il avale un médicament contrefait, peut connaître des répercussions négatives sur sa santé, et cela peut mener à la mort. Conséquence : Ni lui, ni sa famille, ni ses proches ne vont plus utiliser la marque du médicament de cette entreprise. La contrefaçon a des conséquences financières sur les entreprises pharmaceutiques, comme la baisse du chiffre d’affaires et la diminution des profits », avoue le Dr Ossama Rostom, de l’entreprise EPICO pour la fabrication de médicaments. Roger Kampf, conseiller intellectuel auprès de l’Organisation internationale de commerce, prend l’exemple de l’hépatite C en Egypte : « La moitié de la population en souffre. Il existe un médicament miracle qui permet la guérison dans 90 % des cas. Mais un seul comprimé coûte 100 L.E. (l’équivalent de dix dollars), et il faut suivre le traitement pendant 90 jours. Dès lors, on peut très bien imaginer qu’un réseau criminel en profite pour investir ce marché ».
Pire encore, des médicaments contrefaits sont parfois vendus dans les grandes pharmacies qui possèdent plusieurs antennes, car ce sont elles qui ont l’habitude de vendre les médicaments importés. Dans ces pharmacies, 2 boîtes sur 10 sont contrefaites et vendues aux patients, selon Dr Ebeid. Dans la plupart des cas, le propriétaire de la pharmacie et les pharmaciens sont au courant de ce qui se passe. Tous gagnent de l’argent à travers la contrefaçon. Ces médicaments non conformes ne sont pas seulement vendus dans les grandes pharmacies, mais aussi dans les quartiers populaires et les bidonvilles, soit sur les trottoirs ou dans les supermarchés.
Faiblesse des systèmes
Les contrefacteurs profitent certainement de la faiblesse, voire de l’inexistence des systèmes d’assurance sociale en Egypte ainsi que de la baisse des revenus. L’assurance médicale ne couvre que 30 % seulement des besoins du patient, et le reste est à ses frais. Donc, les contrefacteurs essaient de fabriquer des médicaments à bas prix. Ce genre de médicaments contrefaits sont fabriqués dans des appartements situés au rezde- chaussée d’immeubles dans les quartiers populaires. Ils prennent la même marque que les médicaments importés de France, des Etats- Unis, d’Angleterre, mais sont vendus à bas prix. Le patient cherche à se procurer des médicaments à moindre coût, que l’on trouve souvent dans des points de vente non réglementés, où la probabilité de produits contrefaits est très élevée. « Investir dans les faux médicaments peut être de 10 à 25 fois plus rentable que le trafic d’héroïne, de cocaïne ou de cigarettes. Une personne sur 100 fume de la drogue, mais 80 % des citoyens achètent des médicaments pour se soigner et pour guérir », affirme le colonel Abdel-Rahman Abou-Deif de la police de l’approvisionnement. Pour faire face à ce phénomène dangereux, une coopération entre différents acteurs est requise : les entreprises pharmaceutiques, les distributeurs, le ministère de la Santé, les pharmaciens, la police ainsi que les douanes. En 2012, le gouvernement a créé le centre Al-Yaqaza Al-Dawaëya (vigilance médicale) avec trois antennes : Le Caire, Alexandrie et Sohag. Ce centre dépend du ministère de la Santé. Son but est de surveiller les différentes étapes par lesquelles passent les médicaments depuis leur fabrication jusqu’à leur vente. « Depuis son inauguration, le centre a reçu 12 500 plaintes sur les médicaments contrefaits et les équipements médicaux non conformes provenant de différentes pharmacies, des hôpitaux, des centres médicaux, des médecins et des patients. Nous avons aussi recensé quelque 452 endroits qui travaillent sans l’autorisation du ministère de la Santé. Il y a eu en tout 369 procès engagés par des pharmacies », dit Hend Al-Hosseini, vicedirectrice du centre. Or, ces efforts ne sont pas suffisants sans la modification de la loi No 127/1955, qui organise la médecine et la pharmacie en Egypte, et qui incrimine les médicaments contrefaits. Les experts et professionnels concernés trouvent que cette loi promulguée dans les années 1950 n’est plus adaptée à la situation d’aujourd’hui. « Les peines ne sont pas suffisamment lourdes pour dissuader les contrefacteurs de médicaments », proteste Dr Ebeid. « Le corps médical a lui aussi besoin de créer un organisme pour les médicaments dont le but est de contrôler les pharmacies et les usines, d’analyser les composants des médicaments, de surveiller les permis des usines et de mettre en application les lois. Aujourd’hui, cet organisme existe dans des pays comme les Etats-Unis, la France, la Jordanie, l’Arabie saoudite et même la Somalie », conclut-il.
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