La 10e édition du congrès du parti tunisien Ennahda fin mai a été considérée comme l’actualité la plus importante dans la sphère de l’islam politique. Elle s’est déroulée sous les projecteurs de médias qui ont utilisé des termes captivants tels «
coup » ou «
transformations » … certains ont même estimé que le parti Ennahda, arrivé au pouvoir dans la foulée du Printemps arabe après des décennies dans les rangs de l’opposition opprimée, a coupé avec son passé islamiste et intégriste. D’autres, plus sceptiques, ont émis des doutes sur la possibilité de voir cette formation se transformer en parti moderne séparant le politique et le religieux. D’autres encore sont allés jusqu’à l’accuser d’hypocrisie.
La déclaration finale publiée le 25 mai fait partie du show médiatique, tout comme la mise en scène impeccable de cet événement avec sa foule de participants, ses logos, ses tribunes ainsi que la décision du fondateur et président du mouvement, Rached Ghannouchi, d’accorder, quelques jours avant le début du Congrès, une interview au quotidien français Le Monde dans laquelle il évoque « la sortie de l’islam politique » et utilise des expressions comme « la démocratie musulmane ».
C’est dans ce contexte que la déclaration finale a adopté des phrases retentissantes comme « Le mouvement Ennahda a pratiquement balayé tous les arguments qui font du parti une composante intégrante de l’islam politique », ou « Désormais spécialisé en politique, Ennahda a légué la réforme religieuse aux composantes de la société civile ».
Mais la déclaration n’a pas entièrement coupé avec le totalitarisme et prévoit aussi d’adopter le référentiel islamique : « Ennahda, aujourd’hui, en tant que parti démocratique au référentiel islamique, est soucieux de traduire cette référence dans un ordre de valeurs, dans différentes expressions politiques, sociales, économiques, culturelles, pour qu’elle ne devienne pas de slogan vide de contenu réel ».
En fait, toute tentative de comprendre ce qui se passe au sein d’Ennahda devra passer par l’histoire de ce mouvement et l’implication de ses fondateurs, Ghannouchi en tête, dans la création, à la fin des années 1960, de l’Association pour la sauvegarde du Coran, puis de la Gamaa islamiya en 1972, et du Mouvement de la tendance islamique en 1981. A la fin des années 1980, Ghannouchi et ses compagnons ont choisi l’étiquette « Mouvement Ennahda » en vue d’une demande formelle pour la création d’un parti politique dont le nom n’a « rien d’islamique ».
Contact avec le monde moderne
Mais l’atmosphère d’oppression a rendu impossible l’acceptation de cette demande. Puis est survenue la fraude des élections auxquelles ont participé, en tant qu’indépendants, les candidats du mouvement. Tout cela a interrompu le parcours d’Ennahda et a retardé son évolution pour des années, même s’il a permis à Ghannouchi et à de nombreux autres dirigeants du mouvement, amenés à quitter le pays pour l’Europe, à prendre contact avec le monde moderne et ses démocraties.
De retour en Tunisie après la révolution du 14 janvier 2011, ceux-ci ont obtenu la légalisation du Parti du mouvement, ont présenté un programme et adopté un discours moderne en vue des élections de l’assemblée constituante en octobre 2011. Ce programme n’a pas inclus d’appel à l’application de la charia, et a été économe de références coraniques. Sauf que des pratiques contraires à ce discours ont amené les adversaires d’Ennahda à l’accuser de tenir un double discours, de contrecarrer la rédaction d’une nouvelle Constitution en insistant sur « l’identité religieuse ».
Pour comprendre ce qui s’est passé au congrès d’Ennahda, il faudrait se rappeler que ce parti a accepté de quitter le gouvernement sous la pression d’une opinion publique mécontente et a perdu 400 000 de ses 1,4 million d’électeurs entre 2011 et 2014. Cela dit, avec les dissensions au sein du parti Nidaa Tounes, son ancien rival et actuel allié au sein du gouvernement, et avec la faiblesse chronique de la gauche, Ennahda reste le parti tunisien le plus fort et le plus solide.
Ainsi, Ennahda n’a perdu aucun membre de son bloc parlementaire. La crise au sein de Nidaa Tounes lui a même permis de se classer comme premier bloc parlementaire.
En somme, le discours d’Ennahda, lors de son 10e congrès, paraît plus ouvert sur le monde extérieur et sur les problèmes économiques, sécuritaires et institutionnels de la Tunisie. Aujourd’hui, il semble le parti le plus préparé pour disputer les élections municipales prévues pour 2017.
L’évolution du mouvement d’Ennahda n’est pas le fruit de ce congrès, et ne s’arrêtera pas avec la fin de ses travaux. Il ne s’agit certes pas d’une transformation douce. Aussi, en renonçant au pouvoir, Ennahda a-t-il montré de la souplesse et de la compréhension face aux pressions et changements intérieurs et régionaux. D’ailleurs, tout au long de la phase de transition vers la démocratie, ce parti n’a jamais gouverné tout seul, mais toujours dans le cadre de coalitions. Il semble qu’il se fraye un chemin de bas en haut vers le pouvoir et l’Etat.
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