La Tunisie a pris le pas, le Maroc, autre pays du Maghreb, va-t-il suivre ? Déjà implicitement, le point de démarcation entre la religion et la politique des islamistes marocains est bien défini. Le Parti islamiste de la justice et du développement (PDJ) qui est arrivé au pouvoir à la suite du Printemps arabe 2011, en sortant vainqueur du scrutin législatif, garde toujours sa progression sur la scène politique marocaine et ses percées électorales, contrairement à Ennahda en Tunisie et la confrérie en Egypte, qui ont accédé au pouvoir dans la même période sans pouvoir pour autant conserver leur place. Abdel-Ilah Benkiran, l’homme fort du parti, le secrétaire général du PJD, est nommé chef du gouvernement par le roi Mohammed VI, le 29 novembre 2011, qui lui a donné le droit au parti de constituer le nouveau gouvernement. Selon beaucoup de prévisions, le PJD se trouve désormais dans une position favorable pour les prochaines élections législatives prévues en octobre 2016, et Benkiran est en position d’être nommé une deuxième fois chef du gouvernement. Le parti gagne de plus en plus de crédibilité auprès de l’électorat marocain après avoir mis en place l’une des procédures les plus démocratiques pour le choix de ses candidats. Ce sont les bases du parti, les structures régionales qui désignaient, en trois étapes, les listes des candidats. Le parti entend aussi placer sur sa liste électorale des personnalités de gauche et laïques renommées sur la scène marocaine, qui ne sont pas forcément membres du parti comme tactique pour se montrer un parti modéré et ouvert à tous les courants.
« L’expérience du PDJ est l’une des plus réussies et des plus équilibrées dans la région, et a pu tenir malgré l’afflux et le reflux de l’islam politique dans la région. Premièrement pour des raisons structurelles liées à la nature et à la spécificité du système politique au Maroc, le roi est très ouvert à l’intégration de l’opposition dans les institutions politiques. L’autre raison est relative à l’approche pragmatique que le PDJ adopte dans sa relation avec le palais », explique Ali Bakr, chercheur des mouvements islamiques au CEPS d'Al-Ahram. Les islamistes du Maroc ont adopté, dès le départ, une stratégie d’apaisement et de cohabitation avec le palais, de sorte à n'entrer en conflit ni avec le régime, ni avec les centres du pouvoir dans le pays. Le premier ministre marocain, Abdel-Ilah Benkiran, a émis une déclaration rassurante au palais à la mi-2013, qu’« il n’y a pas de succès sans coopération avec le roi ». Benkiran est souvent qualifié d’ailleurs d’être plus royaliste que le roi. Le succès relatif du gouvernement dans certaines domaines, comme l’explique Sameh Eid, spécialiste des mouvements islamiques, est d’éviter d’afficher le moindre soutien ou sympathie pour les Frères musulmans comme beaucoup d’islamistes dans la région l’ont fait non seulement pour ne pas entrer en conflit avec le roi, mais aussi pour ne pas perdre le soutien régional.
Aliaa Al-Korachi
Les Frères jordaniens divisés
Manifestation des Frères musulmans dans les rue d'Amman.
(Photo : AP)
En Jordanie, la principale organisation islamiste, la confrérie des Frères musulmans, est aujourd’hui divisée. Des désaccords sans précédent ont scindé l’organisation en deux. « Aujourd’hui, la confrérie jordanienne est très divisée. Les Frères accusent le Royaume jordanien de chercher à affaiblir la confrérie et à exploiter leurs divisions », explique Ahmad Ban, spécialiste des mouvements islamistes. En effet, en mars 2015, le gouvernement jordanien a approuvé la formation de « l’Association des Frères musulmans » dissidente de la confrérie des Frères dans le Royaume, en tant qu’association caritative nationale qui se consacre aux affaires nationales. Et depuis, le gouvernement considère la nouvelle association comme la seule légale. Le gouvernement jordanien a aussi approuvé le transfert des biens de l’organisation originelle à la nouvelle association, une décision vue par les analystes comme une tentative d’affaiblir financièrement la confrérie. Représentant aujourd’hui la principale force d’opposition en Jordanie, la confrérie a été tolérée pendant des décennies, et entretenait de bonnes relations avec le pouvoir. « Ces relations se sont tendues après 2011 et le Printemps arabe dans la région », explique Ban. En avril dernier, les services de sécurité jordaniens ont évacué et fermé le siège central de la confrérie des Frères musulmans à Amman. Selon des membres de la confrérie, cette décision politique avait pour unique objectif d’influencer les prochaines élections et ses résultats, prévues le 20 septembre prochain. Mais les autorités jordaniennes affirmaient que la confrérie est une organisation illégale.
Amira Samir
Au Koweït, un retour timide
Le mouvement constitutionnel islamique, Hadas, le principal groupe de l’opposition islamiste koweïtienne, retourne de nouveau sur la scène en décidant, le 26 mai, de mettre fin à son boycott des élections qui remonte à 2012, et ceci à un an des prochaines législatives. Branche politique de la confrérie dans cette monarchie, Hadas a décidé de boycotter les législatives de 2012 et de 2013 pour s’opposer contre un amendement de la loi électorale qui, selon le mouvement, « est destiné à permettre au gouvernement de contrôler le parlement. Déposant la candidature des 25 membres de ce mouvement au scrutin, le mouvement justifie sa décision, dans un communiqué, que l’absence de l’opposition au parlement avait favorisé la corruption, nuit au développement (...) et fait que plusieurs lois, violant la Constitution, avaient été votées ». Début mai, un autre groupe de l’opposition islamiste, les Principes de la nation, a lui aussi suspendu son boycott des élections. Les deux mouvements islamistes vont pouvoir aligner des candidats lors des prochaines législatives prévues à la mi-2017.
L’apparition des Frères musulmans au Koweït date de 1950. Au début, les islamistes ont profité d’un rapprochement avec la famille régnante, en essayant de jouer un rôle de premier plan dans le domaine social. L’activité politique de la confrérie a commencé dans les années 1980, avec l’émergence du « Mouvement constitutionnel islamique », qui s’intègre au jeu politique dans les rangs de l’opposition.
Quel est alors le motif derrière la décision de la participation, prise par « une majorité confortable » comme l’indique le mouvement ? « Après avoir été totalement rayé de la scène électorale, le mouvement essaye de retourner sous une forme plus modérée, afin de s’adapter à la situation régionale et aux politiques royales », dit Ali Bakr, chercheur des mouvements islamiques au CEPS d'Al-Ahram. Sameh Eid, spécialiste des mouvements islamiques, explique que l’islam politique est en plus de perte d’influence, notamment dans la région du Golfe, ce qui rend les chances minimes pour les islamistes dans cette région de réaliser une percée dans le scrutin. « Il n’est pas prévu que ce courant islamique, affaibli, puisse remporter les scores d’auparavant, surtout après l’échec des Frères musulmans en Egypte qui jette ses ombres sur les islamistes dans la région, notamment dans les pays du Golfe, où les médias ont été complètement alignés à la position officielle égyptienne ».
Aliaa Al-Korachi
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