Les combattants kurdes ont réalisé des victoires incontournables sur Daech.
(Photo : Reuters)
Contrôlant environ 15 % du territoire syrien, soit une population de quelque 2 millions de personnes, les Kurdes représentent la minorité la plus importante de ce pays. Ils sont concentrés principalement au nord-est et au nord de la Syrie, en plus des populations significatives à Damas et à Alep. Les Kurdes s’organisent politiquement à travers plusieurs entités, dont la principale est le Parti de l’union démocratique (PYD) qui affronte occasionnellement les troupes du régime syrien. Ce parti est affilié au parti turc des Travailleurs du Kurdistan (PKK), et considéré comme terroriste par la Turquie, les Etats-Unis, l’Otan et l’Union européenne. Sa branche armée est connue sous le nom d’Unités de protection du peuple (YPG), qui constituent le premier allié sur le terrain de la coalition occidentale contre l’Etat Islamique (EI). En fait, les troupes kurdes ont réalisé des victoires incontournables sur l’EI : elles ont repris le contrôle de plusieurs villes après des mois de batailles acharnées. Parmi ces villes : Kobané, Chadadi, Sinjar, Tall Abyad et Hassaké, ajoutant aussi leur avancée vers Rakka.
Objectifs contradictoires
Dans le conflit qui déchire la Syrie, les acteurs régionaux et internationaux tentent de tirer leur épingle du jeu à travers le rapprochement avec les Kurdes. La Russie fait figure d’alliée naturelle pour les Kurdes de Syrie qui ont décidé d’ouvrir une représentation dans la capitale russe le 10 février 2016. Aussi, le PYD partage avec Moscou une même hostilité envers la Turquie. « La tension entre la Russie et la Turquie a augmenté après l’affaire de l’avion russe Soukhoï 24 (SU-24), abattu en novembre 2015 par deux F-16 turcs. Depuis, Moscou et Ankara se rejettent mutuellement la responsabilité, ce qui a rendu les relations entre eux de plus en plus tendues », précise Mohamad Abbas, expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
En ce qui concerne les Etats-Unis, ils possèdent une position diamétralement opposée. D’une part, ils ont besoin de s’appuyer sur les YPG dans la lutte contre l’EI, et par la suite, ils essayent de renforcer leurs liens stratégiques avec le PYD. D’autre part, ils essayent de protéger leur relation avec la Turquie, l’alliée au sein de l’Otan, et donc avouent le droit de la Turquie de se défendre contre le PKK. Pour les Turcs, le cauchemar le plus horrible est la création d’une région autonome kurde en Syrie, à l’instar de celle dans le nord de l’Iraq. Pour Ankara, le vrai but qu’il vise à réaliser à travers son implication en Syrie est surtout de bloquer les ambitions kurdes de contrôler en Syrie une bande frontalière qui irait d’Iraq à la Méditerranée. « La Turquie craint la création d’une ceinture kurde le long de la frontière qui bloquerait son accès à la quasi-totalité de la Syrie et qui encouragera les Kurdes turcs à réclamer une certaine autonomie », explique Mohamad Gomaa, expert au CEPS d’Al-Ahram.
C’est à cause de cette crainte turque que les Kurdes n’ont pas participé aux pourparlers de paix sur la Syrie qui ont débuté à Genève. « La Turquie avait annoncé qu’elle ne participerait pas aux pourparlers de paix si les Kurdes syriens du PYD y participaient », affirme Abbas. La Russie, de son côté, pense que les Kurdes sont des citoyens syriens et ont le droit de participer aux négociations sur l’avenir de leur pays. « La position turque limite la marge de manoeuvre. Sans les Kurdes, les négociations de paix ne pourront pas donner le résultat voulu, à savoir un règlement politique définitif du conflit syrien », estime Gomaa.
Le régime syrien, lui, applique une certaine ambiguïté à l’égard des Kurdes. Pour l’heure, les deux ont un objectif commun : ils cherchent à écarter les rebelles de la frontière pour empêcher la Turquie de les ravitailler en armes.
Une chance à saisir
Quant aux Kurdes, qui ont toujours été marginalisés par les précédents régimes de Damas, la guerre est une opportunité à saisir. Soit la démocratie est instaurée et les Kurdes y gagnent au moins une plus grande autonomie locale et une reconnaissance constitutionnelle de leurs droits, soit c’est le chaos, avec des zones d’influences diverses, et là aussi, ils peuvent en tirer profit car ils veulent reproduire ce qui s’est passé en Iraq. « Les Kurdes de Syrie rêvent de créer une zone d’autonomie au nord comme celle formée par les Kurdes iraqiens, et ils ont trouvé dans ce qui se passe actuellement en Syrie une chance historique afin de réaliser ce but », confirme Gomaa.
Et avec la prise du contrôle de certaines zones du nord de la Syrie face au relâchement du pouvoir de Bachar Al-Assad, la montée en force des Kurdes est devenue claire, surtout avec l’élargissement de l’influence du PYD. « C’est dans le cadre de la montée en force et de l’exclusion des pourparlers de paix que les Kurdes ont proclamé unilatéralement, le 17 mars 2016 au beau milieu des pourparlers de Genève, l’établissement d’une entité fédérale démocratique dans les zones sous leur contrôle dans le nord du pays », précise Abbas. Les velléités indépendantistes des Kurdes deviennent ainsi un autre défi posé sur la table des négociations.
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