Al-Ahram Hebdo : Quels sont les problèmes majeurs dont souffrent les ouvriers en ce moment ?
Gamal Osman : Malgré les bouleversements politiques qui se sont succédé depuis 2011, le statut des ouvriers ne s’est pas amélioré. Ils rencontrent les mêmes problèmes qui existaient déjà depuis l’ère Moubarak. Tout d’abord, il y a le système de corruption qui a mené à la fermeture de plusieurs usines. Ceci a eu un impact négatif sur le taux de production. C’est la raison pour laquelle je crois qu’il est injuste de lier les salaires des ouvriers à la productivité de l’entreprise. Il faudrait plutôt lier les salaires aux prix qui varient selon la conjoncture économique. De plus, bien que l’Egypte ait signé des conventions internationales qui garantissent la liberté syndicale des ouvriers, on souffre encore du non-respect de ce droit. Les syndicats ouvriers indépendants en Egypte ne sont pas respectés et sont accusés sans aucune preuve d’obtenir des financements étrangers et sont ainsi perçus comme illégaux. Ce qui est complètement inacceptable. Et pour finir, il y a l’absence d’un cadre juridique clair qui décrit les droits et les devoirs des travailleurs.
— Ce sont des problèmes liés au gouvernement et à sa politique, qu’en est-il des relations avec les propriétaires des usines ?
— Je pense que le problème le plus important est celui du licenciement abusif qui se fait sans cause réelle et qui est l’un des mécanismes utilisés fréquemment contre les ouvriers. La loi ne mentionne pas de sanctions dissuasives à l’égard du chef d’entreprise qui opte pour une telle mesure sans motif justifié. Il n’y a même pas de procédure judiciaire pour limiter ce type de décision. Je pense qu’afin de limiter les licenciements, la décision ne doit pas être uniquement entre les mains du propriétaire ou chef de l’entreprise. La procédure de licenciement devrait d’abord être transférée à une juridiction compétente pour être examinée. Et jusqu’à ce que le pouvoir judiciaire rende sa décision, il faut que l’ouvrier continue à percevoir son salaire.
— Mais plusieurs lois existent déjà pour préserver les droits des ouvriers comme la loi du travail, celle des syndicats indépendants et la loi du service civil …
— Je suis contre la multiplicité des lois qui organisent le travail, ce serait mieux d’avoir un seul code du travail. On a des lois pour chaque secteur (secteur public, secteur privé, secteur des affaires) qui visent à protéger les intérêts de chacun d’entre eux séparément et sans prendre en compte les dimensions sociales et les spécificités du milieu ouvrier. Concernant le nouveau projet de loi sur le travail qui vient d’être finalisé par le ministère de la Main-d’oeuvre et qui sera prochainement soumis au Conseil des ministres, je peux confirmer que plusieurs ouvriers rejettent ce texte. La version finale de la loi n’a pas été soumise à un débat entre les ouvriers, les chefs d’entreprises, les représentants de syndicats indépendants et l’Union générale des syndicats des Travailleurs égyptiens. Par ailleurs, ce n’est pas garanti que la nouvelle loi ait comme priorité la protection des droits des ouvriers, surtout si on prend en compte la manière avec laquelle certaines questions y sont traitées comme les promotions, les primes, les congés et le pouvoir absolu de l’employeur.
— Quel rôle joue l’Union générale des syndicats des Travailleurs ? Ne s’engage-t-elle pas activement à défendre la cause des ouvriers ?
— J’ai l’impression que cette union gouvernementale vise à se protéger sans prendre en compte les intérêts des ouvriers, et par conséquent, son rôle est inefficace. Elle n’a pas essayé de résoudre le problème des milliers d’ouvriers qui ont été licenciés de manière illégale. Son inefficacité s’explique par plusieurs facteurs : Premièrement, la participation à la fédération est obligatoire pour tous les ouvriers, ce qui contredit l’idée de la liberté syndicale. Deuxièmement, elle n’est qu’un outil du gouvernement à travers lequel ce dernier réalise certains objectifs politiques. De plus, le choix des responsables de cette union ne se fait pas sur la base de la compétence et de la représentativité, mais plutôt sur une base politique très subjective. Je pense qu’on a besoin d’un code du travail qui crée une relation équilibrée entre le gouvernement, les ouvriers et les chefs d’entreprises et qui instaure des droits et des devoirs bien clairs pour chaque partie.
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