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Au royaume du chaos

Mohamad Al-Roubi, Dimanche, 01 mai 2016

Les films Chaud et sec en été de Chérif Al-Bendari, et Toc-Toc de Romani Saad figurent parmi les grandes révélations du festival cette année. Présentation.

Au royaume du chaos

Tuk-Tuk (prononcez tok-tok) c’est l’appella­tion égyptienne du rickshaw, la moto à trois roues défilant dans les rues de la ville, les plus sinueuses, notamment dans les zones populaires et informelles. Au lieu de faciliter la circulation ou d’atténuer les problèmes, il s’est transformé en moyen de transport bruyant et perturbant. Finalement, il a accentué le chaos.

Le réalisateur Romani Saad s’attaque aux méandres de ce monde, celui des chauffeurs de rickshaws et de ses clients. Sans les accuser ou les dénoncer, il en donne une image véridique et profonde.

Dès le générique, puis la pre­mière scène, il annonce claire­ment que ce n’est pas un film sur la laideur du Caire, mais le côté tumultueux de la métropole est abordé avec finesse. Une douce mélodie de piano accompagne la séquence où il passe en revue les rues égyptiennes. Celles-ci sont filmées d’en haut et ont l’air beaucoup plus jolies qu’en réali­té. Ensuite, on descend sur terre pour découvrir ce qu’il en fut. On s’en approche pour voir de près : les passants, les vendeurs ambulants, des gens, très nom­breux. Quand on atteint un cer­tain niveau de proximité, le son du piano s’éteint. Bienvenue au royaume des tumultes. La musique douce fait place à la rythmique des chants popu­laires, assez bruyants. Le chahut nous provient d’un rickshaw, conduit par un enfant regardant la caméra, tout sourire. Il est fier de sa machine à trois roues et de son baladeur emplissant le quar­tier de musique. Puis, il raconte comment il a arrêté d’aller à l’école et s’est converti en chauf­feur de toc-toc. Un autre collègue se joint à lui, dresse un parcours similaire. Le réalisateur les accompagne jusqu’à chez eux, il va à la rencontre des parents, les laissent expliquer leurs enjeux, leurs rêves, leurs difficultés.

La première famille se compose d’une mère seule et de quatre enfants, dont le petit chauffeur en question. Une chambre exiguë, dans une ruelle étroite. La caméra bouge à peine, à l’intérieur de ce monde clos, qui abonde d’êtres humains. La mère reste souriante, elle est fière de son petit. Celui-ci l’a persuadée d’emprunter de l’argent à la banque pour acheter son rickshaw, son princi­pal gagne-pain.

Le réalisateur Romani Saad poursuit la même démarche tout au long du film : il nous promène dans les rues, puis nous introduit dans les mai­sons de ses rencontres fortuites. Il divise son film en trois séquences : « Pas le premier jour », « Un jour normal » et « Pas le dernier jour ». C’est comme s’il écrivait une symphonie à trois mou­vements. Le piano, à l’ouverture, n’était qu’un prélude mélanco­lique. Les titres choisis aussi pour les trois séquences du film affirment qu’il s’agit d’une vie ordinaire, comme celle menée par plein de gens, où rien ne se passe. Les antihéros de ce quoti­dien sobre ressemblent à Sisyphe ; ils n’arrivent pas à s’en sortir. Ils sont condamnés à la répétition sans fin de leurs actes, du matin au soir.

A l’intérieur des maisons, on est à l’écoute des petites his­toires, des gens pauvres. Ils disent tous avoir investi dans ces machines à trois roues qui sèment le chaos, partout dans les rues. Leurs vies en dépendent. Mais ils ont vite découvert qu’ils se sont encore enfoncés dans la détresse. Car les banques leur demandent de payer les versements, et ils n’ont pas de quoi rembourser. De plus, les policiers les harcèlent pour toucher des pots-de-vin : de petites sommes modiques pour qu’ils les laissent en paix. La colère monte d’un cran, puis de deux crans … Elle gronde et se manifeste par des querelles et des actes de violence quotidiens. Le doigt est pris dans l’engrenage.

A aucun moment, l’on se sent agressé par les témoignages ou par les mouvements de la camé­ra. Celle-ci va vers les gens, est à leur écoute ; permet au spectateur de se situer à mi-chemin entre la sympathie vis-à-vis de ces petits diables de la rue et la vision assez critique des choses et des aléas de la vie .

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