Leurs relations avaient survécu à la crise du pétrole après l'embargo de 1973 contre les Etats-Unis puis aux attentats du 11 septembre où 15 pirates de l'air étaient des Saoudiens. Il est vrai que les deux pays n'ont jamais été en entière synchronisation, mais le marché conclu dans les années 1940 entre le roi Abdel-Aziz et le président Roosevelt, à savoir pétrole contre sécurité, a toujours été de mise. La semaine dernière, le président américain, Barack Obama, qui s'apprête à céder son siège à la Maison Blanche, effectuait sa dernière visite dans le Royaume saoudien. Mais le roi Salman n' était pas à son accueil à l'aéroport, et cette mission a été accordée plutôt au gouverneur de Riyad, alors que les monarques voisins, conviés à la réunion du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) à laquelle Obama a assisté, ont été accueillis par le roi Salman en personne. Signe que les choses sont complètement différentes aujourd'hui ? Il semblerait que oui. La visite d'Obama intervient sur fond de tension entre les deux capitales.
A Washington, la relation avec Riyad est au centre de l'actualité. Un texte de loi, soutenu par une vingtaine de sénateurs démocrates et républicains et qui permettrait de traduire les dirigeants saoudiens devant des tribunaux américains pour les attentats du 11 septembre 2001, est examiné par le Congrès. Obama a déjà annoncé qu’il y mettrait son veto et le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel Al-Jubeir, a averti de possibles conséquences coûteuses si ce projet de loi était adopté (lire page 4). Pourtant, Obama se dit favorable à la déclassification, après examen, des 28 pages encore classées du rapport de la commission d’enquête américaine sur le 11/9, publié en 2003. « Il s’agit de pages d’un chapitre consultable uniquement par les membres du Congrès américain sur le rôle de gouvernements étrangers dans les attentants », explique l’analyste et journaliste basé à Washington Mohamed Elmenshawy. Pourtant, selon l’ancien sénateur Bob Graham, qui a contribué à la rédaction du rapport, et qui s’exprimait sur la fameuse émission 60 minutes, « une partie de ces 28 pages pourrait mettre en lumière un possible soutien saoudien aux pirates ».Selon un haut diplomate égyptien basé à Washington DC, il semblerait que l’Administration Obama « ait accepté de divulguer le contenu des 28 pages en contrepartie d’un abandon du projet de loi. C’est l’arrangement qui sera fait avec le Congrès », affirme le diplomate. Moataz Salama, chef du département des études du Golfe au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, affirme que les Saoudiens eux-mêmes ont appelé « à plusieurs reprises par le passé à rendre public ce chapitre pour mettre fin aux rumeurs de l’implication de hauts responsables saoudiens ».
Iran : La pomme de discorde
Mais qu’est-ce qui a changé entre Washington et Riyad pour arriver à cette répulsion mutuelle ? « La tension s’est manifestée sur plusieurs fronts depuis la décision d’Obama de faire fondre la glace avec l’Iran, un ennemi juré du Royaume d’Arabie saoudite, et la controverse entre les hauts responsables des deux pays sur le rôle que doit jouer chacun d’entre eux dans les questions du Moyen-Orient », explique Elmenshawy. Sur le fond, il y a ainsi la Syrie, le Yémen et le renversement des régimes dans la foulée du Printemps arabe. Salama croit que ce sont là des détails, mais le grand titre est le manque de confiance des pays du Golfe en l’allié américain. « Le grand différend concerne la sécurité du Golfe et les garanties présentées par les Américains face aux menaces extérieures et intérieures auxquelles sont confrontés ces pays. Le sentiment général chez eux est que Washington a décidé d’abandonner les pays du Golfe. D’où la séparation d’aujourd’hui », dit-il.
Ainsi, les pays du CCG sont à la recherche de nouvelles alliances qui répondent à leurs soucis sécuritaires. Ils élargissent la coopération sécuritaire avec la Russie, la Chine et la Turquie ou encore avec l’Egypte et la Jordanie. « L’Administration Obama tente aujourd’hui donc de réparer les relations, sans pour autant revenir au statut d’antan », croit le chercheur. Dans une rare critique envers Riyad, le président américain a déclaré que l’Arabie saoudite « a besoin d’apprendre à partager » la région avec son ennemi juré, l’Iran, et que les deux pays alimentent des guerres par procuration en Syrie, en Iraq et au Yémen.Dans une série d’entretiens avec le magazine The Atlantic, Obama a estimé que certains alliés américains dans le Golfe et en Europe veulent entraîner les Etats-Unis dans des conflits sectaires qui parfois ont peu à voir avec les intérêts américains. Le sommet Salman-Obama n’a vraisemblablement pas apaisé cette tension même si le projet de loi du Congrès n’a pas été soulevé. Deux autres différends existent, selon le diplomate égyptien. L’un est lié à l’armement. « Les pays du Golfe réclament des livraisons d’armes plus rapides, alors que les Américains utilisent parfois la lenteur de ces livraisons comme outil de pression et disent aux Saoudiens : vous n’avez pas suffisamment de ressources humaines pour utiliser ces armes ». L’autre point de discorde, toujours selon le diplomate, est la situation humanitaire au Yémen. « Il existe une tendance au sein de l’Administration américaine qui parle de crime de guerre dans la guerre menée par les saoudiens au Yémen ».Moataz Salama croit d’ailleurs que cette séparation « a permis aux pays du Golfe de tester pour la première fois leur capacité pour forger une sorte d’immunité qui était garantie pendant 70 ans par les Américains ». Et d’après lui, lors des trois dernières années, notamment depuis l’arrivée du roi Salman au pouvoir, ils ont réalisé des gains. Mais le diplomate égyptien n’est pas entièrement d’accord soulignant que les Saoudiens sont tombés dans le bourbier yéménite qui, aujourd’hui, menace leurs frontières.
L'après-Obama
Le calcul des Saoudiens semble viser l’après-Obama. Ils comptent sur l’arrivée de Hillary Clinton dont l’entourage conserve de très bons rapports avec le Royaume. Pourtant, Clinton a donné son appui au projet de loi, et le candidat républicain le plus important, Donald Trump, que les Saoudiens prennent à la légère, a déclaré que la seule raison de l’appui américain aux Saoudiens était le pétrole. « Et une fois que l’Administration aura changé, nous n’aurons plus besoin de leur pétrole ». Selon Elmenshawy, Israël est un acteur-clé dans la relation future entre Riyad et Washington. « Les intérêts des Saoudiens et des Israéliens se rejoignent sur le dossier iranien et syrien », précise-t-il. D’après lui, « tous les indices portent à croire qu’il n’est plus question de parler de conflit israélo-arabe, mais d’une coexistence face à la menace terroriste ». Salama croit ainsi que les Saoudiens se dirigent vers une trêve de paix d’une vingtaine d’années au moins et qui ne sera pas nécessairement traduite par un texte écrit pour éviter de placer le Royaume dans l’embarras. Des contacts sont déjà en cours entre Israéliens et Saoudiens. L’ancien conseiller à la sécurité israélienne, le général Yaakov Amidror, doit rencontrer à Washington le mois prochain l’ancien chef des renseignements saoudiens, le prince Turki Al-Faisal. « Il s’agissait, dans le passé, de rencontres officieuses incluant des Saoudiens sans position officielle. Aujourd’hui, pour la première fois, on apprend qu’il y a eu des rencontres officielles entre les responsables des deux pays sous l’égide des Américains pour préparer la démarcation de frontières entre l’Arabie et l’Egypte », précise le diplomate égyptien. D’après lui, les Saoudiens se sont engagés « par écrit » à respecter l’accord de paix depuis le transfert des deux îles de Tiran et de Sanafir dans les limites des frontières saoudiennes. L’Arabie est ainsi de facto un partenaire de paix avec Israël, dit-il. Et de conclure : « De quoi pousser le lobby israélien au côté du lobby de l’armement à Washington à encourager la future Administration à maintenir des relations privilégiées avec les Saoudiens ».
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