Y a-t-il un début d’apaisement dans les relations égypto-turques ? C’est la question qui s’est posée à la suite de la participation du ministre égyptien des affaires étrangères, Sameh Choukri, à la conférence de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) tenue les 13 et 14 avril à Istanbul. Une participation de haut niveau qui intervient à un moment où les relations entre les deux pays sont au plus mal. Elle vient contredire certains analystes qui prévoyaient que l’Egypte serait au mieux représentée à la conférence par un diplomate de l’ambassade égyptienne en Turquie. Or, le fait que cette conférence ait été précédée par la visite du roi Salman, d’abord, en Egypte, puis en Turquie, laisse penser que la participation du ministre égyptien est le résultat d’une médiation de l’Arabie saoudite qui cherche à rapprocher les deux pays. Cette hypothèse a pourtant été démentie par les porte-paroles des ministères des Affaires étrangères, égyptien et turc.
La présidence de l’OCI appartenait à l’Egypte et elle devait être transmise à Ankara. Il s’agirait donc juste d’une question de protocole. Il suffit d’ailleurs d’écouter le discours du chef de la diplomatie égyptienne à la conférence, dans lequel il a ignoré le président turc, Recep Tayyip Erdogan, en omettant de mentionner son nom, pour se rendre compte qu’on est loin d’une éventuelle entente. « Si la présence du ministre égyptien devait indiquer quelque chose, ça serait plutôt un signe de tension plutôt que d’apaisement entre les deux pays. Elle n’a duré que quelques heures et il n’y a pas eu de rencontre entre les deux parties. S’il y a eu une médiation saoudienne, elle n’a de toute façon pas été fructueuse. Les deux parties campent sur leurs positions », estime Mohamad Abdel-Qader, spécialiste des affaires turques au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
Origine des tensions
Les relations entre l’Egypte et la Turquie se sont envenimées il y a quelques années. Pourtant, tout avait bien commencé en 2011. A la suite de la révolution égyptienne du 25 janvier, le président turc avait entamé une visite en Egypte où il avait été accueilli en grande pompe. La coopération entre les deux pays s’était alors intensifiée, notamment avec l’élection des Frères musulmans au pouvoir, avec qui Erdogan, leader du parti islamiste turc, le Parti de la justice et du développement, partage la même idéologie. Mais en 2013, face au soulèvement de la population égyptienne contre Mohamad Morsi le 30 juin, suivi par la prise du pouvoir par l’armée égyptienne le 3 juillet, le gouvernement turc a fait un revirement diplomatique, refusant de reconnaître le nouveau gouvernement égyptien et se livrant à une guerre verbale contre Le Caire. Erdogan est même allé jusqu’à accuser le gouvernement égyptien d’avoir comploté avec Israël pour organiser « ce coup militaire ». Une position qui a été vivement critiquée par l’Egypte qui a dénoncé une ingérence turque dans les affaires intérieures égyptiennes. Les tensions se sont davantage intensifiées et ont culminé avec le renvoi par le gouvernement égyptien de l’ambassadeur turc le 23 novembre 2013. Pour autant, cette détérioration des relations diplomatiques n’a pas eu un grand impact sur les relations économiques (voir encadré). En revanche, les échanges culturels sont au point mort.
Profondes divergences
Pourtant, à l’issue d’une réunion du gouvernement turc, présidée par Erdogan, le 22 février dernier, le ministre des Affaires étrangères de la Turquie, Mevlüt Çavusoglu, avait déclaré « ne pas être contre la tenue de réunions bilatérales avec des ministres égyptiens », selon le quotidien turc Hurriyet Daily News, une proposition qu’Erdogan aurait approuvée. Des propos qui font fausse note avec le discours adopté par Erdogan. Et c’est dans un tel contexte d’ambiance envenimée que l’Arabie saoudite tente de rapprocher les deux pays. Car il est clair qu’une alliance entre l’Egypte et la Turquie ne pourrait que renforcer le front sunnite que Riyad essaye de former depuis des mois face à son rival iranien. D’où son rapprochement avec Ankara, avec qui elle avait des divergences concernant la position turque vis-à-vis de l’Egypte et du soutien turc aux Frères musulmans, l’Arabie saoudite étant un des pays qui a le plus soutenu l’initiative de l’armée contre les Frères musulmans. Mais Riyad semble avoir dépassé ces divergences et tout tenté pour isoler Téhéran. A cet égard, le communiqué issu de la conférence de l’OCI marque clairement la position de l’organisation contre l’Iran, et ce, en dépit de la participation du président iranien. Preuve donc du succès diplomatique de Riyad.
Le dossier syrien est aussi un facteur du rapprochement entre Riyad et Ankara, mais représente un point de divergence avec Le Caire. Car, contrairement à l’Egypte qui estime qu’une solution militaire au conflit syrien est vouée à l’échec, l’Arabie saoudite et la Turquie préconisent la solution militaire contre le régime syrien, allié de l’Iran, et considèrent le départ de Bachar Al-Assad comme une condition sine qua non à tout règlement politique.
Mais au-delà des divergences sur la question syrienne, ce que reproche Le Caire à Ankara, outre les rhétoriques d’Erdogan, c’est le fait que la Turquie abrite et soutient les opposants islamistes égyptiens. Au début du mois de février, le gouvernement égyptien a déposé une plainte officielle au ministère turc des Affaires étrangères pour dénoncer la diffusion, depuis la Turquie, de chaînes télévisées pro-Frères musulmans « qui appellent au terrorisme ».
Ce sont donc ces profonds désaccords qui font qu’une reprise et une normalisation des relations entre l’Egypte et la Turquie paraissent invraisemblables. « Le sommet de l’Organisation islamique a montré qu’il y a un manque de volonté des deux côtés à reprendre des relations », explique Mohamad Abdel-Qader. Pour le gouvernement égyptien, il est impensable de renouer les liens avec un pays qui ne reconnaît pas sa légitimité, et qui soutient son opposition. Pour qu’un tel changement puisse avoir lieu, il faudrait que la Turquie reconnaisse la nouvelle réalité politique qui prévaut en Egypte. Ce qui semble pour l’instant difficile, compte tenu de l’idéologie islamiste et du discours d’Erdogan. La position égyptienne est sans équivoque : tant qu’il y a ingérence dans les affaires égyptiennes, les relations entre les deux pays ne reprendront pas, a indiqué à plusieurs reprises le porte-parole des Affaires étrangères égyptiennes. La réconciliation entre les deux pays n’est donc pas pour demain.
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