Le chef de l’Etat français avait atterri dimanche au Caire, en provenance du Liban, première étape de sa tournée régionale qui l’a mené, outre l’Egypte et le Liban, en Jordanie. François Hollande a été accueilli à l’aéroport par le président Abdel-Fattah Al-Sissi, avant de se diriger au palais d’Al-Qobba. Dans la soirée, il a tenu une conférence de presse conjointe avec son homologue égyptien, à l’issue de laquelle les deux chefs d’Etat ont assisté à la signature de plusieurs contrats et accords économiques. Les deux hommes se sont également entretenus sur la sécurité dans la région, évoquant la question israélo-palestinienne, la guerre en Syrie, la tension en Libye et la lutte contre l’organisation de l’Etat islamique. Le lendemain, les deux chefs d’Etat ont assisté au Forum économique organisé par la Chambre de commerce française. Hollande s’est aussi rendu au parlement égyptien. Il s’agit de la seconde visite en Egypte du président français en moins d’un an. La première date de plus de 9 mois, lors de l’inauguration du Nouveau Canal de Suez.
Outre les hommes d’affaires, Hollande était accompagné de la ministre de la Culture, Audrey Azoulay, et du ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ainsi que d’une trentaine de chefs de groupes français, mais aussi de Petites et Moyennes Entreprises (PME), qui sont venus assister au « forum d’affaires » franco-égyptien et à la signature d’accord sectoriels, notamment dans les domaines des transports urbains, de l’énergie renouvelable et de la formation professionnelle (voir page 4). Si la visite revêtait un important volet commercial, les questions politiques ont été à l’ordre du jour, notamment la lutte contre l’organisation terroriste de l’Etat Islamique (EI), la sécurité régionale, la question israélo-palestinienne, la guerre en Syrie ou la tension en Libye.
Lutte antiterroriste
« La France s’inquiète de la montée en puissance du terrorisme, ainsi que ses voisins proches, cible de graves attentats terroristes en janvier et en novembre 2015, puis en mars dernier à Bruxelles » rappelle Saïd Issa, spécialiste des relations internationales au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, qui explique que « dans le fond, les risques posés par l’expansion de la menace terroristes à l’est de la Libye n’ont fait qu’accentuer la convergence de vues entre Paris et Le Caire sur la priorité que constitue la lutte antiterroriste et la nécessité de maintenir un partenariat étroit ». La France, comme beaucoup d’autre pays européens, s’inquiète de la présence en Libye de milliers de terroristes de l’EI qui menacent les frontières sud de l’Europe et pourraient provoquer un exode massif de population vers le vieux continent.
L’Egypte, elle aussi, est menacée par la porosité des frontières avec la Libye. La frontière égypto-libyenne constitue depuis longtemps une menace pour la sécurité intérieure égyptienne. Des armes et des combattants traversent la frontière et rejoignent le Sinaï où officie une autre branche de l’Etat islamique. Comme l’explique Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire : « La France est aujourd’hui l’un des plus importants fournisseurs d’armes et d’engins militaires à l’Egypte. Si cette coopération s’est accentuée dernièrement, c’est pour garantir la stabilité de l’Egypte, pivot d’un Proche-Orient en proie au chaos. La France considère en effet que l’Egypte est l’un des rares pays qui restent relativement stables. Elle maintient une armée forte qui peut jouer un rôle central et efficace contre le terrorisme », précise le politologue. C’est dans ce contexte que plusieurs accords ont été conclus dans le domaine militaire poursuivant ainsi une coopération entre les deux pays et qui s’est accentuée pendant les quelques dernières années (voir aussi page 4).
La question des droits de l’homme
La question des droits de l’homme a été au coeur de l’entretien entre les deux chefs d’Etat. « Nous avons évoqué avec le président Sissi les droits de l’homme, y compris les sujets les plus sensibles », a indiqué François Hollande dans la conférence de presse, invoquant la nécessaire « liberté de la presse et la liberté d’expression ». « Les droits de l’homme sont aussi un moyen de lutter contre le terrorisme », a aussi estimé le président français au côté de son homologue Abdel-Fattah Al-Sissi. « Lutter contre le terrorisme suppose de la fermeté mais aussi un Etat, et un Etat de droit, c’est le sens de ce que la France évoque quand elle parle des droits de l’homme. Les droits de l’homme, ce n’est pas une contrainte, c’est aussi un moyen de lutter contre le terrorisme », a déclaré Hollande.
En effet, l’affaire Eric Lang, un Français arrêté en 2013 au Caire par la police et battu à mort dans sa cellule par « des codétenus », selon le Parquet général du Caire, l’affaire Giulio Regeni, l’étudiant italien enlevé au centre de la capitale égyptienne le 25 janvier dernier et retrouvé 9 jours plus tard dans un fossé, le corps portant les stigmates d’épouvantables tortures, avaient soulevé la colère de certaines ONG internationales qui critiquent la situation des droits de l’homme en Egypte. « La visite du président français est intervenue à un moment très délicat, alors que le Parlement européen s’est soulevé contre le rapprochement de Hollande avec l’Egypte, surtout après l’affaire de Regeni. Même s’il soutient l’Egypte, le président français ne pouvait pas négliger toutes ces pressions », explique Mourad.
En réponse à François Hollande, le président Sissi a dit que l’Egypte qui fait ses « premiers pas d’Etat démocratique était un Etat de droit qui respecte son peuple ». Mais, a-t-il ajouté, « la région dans laquelle nous vivons est une région très perturbée. Les normes en Europe, qui sont au sommet du progrès et de la civilisation, ne peuvent prévaloir dans la situation que vit notre région, notamment l’Egypte (...). Nous sommes confrontés à des forces diaboliques qui essaient d’ébranler l’Egypte, notamment par ces accusations qui visent à affaiblir la police et la justice ».
Conflits régionaux
Les conflits dans la région, notamment en Syrie et en Palestine, ont été aussi l’objet d’examen. La Syrie, tout comme la Libye, menace l’Europe par la présence de groupes terroristes aussi bien que par ses grands nombres de réfugiés. « La Syrie représente aussi un grand danger pour la France qui considère le conflit syrien comme l’une des raisons principales de la propagation du terrorisme dans la région, d’où d’ailleurs sa visite au Liban, qui a accueilli plus d’un million de réfugiés syriens, de même qu’en Jordanie, troisième étape de sa tournée et qui comprend près de 300 000 réfugiés syriens », analyse Mourad. « Nous devons tout faire pour qu’il puisse y avoir le maintien de la trêve entre régime et rebelles en Syrie (...). Si les négociations ne reprennent pas, si les combats en revanche devaient, eux, reprendre, il y aurait de nouveau les pires inquiétudes pour les populations civiles », a mis en garde François Hollande, au deuxième jour de sa visite d’Etat au Caire, dans un discours à la communauté française à l’ambassade.
Quant à la question palestinienne, l’initiative française de relance des négociations entre Israéliens et Palestiniens est fortement soutenue par l’Egypte. Pour le rappeler, il y a plusieurs mois, la France avait lancé l’idée d’accueillir une conférence internationale, l’été prochain, pour relancer les négociations de paix entre Israël et les Palestiniens. Paris avait promis de reconnaître l’Etat palestinien si les négociations échouaient avant que le nouveau ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, n’indique que la reconnaissance ne serait pas automatique. Cette initiative consiste à rassembler la communauté internationale autour de ce processus qui doit conduire à la paix, comme l’a déclaré Hollande lui-même. Dans son ensemble, la visite a été, comme décrite par les spécialistes, l’une des plus importantes et dont les échos porteront leurs marques sur les relations entre l’Egypte et la France.
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