L’obtention d’un crédit du Fonds Monétaire International (FMI) est-elle actuellement une option ? «
Il semble que oui », confie à l’
Hebdo la ministre de Coopération internationale, Sahar Nasr, et «
toutes les possibilités sont sur la table des négociations », poursuit-elle. Cette déclaration intervient quelques jours avant les réunions de printemps du FMI et de la Banque Mondiale (BM) qui auront lieu à Washington du 15 au 17 avril.
Une déclaration qui souligne l’importance de la mission de la délégation égyptienne qui participera à ces réunions à Washington. La ministre de Coopération internationale, le nouveau ministre des Finances et le nouveau gouverneur de la Banque Centrale d’Egypte (BCE) seront en première ligne de ces réunions. « Une équipe à l’état d’esprit libéral », comme le mentionne Aliaa Badr, professeur d’économie à l’Université d’Alexandrie. Elle précise : « Ces responsables plaident pour une politique monétaire plus flexible, un programme fiscal plus strict et un rôle plus grand du secteur privé. Bref, une stratégie qui va de pair avec la conditionnalité du soutien du FMI. Pour sa part, le FMI a confirmé être prêt à offrir tout son soutien à l’Egypte ».
C’est donc un nouveau chapitre de coopération qui semble s’ouvrir entre ces deux entités. Bien que le gouvernement ait répété à plusieurs reprises qu’il ne se soumettra pas aux conditions du FMI, toutes les politiques adoptées récemment par le gouvernement révèlent plutôt le contraire.
La BCE a décidé d’adopter, au cours des deux dernières années, une politique de taux de change flexible. Le prix du dollar a augmenté d’environ 2 L.E. au cours de cette période : la BCE a dévalué la livre égyptienne à plusieurs reprises pour atteindre le niveau du marché noir. Chaque fois qu’une dévaluation a été décidée, les représentants du FMI ont salué la décision. Le représentant de la délégation du FMI en Egypte, l’a confirmé à l’Hebdo : « Un taux de change flexible est important pour la croissance de l’économie et pour les différents secteurs comme le tourisme, l’exportation et l’investissement. Les hausses successives du dollar face à la L.E. en janvier, juillet, octobre 2015 et mars 2016 ont rapproché le taux de change de son niveau équitable ».
Le gouvernement table également sur la résorption du déficit budgétaire à travers une rationalisation des dépenses publiques ainsi qu’une multiplication des recettes fiscales. Différentes lois portant sur les subventions sont en cours d’étude. La taxe sur la valeur ajoutée verra prochainement le jour. Toutes sont des mesures demandées par le FMI.
Mais le gouvernement refuse d’admettre se plier au FMI. Le gouverneur de la BCE, Tareq Amer, et le ministre de la Planification, Achraf Al-Arabi, l’ont clairement exprimé lors d’une conférence de presse, tenue jeudi 7 avril. « Nous adoptons notre propre programme de réformes, et cela n’a aucun rapport avec les recommandations du FMI. Nous ne nous plions pas aux ordres des institutions internationales. L’intérêt de l’économie égyptienne passe avant tout », a déclaré Al-Arabi.
Le gouverneur de la BCE, lui aussi, avait annoncé, dans une interview à la télé : « Nous avons résisté longtemps à des mesures imposées par le gouvernement dans le but de protéger les classes défavorisées. Maintenant, dans l’intérêt de ces milieux défavorisés, nous prenons de telles mesures dans le but de relancer l’économie et d’attirer les investissements ».
Les négociations entre l’Egypte et le FMI ont débuté en 2009, avec le cabinet Nazif. Des négociations intensifiées suite à la révolution du 25 janvier 2011. Mais, ni le Conseil suprême des forces armées en charge de la transition politique, ni le gouvernement sous le président Morsi, un Frère musulman élu en juin 2012, ne sont parvenus à satisfaire les conditions posées par le FMI. Conscient de l’impopularité des mesures revendiquées par le FMI, les gouvernements successifs n’y étaient pas favorables. Il s’agissait à l’époque d’un crédit de 4,8 milliards de dollars à l’Egypte. Le prêt aurait permis aussi de débloquer d’autres aides, comme celles de l’Union européenne, de la Banque africaine de développement ou de la Banque mondiale.
« Pas d’autre choix »
La situation est aujourd’hui différente. Avec un budget de l’Etat en déficit de 11,5 % du PIB pour l’exercice en cours, « le crédit du FMI devient de plus en plus une option », comme le révèle une source au ministère des Finances, qui préfère garder l’anonymat. « Le déficit pourrait être plus important que ce qui a été prévu à la fin de l’exercice fiscal », confie cette source.
Elle ajoute : « Le gouvernement semble ne plus avoir d’autres choix que de recourir au prêt du FMI, et toutes les mesures qui ont été adoptées récemment révèlent une telle intention ».
L’une des principales fonctions du FMI est de fournir des prêts aux pays membres de l’institution qui éprouvent des difficultés réelles ou potentielles de balance des paiements. Le concours financier accordé par le FMI vise à permettre aux pays bénéficiaires de reconstituer leurs réserves internationales, de stabiliser la valeur de leur monnaie, de développer leurs importations et de restaurer les conditions d’une croissance forte et durable. Dans le cadre d’un tel accord de prêt, le pays en question doit appliquer en échange des politiques et des mesures économiques devant permettre de remédier aux problèmes de fond. « Pour obtenir un prêt du FMI, le pays doit répondre aux conditions de l’institution internationale. Libérer le taux de change, élever les taxes, réduire les subventions, privatiser le secteur public ... Toute une liste de mesures contraignantes qui engendrent des répercussions difficiles à assumer pour les citoyens lambda. Cela se répercute sur leur quotidien avec une hausse des prix et une baisse des subventions », explique Samer Attallah, expert économique et professeur d’économie à l’Université du Caire. Une facture est donc à payer pour obtenir ce crédit.
Un rapport publié en 2006 par l’ONG internationale Oxfame, intitulé « Les Conditions de la Banque mondiale et du FMI : une injustice pour le développement », détaille, quant à lui, les effets pernicieux de l’aide du FMI. Le rapport traite des cas de 20 pays ayant reçu des dettes de ces deux institutions. Selon le rapport, le contenu des contrats de financement conclus par le FMI aggrave les inégalités sociales. Le résultat est bien souvent l’aggravation des dettes publiques et de la pauvreté, ainsi que le manque de financement devant normalement être consacré aux projets de développement. Or, selon le rapport, il faudrait plutôt se servir de ces fonds pour élaborer des stratégies de développement durable en faveur des pauvres, et renforcer les capacités des populations à définir elles-mêmes leur voie vers le développement et l’éradication de la pauvreté. « En sera-t-il ainsi pour l’Egypte ? J’en doute fort. La position du gouvernement que la délégation égyptienne exposera et le tableau optimiste qu’elle fera valoir à Washington permettent de douter de la prise de conscience par le gouvernement des nécessités des classes défavorisées », conclut Attallah.
Les enjeux du printemps 2016
Les réunions du printemps du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale se tiendront les 15 et 17 avril à Washington. Ces réunions, au niveau des ministres, interviennent six mois après les réunions annuelles qui regroupent les conseils d’administration du FMI et du Groupe de la Banque mondiale. Se tiendront aussi les réunions du comité conjoint de développement qui sert de consultant au conseil d’administration du FMI et de la Banque mondiale. Pour aborder la question des ressources financières nécessaires pour aider les pays en voie de développement. Des responsables des banques centrales, des ministres des Finances, des directeurs du secteur privé ainsi que des professeurs d’universités se réuniront pour discuter des perspectives économiques globales, du développement économique et de l’éradication de la pauvreté. « Les perspectives mondiales de croissance ont été revues à la baisse au cours des six derniers mois, exacerbées par le ralentissement de l’économie chinoise et la baisse des prix des matières premières », a affirmé Christine Lagarde, présidente du FMI, lors de son discours. « Les Perspectives de l’économie mondiale », étude publiée une fois en automne et une fois au printemps par les services du FMI, sera ce mercredi au coeur d’une conférence de presse au premier jour des réunions préparatoires du printemps. Une remise à jour de l’étude de l’automne 2015 parue en janvier 2016, affirme que la croissance mondiale se situera à 3,4 % en 2016 et à 3,6 % en 2017, un chiffre plus modeste que celui publié lors de la version initiale de l’étude publiée en octobre 2015. Pour les économies développées, la croissance devrait augmenter de 0,2 %, pour atteindre 2,1 % en 2016, et se stabiliser en 2017. Quant aux marchés émergents et économies en développement, le FMI prévoit une croissance à 4,3 % en 2016 et à 4,7 % en 2017, comparé à 4 % en 2015.
L’économie globale et le système financier mondial seront au centre des réunions à Washington. Une conférence se tiendra le 13 avril sur les pays en voie de développement, étalée sur trois sessions. La conférence portera sur l’agenda en matière de développement de ces pays, dont la croissance économique est au ralenti depuis 2015. « Ce ralentissement est dû à un environnement externe défavorable et aux déséquilibres domestiques macroéconomiques », affirme la description de la conférence sur le site web du FMI. Et d’ajouter : « Sur le court terme, le développement des investissements dans le domaine de l’infrastructure sera plus limité de même que le soutien aux politiques inclusives ». Plusieurs sessions sur la politique monétaire, la politique fiscale, les taux de change et les flots de capitaux ont déjà rassemblé des chercheurs, des preneurs de décision, des directeurs du secteur privé, des membres de la société civile et des médias. Le forum fiscal 2016 portera sur le système de taxation et aura lieu le dernier jour, le 17 avril. L’année dernière, le forum avait abordé L’Economie politique de la dette. Aussi cette année, il y aura une conférence sur les perturbations numériques du système financier.
Hana Afifi
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