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Quand les enfants n’assurent plus le logement

Manar Attiya, Mardi, 12 avril 2016

La fin de la période légale de garde des enfants sonne le début d'un calvaire pour les femmes divorcées, puisque l'ex-époux est en droit de récupérer le logement fourni. Souvent sans revenus propres, elles se retrouvent du jour au lendemain dans la précarité.

Quand les enfants n’assurent plus le logement
L’épouse à la garde de l’enfant jusqu’à ce qu’il atteigne 15 ans. (Photo : Mohamed Abdou)

« Je vais bientôt devoir quitter le logement familial. Dans six mois, mon ex-époux pourra légalement me mettre dehors et je crains de me retrouver à la rue », lance les larmes aux yeux Oum Mamdouh, divorcée depuis une quinzaine d’années. Agée de 48 ans, elle habite dans le quartier populaire de Boulaq, au centre du Caire. Elle travaille comme femme de ménage pour subvenir aux besoins de ses enfants. Son ex-mari, menuisier, lui remet 400 L.E. par mois de pension alimentaire. Oum Mamdouh a trois enfants : deux filles et un garçon. L’aînée a terminé ses études de commerce et s’est mariée à l’âge de 20 ans. Le garçon de 17 ans est chauffeur dans une société privée. Quant à la benjamine, elle aura 15 ans dans quelques mois. Selon la loi, la garde des enfants et le droit d’occuper le logement pour l’épouse divorcée s’achèvent quand le dernier des enfants atteint l’âge de 15 ans. C’est le concept de la hadana (garde des enfants), issu de la charia dans la loi du statut personnel.

Oum Mamdouh vit cette situation comme des milliers d’autres femmes. Près de 20 000 d’entre elles ont ainsi assisté aux différents séminaires organisés aux quatre coins du pays depuis 2008 par l’ONG, l’Association des procès de la femme égyptienne. « Nous parlons de nos problèmes, en espérant trouver une solution à cette hadana, pour ne pas nous retrouver dans la rue », explique tristement Soad, originaire du gouvernorat de Charqiya (Delta) et divorcée depuis cinq ans. Elle écoute attentivement les conseillers juridiques présents lors d’une des rencontres.

Toute femme divorcée est en effet soumise à l’article 18 de la loi 100/1985 du code de la famille. « L’article stipule que le mari doit garantir à la femme chargée de la garde de leurs enfants un logement décent ou à défaut un appartement de location. Si c’est à l’épouse d’assumer la garde des enfants, elle ne peut quitter le domicile conjugal avant que ses enfants n’atteignent l’âge de 15 ans. Une fois cette période atteinte, l’ex-mari peut reprendre le logement s’il en est le propriétaire et ce, par le biais de la justice », indique un juriste qui requiert l’anonymat. Cette même source estime cette loi injuste. « L’ancienne version des années 1960 et 70 était plus en faveur des droits de la femme. La loi 25 de l’année 1920 stipulait même que la femme devait rester dans le logement familial même si la période de hadana était terminée, qu’elle soit propriétaire ou non du logement et même si la garde a lieu chez un parent proche (père, mère, frère ou autres) », ajoute-t-elle. Mais ces articles ont été annulés, car des ex-époux se sont plaints de se retrouver à la rue après leur divorce. « Les juges ont estimé que cet article allait à l’encontre de la loi islamique, car le droit de propriété autour duquel est établi le droit des biens ne peut être exercé que par une seule personne. Les législateurs se sont posé la question suivante : Pourquoi une femme divorcée serait en droit d’acquérir un bien qui ne lui appartient pas ? Ils ont même pensé que cet article pouvait altérer la relation du père avec ses enfants, car il risque de les tenir responsables de la perte de ses biens », ajoute cette même source. En 1985, l’article a été à nouveau modifié mais présentait encore des lacunes pour les droits des femmes, les empêchant de profiter d’un statut équitable dans leur famille. Ce sont ces lacunes qui ont fait de la femme une citoyenne de seconde zone tout en l’empêchant de jouir pleinement de ses droits. Des droits qui vont à l’encontre des traditions et valeurs sociales, comme le pensent beaucoup de personnes. Selon le cheikh Salem Abdel-Guélil, « la loi émanant de la charia stipule que toute femme est à la charge de son mari ou de sa famille ». Ce qui vient compliquer davantage la situation actuelle est que les prix des loyers ne cessent d’augmenter. En effet, le prix d’un studio au Caire atteint les 500 L.E. alors que le revenu moyen est de 1200 L.E. « Les femmes ont toujours été chargées d’élever et d’éduquer les enfants, ce qui les empêche d’exercer des activités rentables pour faire des économies qui pourraient leur servir en cas de déconvenue », lance Nihad Aboul-Qomsane, directrice du Centre égyptien pour les droits de la femme et avocate à la Cour de cassation.

Vie confortable

Samia habite avec ses trois enfants dans un logement familial dont la superficie est de 300 m2. Un six pièces situé à Mohandessine, quartier huppé du Caire. Elle y habite depuis 25 ans. Divorcée depuis 10 ans, Samia est universitaire. Sa fille aînée est diplômée de polytechnique. La cadette de 17 ans est en 3e secondaire et le benjamin vient d’avoir ses 15 ans. Samia touche un salaire mensuel de 7 000 L.E. et mène une vie confortable. Elle va être obligée de quitter cet appartement puisque la période de garde légale de ses enfants s’achève. « Aller habiter dans un autre logement, dans le même quartier, tout en gardant le même niveau de vie est impossible. Je devrai débourser plus de 2 000 L.E. de loyer sans compter les factures d’électricité et d’eau ». Son mari a été un commerçant prospère par le passé, mais a fait faillite il y a deux ans. Il souhaite vendre l’appartement en question pour 1 million de livres égyptiennes (environ 120 000 dollars).

L’Association des procès de la femme égyptienne oeuvre ainsi sans relâche. Elle a proposé un projet de loi relatif au statut personnel, demandant un partage équitable des biens des époux en cas de divorce. Mais comment les évaluer ? Comment effectuer le partage ? « Le logement pourrait être évalué par un spécialiste de l’immobilier. Pour les meubles : il faut s’adresser à un vendeur de meubles d’occasion ou un spécialiste dans la matière. Pour les véhicules, prendre conseil chez un garagiste, et pour que ce partage des biens se fasse équitablement, il faut tenir compte des frais de mariage et de divorce », indique Abdel-Fattah Yéhia, avocat de l’Association des procès de la femme égyptienne. Ce dernier confie que l’association a présenté ce projet à plusieurs reprises aux responsables du ministère de la Justice en 2015 et lors des séances du parlement de 2016, mais sans résultat.

Il fallait entamer ce pas, car le nombre de divorces est en recrudescence ces dernières années. L’Organisme central des statistiques (Capmas) révèle récemment que le taux de divorce après 50 ans atteint les 7 %. Plus généralement, en Egypte, un couple se sépare toutes les six minutes, soit 88 000 divorces par an. Et donc 240 jugements de divorce sont prononcés chaque jour dans le pays. 34 % des couples divorcent après une année de mariage, et 12,5 % à la 2e.

Si le droit au logement est l’un des droits les plus élémentaires, Aliya a été obligée de tout recommencer à zéro après la période de garde légale des enfants. Elle a habité quelques mois chez sa soeur, mais ne s’est pas sentie à l’aise. « Un jour, mon beau-frère s’est disputé avec ma soeur, je l’ai entendu lui dire qu’il ne voulait pas de moi. Aujourd’hui, je suis hébergée chez mon fils aîné. Si je n’avais pas trouvé où aller, je me serais réfugiée au cimetière, là où mon père est enterré, mieux vaut vivre avec les morts que dans l’humiliation », dit-elle. Pour elle, il est urgent de modifier la loi. Sinon, il existerait une solution simple pour atténuer le drame de l’expulsion et le risque de se retrouver à la rue. « L’Etat a bien construit des logements pour les sans-abri, et donc c’est au gouvernement d’aider ces femmes en détresse en leur garantissant un logement décent pour éviter l’humiliation », martèle Fatma Badrane, directrice du projet « Abrogation des discriminations juridiques contre la femme », auprès de l’Union générale des femmes d’Egypte.

La loi dans les pays voisins

La loi dans les pays voisins

En Tunisie, la modification a été appliquée dans les années 1960. « L’article 32 du code de statut personnel stipule que l’un des époux peut renoncer à tout ou une partie de ses droits à condition que cela ne porte pas atteinte à l’intérêt des enfants. La répudiée qui a obtenu la garde des enfants a droit au maintien dans le logement familial ou à l’octroi d’une indemnité de logement à vie de la part de son ex-époux », indique Fatma Khafaga, membre à l’Union des femmes en Egypte.

Au Maroc, le nouveau code de la famille (Moudawana), adopté le 5 février 2004, prévoit qu’en cas de divorce, les biens « acquis durant la période du mariage » sont partagés entre les conjoints. Ce code « se distingue essentiellement de ses prédécesseurs par le fait d’appuyer les droits de la femme, qui a été mise sur un pied d’égalité avec l’homme et jouit désormais d’une multitude de droits qui ne lui étaient pas acquis par le passé », précise la directrice du Centre des droits de la femme égyptienne et l’avocate en cassation, Nihad Aboul-Qomsane.

Quant à la Jordanie, il existe une compensa­tion de la disparité que la rupture du mariage des époux crée dans leurs conditions de vie respectives. « Cette prestation est versée sous forme de capital. Ce capital peut être payé en argent ou en bien immobilier », c’est-à-dire soit par versement d’une somme d’argent, soit par l’attribution d’un bien en pleine propriété ou seulement l’usufruit de ce bien, ou encore par un simple droit d’habitation sur un logement.

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