« La route vers Abha plutôt que Genève ». Telle est la nouvelle situation imposée par la réalité sur le terrain au Yémen et les coulisses des négociations entre Saada, bastion du mouvement houthi, et Abha, la ville saoudienne située à un jet de pierre de la capitale yéménite Sanaa.
C’est cette ville frontalière qui a été choisie pour les pourparlers « saoudi-yéménites », les 6 et 7 mars. Une sorte de halte préliminaire pour explorer et évaluer les mesures visant à établir la confiance entre les parties en conflit, avant de lancer les négociations bilatérales. Les tentatives précédentes qui ont eu lieu à Genève dans le but d’élaborer une feuille de route pour mettre fin à la guerre civile au Yémen ont été un échec.
Le développement des opérations militaires sur le terrain ainsi que les informations obtenues par Al-Ahram Hebdo de sources yéménites, confirment que les forces rebelles houthies-Saleh (Ali Abdallah Saleh est l’ex-président du Yémen) sont exténuées au point de ne plus avoir la possibilité de continuer à se battre sur plusieurs fronts. Cela semble être le cas, surtout après la perte de sites stratégiques en faveur de la coalition multinationale dirigée par les forces saoudiennes, et qui contrôle désormais le port Midi sur la mer Rouge, un lieu où les rebelles se procuraient des armes iraniennes. Puis, la coalition s’est emparée de Naham, la porte orientale stratégique de la capitale — à 50 km de Sanaa. Ce qui porte à croire que la bataille de Sanaa sera la prochaine étape, et qu’elle sera déterminante.
Outre les développement des opérations militaires, il y a également le changement politique, à savoir le retour du « deuxième homme fort de Yémen », qui constitue un facteur contribuant à faire avancer les négociations. L’homme en question est Ali Mohsen Al-Ahmar. Sa simple apparition sur la scène politique représente un sérieux développement de la situation dans le pays.
De plus, Riyad a conscience que l’équation politique et militaire dans la bataille de Sanaa ne sera pas réglée par le simple retour au gouvernement du président Abd-Rabbo Mansour Hadi — le détenteur de la légitimité constitutionnelle — et son adjoint, Khaled Bahah. Tous deux sont considérés comme des Sudistes qui sont arrivés au palais présidentiel à un moment décisif marqué par un déséquilibre des forces traditionnelles du pouvoir à Sanaa.
Al-Ahmar, deuxième homme sur la scène politique yéménite jusqu’à l’aube de la révolution de février 2011, était celui qui avait pris la décision au moment de la révolution d’envoyer la brigade des forces spéciales de la première division blindée pour protéger la place Tahrir, et ce, au déterminent de Saleh. Une décision que ce dernier ne lui a jamais pardonné. Les Houthis, pour leur part, se souviennent aussi que c’était lui qui les avaient combattus durant les six guerres à Saada, Amran, et Maran, et que c’est uniquement grâce à Saleh qu’ils ont survécu.
En contrepartie, Ahmar n’a jamais oublié ce que les Houthis ont fait durant la bataille de Hasba qui a ouvert la voie à la chute de Sanaa le 21 septembre 2014. Des membres de sa famille avaient alors été tués ou chassés de leur fief. Sanaa a été alors mise à feu. Puis, la première brigade blindée lui a été retirée via un accord politique douteux.
Moyens financiers
Avec l’annonce du retour d’Al-Ahmar, Saleh a déclaré qu’il dirigerait en personne les combats alors que son rival, fils de l’une des plus grandes tribus yéménites, a maintenant les moyens financiers nécessaires pour payer ceux qui sont fatigués par la guerre. Il peut aussi fournir à ceux qui le désirent un moyen de se venger.
Khaled Alyan, journaliste spécialiste des affaires présidentielles du Yémen, explique à l’Hebdo que Mohsen Al-Ahmar a réussi à résoudre la bataille de Midi et a joué le rôle principal à Naham, et connaît le langage politique et militaire de Saleh et des Houthis.
Ces derniers font face audit « Front de libération de Sanaa », formé d’un côté par l’armée dont une partie est toujours loyale à Al-Ahmar, et d’un autre côté par le Parti la Réforme, la façade politique des Frères musulmans, dont il est l’un des fondateurs, ainsi qu’un rassemblement des plus grandes tribus.
« Les Houthis se sont rendu compte qu’Al-Ahmar n’est pas leur seul ennemi. Il y a aussi la Réforme qui sera probablement mise en place à Sanaa une fois que les Houthis sont chassés. Ce qui les a poussés vers les pourparlers de défaite en Arabie saoudite plutôt que d’attendre et finir par se rendre à l’ennemi dans une bataille militaire ».
La route vers Abha avait commencé par une médiation omanaise il y a un mois, et le Royaume saoudien a accepté à contrecoeur et à condition que les Houthis soient représentés à un très faible niveau, et que les entretiens soient informels et loin de Riyad.
Ainsi, le leader houthi et le porte-parole du mouvement, Mohammed Abdel-Salam, s’est rendu au Royaume accompagné d’un détenu saoudien, mais sans demander son échange contre des prisonniers houthis en Arabie. Riyad, de son côté, a choisi d’amener un certain nombre de prisonniers houthis, ce qui signifie dans la langue des traditions tribales arabes qu’il y a une intention pour faire la paix de la part des deux parties.
Rafiq Ahmad, l’un des proches du cercle politique de la famille de l’ancien président Saleh, a révélé dans un entretien exclusif à l’Hebdo, que Salah serait prêt pour un règlement avec Riyad.
« Je pense que les pourparlers porteront leurs fruits et se tourneront vers des négociations sérieuses lorsque Saleh et les Houthis seront représentés par une seule délégation », estime-t-il. Selon lui, « il y a un dialogue qui est actuellement en cours entre le front Saleh et les Houthis, et qui porte sur le règlement des problèmes liés aux conséquences de la guerre, y compris la compensation et la reconstruction. Il y a aussi des consultations sur les revendications concernant la composition du prochain gouvernement à Sanaa », ajoute Rafiq Ahmad.
En cas de succès des pourparlers d'Abha, une ville qui remplace Genève sera choisie en Jordanie, en Oman ou en Egypte, pour accueillir les pourparlers.
Il semblerait que certains favorisent Le Caire, mais il existe également des parties qui ne penchent pas vers cette option, et ce, pour des raisons logistiques, y compris aussi leur volonté d’être loin des médias. Le Caire ne semble pas non plus vouloir se livrer pleinement dans ce dossier, même si une délégation yéménite s’est rendue il y a deux semaines au Caire, dirigée par le secrétaire général de la Conférence populaire (le parti de Saleh) Yasser Al-Ouadi, pour informer les responsables égyptiens des derniers développements de la situation.
Un accord de principe a été conclu pour tenir des pourparlers préliminaires à Muscat, et l’envoyé onusien, Ismail Weld El Cheikh, devrait rencontrer la semaine prochaine au Yémen une délégation des Houthis et de Salah, pour prendre connaissance de leurs demandes, qui incluent une sortie sécurisée pour Saleh et le maintien de son parti sur la scène politique, avant de se rendre dans le sultanat.
Mais Riyad, selon Ali Aldobibi, chercheur spécialiste des Affaires présidentielles yéménites, ne sera rassuré vis-à-vis des rebelles qu’une fois le désengagement scellé avec Téhéran, autrement dit lorsque l’Iran arrêtera d’inciter les rebelles. « L’Arabie saoudite est certainement consciente de l’importance des relations entre les Houthis et l’Iran, mais elle demandera une garantie préliminaire pour que cette relation ne se fasse pas au déterminent de la sécurité du Royaume. C’est pour cela que l’Arabie saoudite ne cherche pas de règlement hâtif ».
Selon Abdel-Aziz Al-Majidi, l’un des fondateurs du mouvement anti-Houthis « Rafd », « nous devons réaliser qu’il y a des développements en Iran en faveur des réformistes, une aile qui tend à calmer le conflit avec Riyad ». Ce point de vue est en accord avec l’analyse du directeur du Centre des études irano-arabes à Londres, Ali Nouri Zada, qui a déclaré que « le président Hassan Rohani veut une trêve avec le Golfe, et voulait que sa première visite à l’étranger soit en Arabie saoudite, mais le guide suprême de l’Iran s’y est opposé ».
Le scénario probable aujourd’hui, selon les sources yéménites, serait le rassemblement des Houthis et de leurs milices vers le centre du pays où se trouvent les zones d’influences, pour les soutenir lors des futures négociations. Sur le plan politique, les yeux restent braqués sur Riyad pour éviter la bataille de Sanaa.
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