Le primitif
Sculpture d'Ahmad Abdel-Fattah.
( Photo: Mohamad Moustapha)
La « thérianthropie », ou ce processus de transformation d’un être humain en animal, inspire le sculpteur Ahmad Abdel-Fattah. Sa sculpture en polyester suscite l’admiration de la plupart des visiteurs du Salon du Caire, au Palais des arts, dans l’enceinte de l’Opéra du Caire. Montée de deux cornes animalières, on se pose la question : est-ce une vraie tête humaine ? On hésite un peu, on s’approche de la statue. Abdel-Fattah expose une tête humaine, conforme au réel, dotée d’yeux tristes et égarés, d’une grande expressivité. L’artiste nous place face à un monde farceur de « bouffonnerie ». D’après lui, la « thérianthropie » puise ses racines dans les anciens dessins des grottes préhistoriques, et devient un thème populaire dans la « sous-culture ».
Sauvagerie ou érotisme ? Sur une immense toile, Riham Al-Saadani dépeint trois grands portraits, ceux de trois femmes, à des âges différents. Le premier représente une jeune fille dont les lèvres de couleur rouge-sang révèle une cruauté sensuelle, faisant partie du monde sauvage. Le second portrait montre une jeune femme, aux yeux de loup. Elle est à l’image de cet animal capable de chasser facilement sa proie. La femme, chez Saadani, vivant dans une « fantaisie dramatique », est celle capable de changer son comportement, une fois qu’il s’agit de prouver sa présence dans le monde. Femme sensuelle, femme loup, femme aristocrate. Toutes sont les symboles de la puissance, de nos rapports avec l’animalité .
Le soufi
Installation d'Amr Tossoun.
(Photo: Mohamad Moustapha)
L’installation de Amr Tossoun est l’un des meilleurs exemples, incarnant l’homme soufi en quête de sa délivrance. Installée dans une salle obscure, l’oeuvre de Tossoun se présente comme une statue blanche, en posture osirienne, reposant paisiblement dans un cercueil lumineux. Celui-ci laisse entrevoir des textes soufis et des calligraphies arabes. L’ambiance se veut mystique, plongeant dans un sentiment de sérénité face à un monde de conflits. Tossoun est préoccupé par la question du soufisme et de l’émancipation de l’Homme moderne. Son installation n’est qu’une invitation à la sagesse universelle, pour mieux cerner le vrai sens du monde, loin du désenchantement et de la rupture avec le sacré.
Cet air de mysticisme est partagé par le photographe Ayman Lotfi. Sa photographie retouchée au pastel met en scène une Madone entourée de textes soufis sur un fond ocre/doré. En état de transe, elle porte un cactus, symbole du mal dans la vie. Lotfi use du Freeze tag, ou de la technique du « marquage immobile » pour shooter dans tous les sens, plusieurs fois, par seconde.
Le mythique
Al-Qurity: une force austère.
(Photo: Mohamad Moustapha)
Chez karim al-qurity, la mythologie et l’actualité sociopolitique se mêlent agréablement. Il dépeint une géante figure humaine, commandée par une force mystérieuse et magnétique, silencieuse et austère. L’artiste associe, dans son oeuvre, froideur, individualisme, excentricité, malaise et rejet des traditions. Et c’est précisément à cause de cette réunion d’aspects contradictoires qu’Al-Qurity réussit à fusionner le passé empreint d’égyptianité et le présent qui abonde de soucis contemporains.
Assis ou debout, en toute dignité, les protagonistes de Réda Abdel-Rahman sont à cheval entre tradition et modernité. Ils sont entourés de pélicans, d’aigles, de lotus et de dieux pharaoniques. « En Egypte Ancienne, on parlait de la femme déesse et reine. De nos jours, celle-ci étouffe sous le poids de la société », fait remarquer Abdel-Rahman, montrant tous les êtres mythiques qu’il met en relief dans ses peintures.
Le consommateur
Installation de Kamal Al-Fiqi.
(Photo: Mohamad Moustapha)
Exposée à un emplacement remarquable au Palais des arts, l’installation de Kamal Al-Fiqi est constituée d’innombrables statuettes, en polyester multicolore, accentuant l’idée des « petits hommes » (au sens péjoratif). Ceux-ci parsèment notre société de consommation. Attachés à des ficelles, comme des marionnettes, ils sont manipulés au loin par un simple mécanisme. Le sens est clair : nous sommes manipulés au quotidien, mais aussi nous sommes jetés parfois par terre, comme de vieilles chaussettes. C’est la médiocrité des « petits hommes » qui domine. Al-Fiqi montre du doigt l’autocrate qui régit la foule. Il se demande : Qui gagnera à la fin ? Et à lui de donner la réponse : « Nous sommes pris dans les lacets de la société de consommation et du pouvoir ».
Les photos retouchées de Sabah Naïm font la caricature de la société actuelle, dénonçant les gens qui veulent tout posséder : les objets, la beauté physique, les accessoires inutiles … Ils sont influencés par la publicité poussant à la consommation en continu. A travers ses protagonistes épuisés, par le train quotidien, Naïm mène une considérable bataille contre le matérialisme et les valeurs de la société de consommation.
Khaled Hafez a souvent recours à des références de l’Egypte Ancienne, dans ses peintures/collages, pour montrer une certaine continuité, nous reliant au passé. C’est un artiste de l’hybridité (basée sur les divers emprunts culturels dans le contexte d’une mondialisation croissante). Hafez pose la question de l’identité et de la différence culturelle à travers une immense peinture, établissant un parallélisme visuel entre Anubis (dieu chacal des morts) et Batman. Tous les deux se promènent dans les rues du Caire, avec des icônes du « consumérisme » américain et de la religion pharaonique. Cette juxtaposition d’images sacrées et profanes met en scène une Egypte en confrontation avec l’Occident et les valeurs matérialiste.
Le tragi-comique
Photo de Noha Moustapha.
(Photo: Mohamad Moustapha)
Les modèles féminins de Hend Al-Falafli, intitulés Les Quatre saisons — symboles de la vie et de ses mutations — évoquent la situation de la femme et son combat au quotidien. Pureté, légèreté et innocence. Regards, contemplatifs et éperdus. La femme d’Al-Falafli, dessinée tout d’abord au crayon noir, est capable de provoquer des sensations diverses. Elle est absolument libre et dramatique, avec ses cheveux détachés. Le tout est incrusté, de part et d’autre, de papillons dorés, symbole de la divinité. Le blanc immaculé, c’est son côté pur. Et le noir incarne la « constante anti-énergie », selon l’artiste laquelle ajoute à chacun de ses modèles, une sorte de sosie, en lignes hachurées : « C’est le monde aux images floues. Mes oeuvres reflètent la condition féminine, à l’ombre de l’injustice sociale. Chacune de mes oeuvres semble être le noeud d’une tragi-comédie ».
Ce même aspect tragi-comique au féminin est développé par Noha Moustapha, à travers une oeuvre de photomontage : une jeune fille photographiée tantôt avec un chewing-gum, tantôt entourée de ventilateurs. La bulle du chewing-gum sur sa bouche représente l’asphyxie, alors que les ventilateurs sont là pour lui fournir un peu d’air. « Homme ou femme, peu m’importe le sexe. C’est avant tout un être humain partageant notre cosmos, c’est ce qui m’intéresse », souligne Noha Moustapha.
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