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Travail : La loi qui divise

May Atta, Mardi, 01 mars 2016

Le nouveau projet de loi sur le travail vient d'être finalisé par le ministère de la Main-d'oeuvre et sera prochainement soumis au Conseil des ministres. Le projet est rejeté tant par les ouvriers que par les patrons.

Travail : La loi qui divise
24 millions de travailleurs sont concernés par la nouvelle loi.

Le tout nouveau projet de loi sur le travail est prêt et sera prochainement soumis au Conseil des ministres. C’est ce qu’a déclaré cette semaine le ministre de la Main-d’oeuvre, Hani Sorour. « Le projet réalise un équi­libre entre les employeurs et les tra­vailleurs dans l’intérêt du processus de production », a ajouté le ministre, affirmant que le projet est actuelle­ment soumis à un débat parmi les tra­vailleurs et les chefs d’entreprises. La nouvelle législation est censée rem­placer l’ancienne loi unifiée du travail promulguée en 2003. Le projet de 253 clauses régit la relation entre les employés, les patrons et le gouverne­ment. Il organise des questions aussi vitales que les contrats de travail, le droit de grève, le licenciement et les salaires.

Comparé à l’ancienne version du projet (publiée il y a quelques mois, mais retirée par le gouvernement en raison de l’opposition des milieux ouvriers et du patronat), le projet assouplit les restrictions imposées au droit de grève. Ainsi, la grève peut être initiée si 30 % des employés don­nent leur accord, contre les deux tiers dans l’ancienne version de la loi. Cette clause est d’ailleurs très criti­quée par l’Union des industries (qui représente le patronat). « Le lieu de travail est aussi sacré que l’église et la mosquée et tous les ouvriers doi­vent le respecter. Ce projet ouvre la voie aux grèves ouvrières et ne donne aucun rôle aux syndicats qui sont censés jouer un rôle en cas de pro­blème entre l’employé et l’entreprise. Or, nous sommes en période de crise économique et nous ne pouvons pas supporter les grèves », affirme Mohamad Al-Morchedi, membre du conseil d’administration de l’Union des industries. Il est d’avis que la liberté accordée aux grèves va « ralentir le développement des inves­tissements ». « Ce projet n’a aucune vision claire qui peut constituer une base permettant de construire un mar­ché de travail fort », affirme pour sa part un communiqué de l’Union des industries. Et d’ajouter : « Le projet ne résout pas les problèmes de la loi unifiée du travail promulguée en 2003. Il augmente le fardeau sur les hommes d’affaires ».

Restrictions

Pourtant, le droit de grève est sujet à quelques restrictions. Ainsi, les grèves sont interdites pendant les négociations avec la direction ou la mise en place d’un accord de travail collectif. Le projet interdit égale­ment aux travailleurs de relever le plafond de leurs demandes au cours de la grève, ainsi que toute revendi­cation de nature politique. Or, ces clauses mécontentent les ouvriers : « C’est vrai que le projet de loi a assoupli les restrictions sur le droit de grève en exigeant l’accord de 30 % des travailleurs d’une entre­prise contre les deux tiers dans l’an­cienne version du projet. Mais il existe d’autres problèmes. Le projet interdit, par exemple, le droit de grève dans les installations straté­giques, sans fournir la moindre défi­nition de celles-ci », commente Kamal Abbas, coordinateur du Centre des services pour les syndi­cats ouvriers. Il explique que l’an­cien premier ministre, Atef Ebeid, déclarait, à chaque fois qu’il y avait une grève dans un secteur, que celui-ci est stratégique. Selon Abdel-Moneim Al-Gamal, de l’Union des syndicats ouvriers, le projet ne donne aucune alternative aux ouvriers qui travaillent dans les installations stra­tégiques et qui n’ont pas la possibi­lité de faire grève.

L’autre point très critiqué est celui qui interdit aux ouvriers la grève pendant les négociations avec la direction. « Dans aucun pays au monde on trouve des lois qui empê­chent les grèves durant les négocia­tions avec la direction. La grève est un moyen de pression et c’est un droit pour les ouvriers », affirme pour sa part Samar Youssef, respon­sable de la formation à l’Union inter­nationale pour les ouvriers du trans­port, dépendant de l’Organisation internationale du travail.

L’Egypte a connu une vague de grèves ouvrières en février 2014 dans le service public et le secteur indus­triel d’Etat. Les employés du textile et des filatures, des transports et des services de propreté se sont joints à ceux de la poste, du secteur de la santé ou de la justice. S’y sont ajou­tées des dizaines de grèves et d’autres initiatives dans le secteur privé. Pour le seul mois de février 2014, le centre Al-Mahroussa pour le développe­ment socio-économique a recensé plus d’un millier de sit-in, débrayages ou manifestations, avec plus de 250 000 grévistes. Les ouvriers esti­ment que le droit à la grève leur est acquis et ne doit être soumis à aucune restriction. « Il arrive parfois que les patrons entravent les négociations ou les font traîner. Dans ce cas, la loi enlève aux ouvriers le droit de grève. Il arrive aussi que des patrons ne respectent pas leurs engagements envers les ouvriers. La loi ne punit pas les patrons dans ce cas », affirme la syndicaliste Fatma Ramadan. Elle donne l’exemple des ouvriers de l’en­treprise Cristal, qui emploie quatorze mille ouvriers à Choubra Al-Kheima au nord du Caire, qui ont organisé une grève en mai 2014, alors qu’ils demandaient l’application d’un accord signé avec la direction plu­sieurs mois auparavant.

Contrats de travail et licenciements

Outre le droit de grève, les contrats de travail, le licenciement et la ques­tion des salaires sont également au coeur de la controverse. En vertu de la loi, les contrats de travail sont à durée indéterminée mais ne sont pas « per­manents ». « Cet article n’a pas de sens. Il ouvre la porte aux licencie­ments et aux contrats temporaires. L’usine de textile de Mahalla a perdu des milliers d’ouvriers qualifiés à cause des contrats temporaires », affirme Waël Habib, cadre ouvrier à l’usine de Mahalla. En ce qui a trait aux salaires, l’article 1 du projet de loi fixe le salaire de base à 20 % de l’en­semble des prestations versées par l’entreprise. Or, pour les ouvriers, cet article donne aux patrons le droit de contrôler les primes et les bonus et de les réduire sous prétexte que la situa­tion de l’entreprise « ne le permet pas ». « Dans beaucoup de pays, le salaire de base forme la majeure par­tie du salaire. Et ce système doit changer », conclut Habib.

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